Je n’ai pas passé le concours de garde champêtre pour me retrouver policier municipal, proteste Lorainne Nocq. La jeune femme, titulaire d’un master en technologie alimentaire, a quitté son poste dans l’industrie et renoncé à un salaire confortable pour intégrer la police rurale. Un rêve d’enfant. Les menaces qui pèsent sur le métier m’inquiètent, souffle-t-elle.
Et pour cause. Depuis l’été dernier, le secrétaire d’Etat aux Collectivités territoriales, Alain Marleix, a entamé une concertation avec les organisations syndicales représentatives de la fonction publique territoriale et avec l’Association des maires de France (AMF) sur la modernisation statutaire des polices municipales (PM). La dernière réunion a eu lieu le 20 janvier.
Parmi les propositions actuellement discutées, le rapprochement des policiers municipaux et des gardes champêtres. Quelle forme celui-ci prendra-t-il ? La question taraude les intéressés, qui redoutent la fin de leur corporation.
Compétences et statuts
Certains syndicats de PM demandent notre disparition et notre intégration pure et simple dans leurs rangs !, s’insurge Paul Chevrier, secrétaire général du Syndicat national autonome des gardes champêtres contemporains. Toutefois, il ne s’agirait pas de l’option privilégiée lors des dernières rencontres. La modernisation envisagée passerait par un rapprochement, tant des compétences, qui comprendraient celles des gardes champêtres et celles des policiers municipaux, que des statuts, qui seraient alignés sur ceux de ces derniers, dont les carrières sont plus attractives, confie l’entourage d’Alain Marleix. Une harmonisation préconisée par le préfet Jean Ambroggiani dans son rapport de mars 2009.
Il serait donc prévu de créer une seule entité : la police municipale et rurale et un seul cadre d’emplois, qui réunirait deux sortes d’agents, à vocation urbaine et rurale. Les gardes champêtres qui, depuis de nombreuses années, réclament la parité en termes de salaire, de déroulement de carrière et d’âge de départ à la retraite, sont donc satisfaits. Mais ils craignent que leurs pouvoirs de police judiciaire, plus importants que ceux de la PM, ne régressent. Ils sont en effet habilités à constater par procès-verbal certains délits, à exercer le droit de suite et de séquestre, voire à requérir un officier de police judiciaire pour les assister.
Pouvoirs judiciaires
Par exemple, lorsque les gardes champêtres surprennent un automobiliste circulant illégalement dans un espace naturel, ils sont susceptibles d’immobiliser le véhicule et, éventuellement, de le mettre en fourrière. Hervé Benazera est chef de la brigade du syndicat intercommunal des vallées du Havre-Est, qui compte cinq agents et intervient sur le territoire de quatre communes. Nos compétences judiciaires nous permettent d’agir de façon très efficace, souligne-t-il. Nous considérons que notre métier a une place importante à prendre en matière de protection de la nature, de sauvegarde des espèces protégées, etc.
De fait, en vertu de plusieurs articles du Code de l’environnement, dont certains récents, les gardes champêtres peuvent rechercher et constater par procès-verbal les infractions à la législation des parcs nationaux, des réserves naturelles, à la police de l’eau et des milieux aquatiques, etc.
Nous devons, par exemple, amener les agriculteurs à changer leurs habitudes, expose Franck Marcon, garde champêtre pour la communauté de communes des vallées d’Aigueblanche (Savoie). Certains épandent leur fumier dans les champs au printemps, sans tenir compte de la proximité de points d’eau et de ruisseaux. Cela crée des pollutions nuisibles pour la faune et la flore. En amont, nous essayons de les informer. S’ils continuent, nous les sanctionnons.
Et Jacques Armesto, président national de la Fédération des gardes champêtres communaux et intercommunaux de France, de préciser : En matière de police de l’environnement, nous avons les mêmes pouvoirs qu’un agent de l’Etat, de la Drire [direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement], de l’ONF [Office national des forêts] ou de l’ONCFS [Office national de la chasse et de la faune sauvage], à l’exception du contrôle de la qualité de l’air ou des installations classées. Nous craignons, lors de cette remise à plat de notre statut, de perdre certaines de ces prérogatives et de ne plus pouvoir gérer les problématiques propres à la ruralité.
En outre, l’intéressé rappelle que ce serait une grave erreur pour les campagnes où les services de l’Etat se font de plus en plus rares. Malgré une volonté politique affichée d’aller vers un meilleur respect de l’environnement, il y a de plus en plus de territoires où il n’y a plus que nous pour faire respecter la loi, poursuit Jacques Armesto. C’est dire si notre vieux métier reste d’actualité.
Déficit d’image
Reste que les gardes champêtres sont de moins en moins nombreux. Selon le préfet Ambroggiani, ils sont aujourd’hui environ 1 800, contre 20 000 en 1950. Notre profession souffre d’un déficit d’image, regrette Paul Chevrier. Pourtant, de nombreux candidats se présentent aux concours. Il y avait 303 inscrits à l’épreuve que j’ai passée à Chartres en 2009, détaille Lorainne Nocq. Dix ont été retenus. Il y a peu de place aux concours, car recruter un garde champêtre n’est plus la priorité des maires des petites communes, regrette Jacques Armesto. Nous espérions que la possibilité offerte aux communautés de communes d’engager un garde champêtre sauvera le métier. Il y a eu très peu d’embauches.
Toutefois, la réforme pourrait changer la donne. Il suffirait d’instaurer un seuil, conclut Hervé Benazera. Par exemple, que les communes de moins de 1 500 habitants qui souhaitent créer un poste de PM ne puissent se doter que d’un policier rural.
TÉMOIGNAGES
« J’ai dû m’adapter à l’évolution de la population »
Marc Biscarrat, garde champêtre à Cairanne (Vaucluse)
Je suis dans la profession depuis quinze ans. Avant, j’étais responsable d’un magasin de pièces et d’accessoires automobiles. Quand le garde champêtre de Cairanne est parti à la retraite, j’ai passé le concours et j’ai été recruté. Je suis natif du village. J’y ai exercé un mandat comme conseiller municipal. Je connais les rouages de la vie communale, cela m’aide. Au cours de toutes ces années, j’ai dû m’adapter à l’évolution de la population. De nombreuses villas se sont construites. J’ai dû mener un travail de fond pour que les petits entrepreneurs n’aillent pas jeter leurs gravats dans la nature. Je fais beaucoup de prévention. Il m’arrive parfois de mener des enquêtes pour retrouver l’auteur d’un dépôt sauvage. Je dois aussi être au fait des textes législatifs. Les décrets d’application de la loi sur la détention de chiens dangereux sont sortis fin 2009. Il a fallu que je recense les propriétaires, que je les informe et les guide dans leurs démarches.
« La mutualisation du service présente de nombreux avantages »
Jean-Louis Bouton, directeur du syndicat mixte des gardes champêtres intercommunaux du Haut-Rhin
La brigade a été mise en place à l’initiative du conseil général en 1989. Elle compte 58 gardes champêtres. Elle reste une structure unique en France. Le budget du syndicat, de 3 millions d’euros, est alimenté pour moitié par le département et pour l’autre moitié par les 308 communes adhérentes. La mutualisation du service présente de nombreux avantages. D’abord, nous intervenons 7 jours sur 7, toute l’année, avec une couverture horaire de 7 heures à 22 heures l’hiver. Ensuite, les équipements et la gestion du personnel sont pris en charge par le syndicat. Nous pouvons aussi aligner du personnel en fonction des événements : carnaval, manifestations, etc. Enfin, le fait que nos agents ne soient pas attachés à un village plutôt qu’à un autre évite le copinage et leur permettent de rester plus neutres.
Cet article fait partie du Dossier
Les métiers de la sécurité publique
Sommaire du dossier
- Introduction – Des métiers en plein essor
- Police municipale : La « troisième force de sécurité » à la croisée des chemins
- Portrait robot d’une police municipale en ville moyenne
- Quelle place pour les polices municipales : opinion d’élus et de professionnels
- Vidéo : Portrait d’une chef de service de police municipale
- Revendications sociales : les syndicats de police municipale engagent le bras de fer
- Entretien avec le président de l’AMF sur le volet social de la profession
- Responsabiliser les agents de police municipale pour les motiver
- Agents de surveillance de la voie publique en quête de statut
- Garde champêtre, un métier plein de promesses, mais menacé
- L’armement des agents de police municipale en 10 questions
- La filière police municipale en 10 questions
- Les agents de police municipale en 10 questions
- Les directeurs de police municipale en 10 questions
- Les gardes champêtres en 10 questions