Quel bilan tirez-vous de la réforme territoriale ?
Vincent Potier : Après beaucoup de tâtonnements et de revirements, le gouvernement a élargi la taille des intercommunalités et des régions, considérant que cela pouvait générer des économies budgétaires. Il est trop tôt pour mesurer l’impact de ces lois, mais une chose est sûre : ces réformes horizontales sont sans équivalent depuis les lois de décentralisation de 1982-1986. Elles tournent le dos à l’embryon de simplification verticale qu’induisait le conseiller territorial appelé, à l’époque de Nicolas Sarkozy, à siéger au département et à la région. François Fillon a clairement indiqué que, s’il était élu, il reviendrait au conseiller territorial. Il souhaite aussi redécouper les régions à l’horizon de 2021 et les fusionner avec les départements. C’est le modèle de l’assemblée de Bretagne défendu par l’actuel ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas. Dans ce schéma, les conseils départementaux deviennent des sortes de mairies d’arrondissement des régions.
Jean-Luc Bœuf : L’actuelle réforme territoriale bouleverse le Meccano sans revoir les équilibres d’ensemble. Le budget cumulé des régions reste le même qu’avant, de l’ordre d’un huitième. De l’eau à 20 degrés ajoutée à de l’eau à 20 degrés, cela n’a jamais fait de l’eau à 40 degrés ! Les régions fusionnées sont engluées. Certaines d’entre elles mettent la direction générale des services à un endroit, la direction du cabinet à un autre. Pour l’heure, la réforme des régions est coûteuse. Le pouvoir central a toujours autant de mal à relâcher la bride. « En raison de l’extraordinaire modernisation des moyens de communication, le département est dépassé », écrivait-on déjà en 1911 ! Et pourtant, le département pèse toujours, à chaque tour de roue, entre un quart et un tiers des budgets cumulés des collectivités. Quand les élus départementaux ont constaté ce qu’entraînait la recentralisation du RSA en termes de perte de poids financier, ils ont préféré reculer.
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Faut-il maintenir le département partout ?
J.-L. B. : On peut concevoir une France à plusieurs vitesses, avec le maintien du département dans les zones peu denses et, ailleurs, un travail en commun entre le département et l’intercommunalité qui pourrait aboutir à une mutualisation ultime, comme à Lyon. Mais les métropoles ne se précipitent pas pour reprendre les compétences des départements : elles ne disposent pas de moyens suffisants. Alors, on assiste à des jeux de mistigri permanents, comme en matière de transport.
V. P. : On ne peut pas tronçonner les territoires, comme l’a fait France Stratégie (organisme de concertation auprès du Premier ministre, ndlr) ! L’ » et le rural vont ensemble. Le rôle de l’échelon départemental est, donc, tout à fait fondamental. La sociologie des organisations fait que les intercommunalités de grande taille perdent en fluidité et en réactivité. La mutualisation est un processus lent et complexe, qui ne permet pas de faire des économies de postes à court et à moyen terme. Les conseillers municipaux et les maires doivent trouver leur place dans les nouvelles intercommunalités, de même que les conseillers départementaux dans les grandes régions.
Vincent Potier, directeur général du CNFPT
La commune doit-elle évoluer ?
J.-L. B. : L’Allemagne repose sur son modèle syndical, la Grande-Bretagne, sur la « common law », et la France, sur son modèle communal. Le maire, dans notre société désacralisée et désenchantée, reste le dernier rempart social.
V. P. : Etroitement lié à notre identité française, l’espace communal représente une force d’apaisement.
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Que vous inspirent les discours sur le nombre de fonctionnaires ?
J.-L. B. : La fonction publique territoriale regroupe 234 métiers. Les fonctionnaires publics territoriaux travaillent bien. Mais il peut y avoir un débat public pour réduire « la maquette » du service public.
V. P. : Cette question est très mal posée, et uniquement en termes de surnombre, d’avantages indus, de rigidité, d’emploi à vie. Ce terrorisme intellectuel ambiant porte aussi atteinte à la République !
Temps de travail, absentéisme, rémunération, efficacité… La FPT est fortement poussée à se justifier !
V. P. : Il faut faire la part des choses entre le mouvement naturel d’exigence plus forte et d’assouplissement de leviers, qu’il s’agisse de reconnaissance, de motivation ou de sanction, et ce discours qui jette, par principe, l’opprobre sur les agents publics. C’est parce qu’on est attaché au service public qu’il faut des agents. Ils ne sont pas mieux payés que dans le privé. En contrepartie, ils ont des obligations et des devoirs, notamment de désintérêt par rapport au jeu politicien. Pour autant, toute organisation, quelle qu’elle soit, publique ou privée, doit être animée par des exigences et, aussi, savoir faire preuve de souplesse pour manier les leviers de modernisation.
J.-L. B. : Les messages passés au niveau politique sont simples, mais complètement différents dans leur mise en œuvre locale. La question de l’emploi public et de son coût doit être traitée par rapport au service public. Oui, la suppression du jour de carence a permis une baisse de l’absentéisme. Et concernant la durée du temps de travail, il s’agit bien d’effectuer 35 heures ! Mais on ne pourra y parvenir mécaniquement, il faudra s’appuyer sur le dialogue social. Les collectivités souffrent de ce décalage entre les règles nationales à appliquer et les règles locales, assez rigides.
jean-Luc Boeuf, directeur général des services de Quimper
Pourquoi les 35 heures ne sont pas appliquées ?
J.-L. B. : Au tournant des années 2000, nous étions déjà en dessous des 35 heures effectives, du fait de jours de fractionnement supplémentaires ou de jours « donnés ». Ce ne sont pas des « abus » des agents : les élus les ont mis en place, parfois tacitement ! Ce qui pose aussi difficulté, c’est qu’on lie la durée du travail à l’absentéisme. La loi sur les 35 heures autorisait de faire des semaines de moins de 35 heures, dès lors qu’il s’agissait de droits acquis…
Faut-il envisager la privatisation de certaines missions de service public ?
V. P. : Cette option a toujours été ouverte aux élus, qui peuvent décider de passer des marchés publics ou des délégations de services publics. Tout est faisable et les « allers et retours » d’un mode de gestion à un autre existent. La gestion déléguée n’est pas nouvelle ! Et l’idée selon laquelle la gestion privée coûte moins cher que la gestion publique reste, souvent, à vérifier.
J.-L. B. : Il y a un risque à distinguer « des agents sous statut, des vrais fonctionnaires » et les autres, c’est une vision purement comptable : je n’y crois pas sur le terrain. Si le but est de réinterroger la dépense publique au regard de la demande des usagers, le chiffre de 500 000 postes de fonctionnaires en moins risque d’être compliqué à atteindre. Cela représenterait environ 200 000 agents pour la FPT. La vraie question à se poser, c’est le seuil d’acceptabilité des contribuables, des électeurs, des usagers et des citoyens. Les élus devront d’abord se demander quels services supprimer.
V. P. : Deux cent mille fonctionnaires territoriaux en moins sur 1,8 million aujourd’hui, cela représente une baisse d’environ 12 % des effectifs sur cinq ans. Donc, soit on délègue au privé 12 % des services publics ; soit on réduit les services publics de 12 %. Avec la contrainte budgétaire, il est à craindre que les collectivités n’aient en réalité d’autre choix que de réduire le niveau de service public, ou alors, elles devront se résoudre à le faire payer par les usagers. C’est sur cet aspect que le débat national actuel est défaillant…
J.-L. B. : Les moyens financiers sont une chose ; la question du sens en est, en effet, une autre. Il y a une contradiction entre les deux. Le risque, c’est d’administrer une potion financière sans réflexion d’ensemble. Les élus comprennent la nécessité de participer au redressement des comptes de la Nation. Mais comment ? Les communes, les départements et les régions vont devoir faire des choix lourds.
La complexification de l’action publique locale ne nuit-elle pas aux rapports avec le citoyen ?
J.-L. B. : La mission des cadres territoriaux est précisément de simplifier ce système compliqué. Les élus de proximité sont aussi là pour aider les citoyens, qui, en réalité, sont aussi beaucoup mieux informés qu’auparavant. La lutte contre cette complexité redonne d’autant plus de sens au dialogue local.
V. P. : Les deux maux dont souffre la démocratie locale sont la défiance et l’illisibilité. Les citoyens sont attachés aux services publics locaux, mais en même temps, et de façon paradoxale, manifestent une certaine défiance à l’égard des politiques, qui augmente avec l’importance de la collectivité. Ils critiquent une certaine illisibilité de l’action publique. Ces deux maux se traduisent par un abstentionnisme croissant, qui mine l’action publique. Je constate, en réalité, une absence d’amélioration de l’enchevêtrement des compétences, que les lois « Notre » et « Maptam » ont clarifiées sur le papier, mais se révèlent terriblement complexes dans leur mise en oeuvre.
Y a-t-il trop d’élus ?
Selon Jean-Luc Boeuf, « Il n’est pas sain d’avoir autant d’élus dans autant de structures. En temps, c’est coûteux. A partir du moment où les intercommunalités sont constituées, le nombre de conseillers municipaux pourrait être deux fois moindre dans les grandes communes », prône-t-il. Vincent Potier n’est pas tout à fait sur la même longueur d’ondes. « Tout le temps consacré à ces assemblées fait crash test. Il crée du consensus, sans bloquer le système. In fine, c’est le maire qui décide. Ce n’est pas le système de la IVe République ou des parlements italiens… »