Luc Picot, directeur de Décider ensemble
L’engagement public doit être valorisé
La rétribution des citoyens dans les processus de participation fait l’objet d’un vif débat. Pour certains, l’idée de reconnaître l’engagement citoyen autrement que par une rétribution symbolique serait contraire à l’éthique civique car la participation citoyenne devrait être le prolongement naturel de la citoyenneté.
Cette vision, si elle n’est pas contestable dans un idéal démocratique, se heurte à la réalité et fait néanmoins abstraction de la question : pourquoi la communauté ne reconnaîtrait pas et ne valoriserait pas l’engagement des personnes qui consacrent du temps au bien commun ?
Tout d’abord, l’indemnisation des citoyens engagés dans des démarches participatives s’inscrit dans la même logique que celle des élus et des membres des assemblées consultatives. Le temps pris sur la vie privée au bénéfice de l’action publique est compensé et valorisé pour ces derniers. De plus, cela existe déjà pour certains types de dispositifs participatifs. C’est le cas pour les conférences de citoyens ou, plus généralement, les démarches de type mini-publics.
La rétribution symbolique, alternative à l’indemnisation, peut prendre plusieurs formes : chèques cadeaux, bons de réductions, billets pour une manifestation (mises en œuvre dans certaines instances de démocratie participative). Ensuite, la question de la rétribution témoigne de l’importance accordée à la participation par la collectivité locale.
Or, si la rétribution est souvent perçue comme une contrainte budgétaire supplémentaire, les sommes en jeu sont en réalité faibles par rapport au coût global des projets. Et il faut rappeler que la concertation est un élément clé de la conception d’un projet, au même titre que les études d’expertise, la communication, etc.
Enfin, il est nécessaire d’être transparent sur les modalités de rémunération et de mobilisation des participants. La rétribution, si elle s’avère utile pour impliquer de nouveaux participants, ne peut pas être envisagée pour tous les dispositifs. Utile pour ceux nécessitant un fort investissement des participants sur le long terme, elle risque d’entraîner une notabilisation des acteurs.
Patrick Norynberg, formateur-consultant, Construire ensemble
La citoyenneté ne se monnaie pas
Envisager la rémunération des participants aux procédures de consultation est une fausse bonne idée. Il est gênant que sur des questions de citoyenneté, de liens sociaux, on insère la valeur marchande. Tout doit-il se monnayer ? Comment espérer restaurer les liens sociaux mis à mal dans notre société actuelle avec une dimension marchande ? Est-ce une solution à la défiance que les citoyens peuvent ressentir vis-à-vis de notre fonctionnement démocratique et de l’action publique ?
En effet, l’indemnisation des participants permet d’éviter de traiter les problèmes de fond qui se posent en matière de démocratie participative, notamment au niveau local où les habitants ne se mobilisent pas suffisamment pour participer à la vie de la cité. Avec cette idée, on ne traite pas la question des enjeux.
Or, mon expérience au contact direct avec les habitants des collectivités permet d’observer que la question de l’utilité du débat public est centrale : l’objet de la décision publique sur laquelle les citoyens sont amenés à discuter est-il utile pour eux-mêmes, pour la collectivité ?
A ces questions, les citoyens apportent plutôt des réponses négatives. Si certains ne se sentent pas légitimes à donner leur avis dans une concertation publique, la majorité d’entre eux sont souvent découragés après une première expérience de consultation publique où le ressentiment de l’inutilité de leur avis est souvent important.
Il y a un vrai malentendu entre, d’une part, les décideurs qui pensent que les citoyens se désintéressent de la chose publique et, d’autre part, les citoyens qui ont l’impression que les décisions sont déjà prises avant même leur consultation. C’est donc sur ces questions qu’il faut travailler, même si cela implique pour les décideurs publics d’accepter que leurs choix soient discutés, modifiés et qu’ils soient peut-être même amenés à exécuter une décision qu’ils n’ont pas choisie.
Ce sont là les leviers pour motiver les personnes à reprendre le chemin du débat public et de la démocratie authentique, pas celui de leur rétribution. Voilà pourquoi je suis réticent à l’idée que donner du temps pour l’action publique puisse faire l’objet d’une rémunération.
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