À Naillat, dans la Creuse, comme dans une quarantaine de communes en France, l’heure est à l’expectative : « Que va devenir notre Villa Family avec la mise en liquidation judiciaire de Capmarine (NDLR : en date du 28 juillet 2010), la société gestionnaire ? La commune va-t-elle devoir mettre la main à la poche ? », se demande Jeannine Gillet, maire de Naillat.
Si elle ne cache pas son inquiétude, l’élue reconnaît être, dans l’affaire, largement moins mal lotie que son voisin Jean-Claude Aurousseau, maire de Genouillac, qui doit, lui, trouver le moyen de faire face à une dette de 105.000 euros. « En 2004, au moment de la construction des maisons, l’ancienne équipe municipale a accepté de se porter caution solidaire de l’emprunt contracté par Capmarine. Or, les remboursements ne sont plus honorés depuis longtemps », explique-t-il.
Un terrain contre 1 euro symbolique
Jeannine Gillet et Jean-Claude Aurousseau font la même analyse : sur le papier, le concept Villa Family, également connu sous le nom de « Domiciale », petite structure où un accueillant familial, agréé par le conseil général, prend en charge des personnes âgées ou handicapées, est très séduisant.
Dans la réalité, il s’est avéré décevant à bien des égards. « Le projet semblait particulièrement bien adapté au milieu rural où nous pâtissons d’un déficit terrible d’accueil. Il permet aux anciens de rester dans leur village d’origine, près de leur famille », commente Jean-Claude Aurousseau.
Emballée par le concept, Genouillac, comme toutes les communes qui se sont engagées dans l’aventure, a mis à disposition de Philippe Loubens, concepteur bordelais des Villas Family (1), un terrain viabilisé contre 1 euro symbolique, via un bail emphytéotique de 99 ans. « Capmarine avait exigé que le terrain soit situé en centre-bourg. La commune a sacrifié un bel emplacement arboré contre l’avis des riverains », regrette Jean-Claude Aurousseau.
Le maire n’accable pas pour autant son prédécesseur. « Je crois que j’aurais pris les mêmes décisions. Personne n’aurait pu deviner la suite des évènements ». « Nous avons tout d’abord remarqué que la construction de la maison était de « bric et de broc », puis est intervenue, seulement un an après l’ouverture, la première alerte financière, le remboursement de l’emprunt n’étant plus honoré. Nous avons alors joué le rôle de percepteur, recueillant auprès des résidents les loyers pour les faire parvenir à la banque », précise Jean-Claude Aurousseau, qui ajoute, « nous avons aussi dû veiller à la gestion du personnel, Capmarine se désintéressant du recrutement des accueillants familiaux ».
Des villas désertées ou non livrées
Aujourd’hui, la Villa Family de Genouillac est vide, les accueillants et les résidents sont partis. Celle de Naillat affiche complet, mais la mairesse se plaint, elle aussi, de la faible qualité de la construction. En Corrèze, la Villa Family de Cublac, construite en 2004, n’a jamais été occupée en raison d’un vice de construction alors que celle de Montestruc, dans le Gers, a dû être rasée pour malfaçon.
« Quelle société pourrait reprendre la suite ? Les communes ne feraient-elles pas mieux de diriger elles-mêmes la structure ? », s’interroge Jean-Claude Aurousseau.
De leur côté, des accueillants familiaux témoignent du peu d’attention que leur a accordée Capmarine. Didier M. (2) raconte : « Avec ma femme, nous avons été démarchés par une représentante de la société qui nous a pressés de nous installer dans une Villa Family sans que nous ayons encore d’agrément. La procédure a duré six mois, pendant lesquels Capmarine exigeait que nous payions un loyer alors que nous ne recevions aucun salaire, ce que nous avons refusé. ».
La liste des doléances ne serait pas complète sans celle des propriétaires privés des maisons. Regroupés en association (3) depuis mars 2010, ils se plaignent de loyers non versés, de maisons inoccupées ou encore non livrées du fait de la liquidation judiciaire.
Pour Bernard Vertray, président de l’association, le placement défiscalisé, « conseillé par (sa) banque », s’est transformé en cauchemar. « Je rembourse chaque mois 2 000 euros pour une maison non terminée, en raison d’un chantier stoppé pour malfaçon puis par la liquidation ». Aujourd’hui, il espère réunir l’ensemble des propriétaires lésés ainsi que les maires concernés afin de défendre aux mieux leurs intérêts.
Villa Family : un montage original
Dans chaque entité, cohabitent trois personnes âgées ou handicapées et un accueillant familial. Ce dernier, présent 24h/24, doit être agréé par le conseil général. Il est rétribué par les résidents qui peuvent bénéficier de l’Allocation personnalisé d’autonomie (APA). La structure est financée par des propriétaires privés, séduits par ce placement défiscalisé, liés au promoteur par un bail commercial. L’accueillant familial est lui aussi lié au promoteur par un bail locatif auquel il règle un loyer modéré. En règle générale, les Villas Family sont construites par deux, les accueillants familiaux pouvant ainsi s’épauler. Des conseils généraux, tel celui de l’Ain, se sont lancés dans des projets similaires.
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Notes
Note 01 Il ne nous a pas été possible de contacter Philippe Loubens en l'absence de ligne téléphonique opérationnelle. Retour au texte
Note 02 qui a souhaité gardé l’anonymat Retour au texte
Note 03 Association Propriétaires de Villa Family et Domiciales, Tél. : 03 20 34 71 57. Retour au texte