Les 71 pôles de compétitivité que compte l’Hexagone sont à l’heure du bilan avec deux évaluations concomitantes sur leurs performances individuelle et politique. Evaluation qui a lieu dans le cadre de la réforme des pôles dont le coup d’envoi a été lancé le 4 mars 2016 par Bercy.
Cette démarche intervient alors que la réforme territoriale, qui a élargi le périmètre et les compétences économiques des régions jusqu’alors aux mains des départements, commence tout juste à se mettre en œuvre. « Le problème que nous rencontrons avec la loi Notre est que le volet financier est incomplet, estime Martial Saddier, vice-président de la région Auvergne – Rhône-Alpes, délégué aux entreprises, à l’emploi et au développement économique. Les départements ne peuvent plus assurer les dépenses car celles-ci ont été transférées aux régions, sans qu’il y ait eu pour autant un transfert des financements. »
L’investissement des départements en matière de développement économique a été évalué à 1,6 milliard d’euros, d’après l’ARF. Celle-ci évoque 500 millions d’euros, qui devraient alors revenir aux régions afin de pallier le retrait des conseils départementaux. De même, un accord se profile avec le gouvernement pour déterminer une mesure dans la prochaine loi de finance permettant aux régions de disposer de cette somme à partir du prochain budget.
Transfert de compétences
En attendant, « si la loi décrit les nouvelles missions des régions au regard du développement économique, elle n’est pas précise sur la manière de les accomplir », pointe du doigt Jean-Luc Beylat, président de l’Association française des pôles de compétitivité. Le débat porte donc sur la façon dont chaque région va épouser cette dynamique.
« C’est un souci que l’on n’a pas réglé mais nous nous en sommes entretenus avec le Premier ministre qui semble disposé à le résoudre, fait savoir Alain Rousset, président du conseil régional d’Aquitaine – Limousin – Poitou-Charentes. Nous sommes dans une année de transition et nous discutons avec la direction générale des collectivités locales et Matignon sur la capacité des départements à continuer à intervenir dans le financement des pôles. Car, chez nous, cela concerne une centaine de millions d’euros. En attendant, nous fonctionnons sur nos fonds. »
Autre exemple, avant la loi « Notre », le département de la Haute-Savoie finançait à hauteur de 3 millions d’euros le pôle Mont-Blanc industrie. « La région Auvergne – Rhône-Alpes ne possède pas les fonds pour investir une telle somme, souligne Martial Saddier. La situation est ubuesque, d’un côté, les départements veulent investir mais ne le peuvent pas et, de l’autre, les régions le doivent mais ne le peuvent pas. »
La région Bourgogne – Franche-Comté a, quant à elle, décidé qu’il n’y aurait pas de rupture économique du fait de la mise en œuvre de la loi. « Nous avons trouvé les moyens en augmentant les dépenses de fonctionnement de la région », rapporte Marie-Guite Dufay, présidente de la nouvelle région.
Nouvelles régions
Du côté des pôles de compétitivité, ce transfert de compétences aux conseils régionaux est considéré comme « une bonne chose car les leviers d’action sont pertinents », estime Didier Frommweiller, directeur général du pôle de compétitivité Alsace biovalley. Les pôles envisagent d’ailleurs cette réforme et la fusion des régions comme un moyen de rapprochement.
« Pour nous, c’est une opportunité d’engager un processus de fusion avec un autre pôle de compétitivité Elopsys, basé à Limoges, afin d’en créer un nouveau, effectif le 1er janvier 2017, avec une surface d’activités plus importante », rapporte Hervé Floch, directeur général du pôle Route des lasers en région Aquitaine – Limousin – Poitou-Charente.
En Bourgogne – Franche-Comté, Bertrand Gauvain, délégué général du pôle nucléaire Bourgogne, entend profiter de la nouvelle région pour « rassembler des forces pour la fabrication d’importants composants pour l’énergie, avec un rapprochement à trouver avec le cluster Vallée de l’énergie situé à Belfort ».
« Il faut travailler ensemble et mettre en place des passerelles interpôles entre les régions, affirme Jean-Luc Beylat. Les pôles savent le faire. » « Nous avons toujours été ouverts à d’autres territoires que celui de l’Alsace et nous allons continuer à fonctionner ainsi à l’aune de la nouvelle région », confirme Didier Frommweiller. En revanche, une interrogation demeure : l’implication de l’Etat.
Une vraie décentralisation
Au-delà du transfert de compétences, le mode de financement des pôles est également en cours de réflexion. Aujourd’hui, il repose sur le FUI pour lequel il y a un cofinancement Etat-collectivités-entreprises pour des projets de R & D à vocation économique.
« Nous restons vigilants sur la façon dont va être maintenu le FUI dans le projet de loi de finances, soulève Jean-Luc Beylat. A ce jour, il est de 85 millions d’euros, il était de 200millions. Il y a eu une baisse importante du fait des contraintes pesant sur les finances publiques. Cela inquiète les pôles. »
Le financement des pôles s’appuie aussi sur les crédits d’animations et de gouvernance, versés par l’Etat et les régions. Le curseur entre les deux parts n’a pas encore été fixé. Il devrait l’être d’ici à juin. « Si l’Etat considère que l’animation des pôles doit aller aux régions, alors il ne doit pas assécher la ligne budgétaire l’année précédant le transfert, met en garde Martial Saddier. C’est un autre sujet d’inquiétude. »
Le Premier ministre, Manuel Valls, et le président de l’ARF, Philippe Richert, ont cependant mis en place fin mars une plateforme Etat-région prévoyant, dans le cadre de la réforme des pôles de compétitivités, l’accroissement de la décentralisation de l’Etat vers les régions en matière de coordination et d’animation. Il est important, selon l’ARF, de se donner l’objectif d’une vraie décentralisation, ce qui implique un transfert de compétences et de moyens.
Financement de l’Etat
Pour les pôles de compétitivité, il est fondamental de maintenir un soutien financier en provenance des deux piliers que sont l’Etat et les régions. « Nous avons besoin du conseil régional en ce qui concerne les actions territoriales ancrées sur les entreprises et de l’Etat pour une politique générale de compétition, d’animation des filières et de développement des entreprises, considère Didier Frommweiller. Il ne faudrait pas que les régions soient les seuls financeurs. Toutefois, je ne pense pas que l’Etat décide de se retirer puisque les pôles ont prouvé qu’ils apportaient de la valeur ajoutée à l’industrie et à l’économie. »
Et de poursuivre : « Actuellement, nos financements sont sécurisés pour 2016, mais nous nous posons des questions pour la suite. Nous sommes plutôt sereins car la région assure la continuité du soutien à notre pôle. Mais elle n’en connaît pas les modalités. » En Bourgogne – Franche-Comté, Bertrand Gauvain n’exprime pas vraiment de crainte pour l’avenir. Bien qu’il attende de connaître la politique de la région sur l’industrie, les pôles et les clusters, il n’imagine pas les régions se priver du dynamisme des pôles.
Quel modèle économique ?
« Nous avons échangé avec notre région afin de nous assurer qu’elle serait toujours présente dans notre modèle économique, a minima à force constante, ajoute Hervé Floch. A ce jour, nous n’avons pas de réponse officielle. » Il s’interroge aussi sur la présence de l’Etat à partir de 2017 et ne sait d’ailleurs pas comment bâtir son modèle économique.
Dans l’attente des directives étatiques, les régions se veulent aujourd’hui rassurantes, malgré tout, vis-à-vis des pôles. « Nous n’avons pas encore évalué l’ensemble de nos mesures puisque les décisions n’ont pas encore été prises par l’Etat, indique Alain Rousset. Mais, pour le moment, il n’y a pas de changement dans nos rapports avec les pôles de compétitivité. La proximité est déterminante, le modèle centralisé ne peut pas fonctionner. »
« L’Etat, les régions et les pôles, tout le monde s’accorde sur les enjeux »
Jean-Luc Beylat, président de l’Association française des pôles de compétitivité
Le gouvernement montre que les pôles de compétitivité et le programme de la Nouvelle France Industrielle sont deux axes importants pour le développement économique, et cela se décline avec les régions. Il faut une bonne coordination entre la dynamique régionale et nationale. Sur les enjeux, tout le monde est d’accord : il y a un besoin de développement économique, d’innovations et de personnes travaillant ensemble. Les orientations sont visibles, il est donc de la responsabilité des parties prenantes – à savoir l’Etat, les régions et les pôles – de converger vers une réponse adaptée.
Une plateforme Etat-région
Manuel Valls et Philippe Richert, le 30 mars à Matignon.
Le 30 mars, le Premier ministre, Manuel Valls, et le président de l’ARF, Philippe Richert, ont lancé une plateforme Etat-région afin d’impulser ensemble une nouvelle dynamique pour l’emploi et le développement économique. Composée de trois volets – à savoir, l’emploi, l’apprentissage et l’enseignement professionnel, et l’économie –, cette plateforme développe les engagements des deux parties afin de trouver des solutions pragmatiques pour relancer l’emploi en France.
Les régions se réjouissent de cette avancée et considèrent que les relations avec l’Etat doivent se concrétiser par un dialogue permanent et plus équilibré avant toute prise de décision impactant leurs politiques publiques et leurs ressources.
Références
Cet article est en relation avec le dossier
Thèmes abordés