Réforme de l’Etat

«Grâce aux labels, l’Etat continue de peser sur l’agenda urbain » – Renaud Epstein

| Mis à jour le 01/09/2016
Par • Club : Club Techni.Cités

Fabien Calcavechia

La multiplication des prix et des labels en tout genre – « Diversité », « Ecoquartier », « French Tech », « Cit’Energie », etc – ces dernières années a intrigué Renaud Epstein. Ce maître de conférences à Sciences-Po Saint-Germain-en-Laye y voit un instrument de « gouvernement à distance », de plus en plus plébiscité à l’heure de la décentralisation. L’Etat les utiliserait pour inciter les collectivités locales à se saisir d’enjeux porteurs, stimuler l’innovation à peu de frais et promouvoir ainsi de nouveaux modèles d’action publique. Explications.

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Quels ont été les premiers labels créés par l’Etat ?

Le premier a été le label « Villes et villages fleuris », qui a vu le jour en 1959. D’autres labels ont été créés dans les décennies suivantes, mais ils sont restés peu nombreux et cantonnés au secteur touristique.
Ce n’est que depuis le milieu des années 2000 qu’on assiste à la multiplication des labels, prix et trophées – européens comme nationaux –, qui ne viennent plus distinguer seulement les qualités patrimoniales et paysagères des territoires mais les politiques publiques que les collectivités mettent en œuvre.

Désormais, plus une semaine ne se passe sans qu’un nouveau label ne soit créé à l’initiative d’acteurs publics ou privés. Si tous les secteurs sont concernés, le recours à ces instruments s’observe tout particulièrement dans les domaines émergents de l’action publique, pour lesquels l’Etat ne dispose ni de l’autorité ni des budgets nécessaires pour imposer ses solutions, et souvent plus même de l’expertise pour les définir.
Il n’y a qu’à voir la vague de contestations qu’a suscité la réforme des rythmes scolaires chez les collectivités territoriales… Il ne reste plus qu’à l’Etat le pouvoir de distinguer. Personne ne lui conteste ce point.

Que dit l’essor des labels dans l’évolution des rapports entre l’Etat central et les pouvoirs locaux ?

Les lois de décentralisation successives ont renforcé l’autonomie des collectivités, qui jouent un rôle central dans la conception des politiques publiques et non plus seulement dans leur mise en œuvre. Ces collectivités – en particulier les villes – disposent désormais de capacités d’expertise, d’innovation et d’expérimentation… que l’Etat a perdues !

Dans de telles configurations, les labels comme les prix ou les trophées présentent des vertus non négligeables : en les décernant, les hauts-fonctionnaires de l’Etat central y trouvent un moyen de continuer à peser sur l’agenda urbain. Ces outils leur permettent de mobiliser les cadres territoriaux et les élus locaux, à définir et même hiérarchiser les priorités politiques des territoires.

Concrètement, qu’en retire l’Etat ?

Le recours aux labels et prix territoriaux permet à ce dernier de prendre appui sur les villes et leurs ressources pour construire et conduire ses propres politiques. D’un côté, ces instruments incitatifs – respectueux de l’autonomie locale – organisent l’émulation entre villes pour développer des actions innovantes venant opérationnaliser les priorités étatiques. De l’autre, ils distinguent des modèles à imiter pour toutes les autres collectivités.

Il s’agit donc d’instruments d’orientation des politiques urbaines, d’autant plus prisés par l’Etat que l’octroi d’un label ne lui coûte rien. Le label French Tech est par exemple très prestigieux pour les collectivités qui l’obtiennent mais n’est pas accompagné d’une quelconque gratification financière.

Si le label peut s’avérer onéreux, c’est surtout pour ses bénéficiaires : les collectivités doivent mobiliser des ressources humaines et budgétaires conséquentes pour établir leur dossier de candidature, puis pour mettre en place les projets qui leur ont valu la distinction, et enfin pour en faire la publicité.

Comment la multiplication des labels a-t-elle été accueillie par les élus et les fonctionnaires territoriaux ?

A priori, très positivement. Ils apparaissent aussi sensibles à ces distinctions que les généraux à leurs médailles. Toutes les grandes métropoles sont aujourd’hui engagées dans cette compétition interurbaine, avec des préférences thématiques selon les territoires. Poussées à se concurrencer les unes les autres, elles développent ainsi des techniques de différenciation.

Nantes a un savoir-faire impressionnant en la matière et se positionne sur différents sujets – développement durable, ressources humaines et diversité, aménagement urbain, espaces verts, etc. –, Lyon continue aussi d’accumuler les prix, tandis que Bordeaux s’y est récemment mis à son tour. Remarquons qu’il s’agit essentiellement de villes qui ont le plus précocement mis en place des stratégies d’internationalisation.

Justement, quel est l’apport pour les collectivités locales qui cherchent à conquérir ces distinctions ?

Les élites politiques et administratives voient les trophées et labels comme des atouts dans la concurrence entre territoires. Les bénéfices qu’elles en tirent sur le plan de l’image et de l’attractivité sont cependant très incertains, d’autant plus que l’univers des labels s’avère lui-même très concurrentiel : seuls quelques-uns parviennent à acquérir une notoriété et une légitimité suffisante pour produire des retombées directes sur leurs bénéficiaires.

En réalité, si ces distinctions peuvent être utiles pour les villes, c’est moins sur le registre du marketing territorial que de la gouvernance territoriale. Les concours organisés pour décerner un prix ou un label et la perspective d’être érigé par l’Etat en modèle peuvent ainsi contribuer à la mobilisation d’acteurs publics et privés autour d’un projet commun.

Bien plus que le label, c’est la labellisation qui est ici importante, comme mode de  production de l’action collective dans les territoires. Le label Métropole French Tech a ainsi suscité des coopérations inédites entre institutions concurrentes à l’échelle d’une agglomération ou même parfois d’une aire métropolitaine. Dans le cas d’Aix-Marseille, par exemple, ce label a été plus efficace que la loi Maptam pour obtenir la mobilisation de collectivités rivales et susciter un partenariat.

Est-ce le seul avantage que présente les labels ?

Non, ils permettent aussi aux villes de se constituer un « CV territorial. » Certaines d’entre elles ont compris tout l’intérêt qu’elles avaient à accumuler ces distinctions : si les candidatures aux labels et aux prix territoriaux ont un coût, les villes savent en effet qu’un beau CV peut leur être utile pour décrocher les financements octroyés par l’Etat par le biais d’appels à projets concurrentiels.

En outre, être reconnu par l’Etat comme une ville modèle permet souvent d’influer sur les politiques nationales. Car les initiatives de ces villes modèles ne sont pas seulement promues par l’Etat sur le registre des « bonnes pratiques » ; elles inspirent aussi l’administration dans l’élaboration de nouvelles règlementations.
Dans le champ des politiques urbaines, initiatives locales et politiques nationales sont intimement liées, comme on le voit par exemple avec la réforme récente des attributions de logements sociaux qui transpose dans la loi des mesures expérimentées à Rennes et à Paris.

Cette méthode de management n’a-t-elle pas cependant un effet d’éviction pour les collectivités moins bien armées ?

Il est clair que dans la compétition pour les prix et labels territoriaux, les grandes métropoles sont mieux placées que les villes moyennes. Certaines, à l’image de Nantes ou de Lyon, sont devenues expertes pour décrocher ces récompenses honorifiques et pour en assurer la promotion. Face à de tels compétiteurs, les villes de rang inférieur font difficilement le poids. Pour les inciter à s’engager malgré tout dans le jeu des labels, les prix et trophées peuvent être organisés par catégories de collectivités.

C’est ce qu’a fait par exemple l’Union Européenne avec le prix Capitale Verte Européenne, décerné chaque année à une ville de plus de 100 000 habitants développant des politiques particulièrement ambitieuses en matière de développement durable, qui a été complété l’an dernier par un label « Feuille verte » pour les villes de 20 000 à 100 000 habitants. Objectif ? Mobiliser largement et de façon aussi diverse possible, pour assurer une meilleure dissémination des bonnes pratiques à l’échelle européenne. Aux yeux des organisateurs, l’objectif reste d’ériger en modèle des solutions bien plus que de célébrer les collectivités innovantes. Or, ne mettre en avant que des métropoles nuit à l’effet de diffusion recherché.

Un travail de capitalisation est-il également réalisé de la part des services de l’Etat ou de la Commission européenne sur les opérations réalisées par les collectivités labellisées ?

Oui. Cela peut passer en France par la constitution de clubs de villes labellisées, comme le club Ecocité ou Ecoquartier, avec un travail d’animation qui permet à la fois d’organiser les circulations horizontales entre villes et la capitalisation verticale des expériences. Nul doute que les futures politiques publiques nationales s’inspireront de ces échanges.

L’effet « Club » est néanmoins plus limité dans le cas du label Métropole French Tech, où la concurrence entre métropoles labellisées joue contre leur coopération.

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