A l’heure où certains discours accusent ni plus ni moins certains quartiers prioritaires de la politique de la ville de se dresser contre la République, la compilation des chiffres les plus récents montre au contraire que la promesse républicaine reste majoritairement à concrétiser sur ces territoires, malgré leurs besoins, immenses.
Le rapport 2015 de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV), qui est aussi son premier suite à sa création récente, fait en effet état de nombreuses inégalités persistantes entre les quartiers prioritaires et leurs agglomérations environnantes. La réduction des écarts – objet même de la politique de la ville – semble au point mort.
« Nous avions la volonté de rendre intelligible la situation des quartiers populaires, qui cristallisent aujourd’hui nombre de fantasmes et de peurs. Nul ne pourra désormais nier la réalité que vivent leurs habitants », explique la secrétaire d’Etat à la Ville, Hélène Geoffroy. Seul hic, et non des moindres, toutefois : la récente évolution de la géographie prioritaire a empêché l’Observatoire de relier cette « photographie à T zéro » avec la situation passée, et donc d’analyser à l’aide d’indicateurs fiables l’efficacité des politiques publiques et l’impact des dispositifs déployés par le gouvernement.
Ces 283 pages de chiffres bruts, cartes et autres tableaux ont été découpées en vingt-trois chapitres par l’ONPV, dont nous retenons cinq idées essentielles.
Une précarité sociale encore plus prégnante
Les 1514 quartiers prioritaires étant « pour près de la moitié d’entre eux d’anciennes zones urbaines sensibles (ZUS), et pour un tiers dans d’anciens quartiers couverts par un contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) », l’on retrouve dans la nouvelle géographie prioritaire nombre de caractéristiques déjà décrites avec précision dans les précédents rapports de l’ex-ONZUS. Quoique dans des proportions encore plus prononcées que lors des années précédentes.
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Sélectionnée à partir d’un critère de pauvreté, « la population est jeune, peu scolarisée et plus souvent étrangère. Les familles monoparentales sont deux fois plus fréquentes que dans les agglomérations où ces quartiers se situent », résume l’Observatoire, qui remarque au passage que « les femmes sont plus souvent seules cheffes de famille et en dehors du marché du travail. »
La secrétaire d’Etat à la Ville, Hélène Geoffroy, note, pour sa part, l’existence de véritables déserts médicaux… en milieu urbain : « les médecins spécialistes libéraux sont 3,4 fois moins présents dans les quartiers prioritaires que sur l’ensemble de leurs agglomérations, tandis que les médecins généralistes sont, eux, 1,5 fois moins nombreux » note-t-elle dépitée. « Nos quartiers populaires connaissent de réelles difficultés sociales, éducatives, économiques freinant de fait l’intégration de leurs populations à la société française. »
Développement économique : le plafond de verre de l’emploi
Et pour cause : si l’insertion professionnelle est souvent présentée comme une voie d’intégration, elle demeure aujourd’hui toute relative pour la population des quartiers prioritaires.
« En 2014, le taux de chômage de leurs résidents s’élève à 26,7% contre à peine 10% dans le reste des agglomérations. Ce taux de chômage élevé touche tous les niveaux de qualification : s’il est très important chez les actifs s’étant arrêtés au BEP ou CAP (31,7%), il atteint 18,8% pour les titulaires d’un Bac+2 et plus, soit un niveau trois fois plus élevé que dans les unités urbaines environnantes pour ces mêmes niveaux de diplôme » peut-on lire dans le rapport.
Le président de l’ONPV, Jean Daubigny, s’inquiète notamment de la situation préoccupante dans laquelle se trouvent les femmes de 30 à 49 ans résidant dans les quartiers prioritaires.
« Plus de la moitié sont soit en inactivité (37,4% dans les QPV, contre 15% dans leurs agglomérations) soit au chômage (14,2% contre 7,2%). Sans compter que celles qui disposent d’un emploi – souvent fortement corrélé au niveau de diplôme – sont aussi surreprésentées en ce qui concerne les temps partiels subis », se désole l’ancien préfet d’Ile-de-France.
Par ailleurs, les actifs ne sont pas dans une situation particulièrement enviable, puisqu’ils occupent en règle générale des métiers moins qualifiés : 51% des hommes sont ouvriers (contre 26% en moyenne) et 59% des femmes employées (contre 42%). Une statistique qui s’explique par des niveaux de diplôme en moyenne plus bas, mais pas seulement puisque le phénomène touche aussi les plus diplômés.
« Chez les titulaires d’un diplôme de niveau Bac+5 ou plus, 53% occuperont un emploi de cadre contre 71% de leurs voisins de même niveau de diplôme », note l’Observatoire.
Education : la mixité scolaire à la peine
Autre révélation contenue dans ce précieux rapport : deux tiers des collégiens résidant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville étudiaient ensemble en 2015, dans 785 établissements « souvent classés dans le réseau d’éducation prioritaire. Ces collèges bénéficiant de moyens pédagogiques supplémentaires se caractérisent toutefois par une faible mixité sociale, car ils accueillent majoritairement des élèves de classes sociales défavorisées », observe le président de l’ONPV, Jean Daubigny.
Une concentration qui, a contrario, explique aussi que 2111 des 6821 collèges français n’accueillent aucun élève originaire de ces territoires.
Quoi que l’on en pense, l’enjeu de la mixité scolaire reste donc bel et bien une bataille d’avenir. Pour ne rien arranger, les collégiens résidant en QPV sont deux fois plus souvent encadrés « par des enseignants de moins de 30 ans, disposant d’une moindre ancienneté et donc de moins d’expérience pédagogique » pointe le rapport.
Une situation globale qui, conjuguée au fait que la rotation d’effectifs d’enseignants est plus élevée dans le réseau de l’éducation prioritaire qu’ailleurs, n’est peut-être pas totalement étrangère aux taux plus importants d’échecs scolaire (24,6% d’échec au brevet, contre 13,9% ailleurs) ainsi que d’orientation vers une filière professionnelle.
Une rénovation urbaine satisfaisante, sans effets magiques
Le premier programme de rénovation urbaine – appliqué sur 428 des 751 ZUS et aujourd’hui achevé à 75% – laissera progressivement place à un second plan de renouvellement urbain qui concernera, pour sa part, environ 11% des logements sociaux métropolitains et des populations plus pauvres. Alors que le PNRU 2, amené à se déployer jusqu’en 2024, devra être, aux termes de la loi, co-construit avec les habitants, le rapport 2015 de l’ONVP fait état du ressenti de certains habitants face à ces opérations de démolition/reconstruction.
Ils sont, en moyenne, quatre fois plus nombreux à continuer de percevoir des problèmes de réputation (52% contre 13%) et deux fois plus à constater des faits de délinquance (50% contre 24%). Ce qui ne les empêche pas d’avoir, dans l’ensemble, « une opinion plutôt positive de leur quartier et de leur logement, même s’ils sont plus nombreux à vouloir le quitter. »
L’amélioration de l’isolation phonique des logements est réelle selon les habitants eux-mêmes (elle était demandé par 36% d’entre eux en en 2002, contre 27% en 2013) comme de la qualité de l’air.
Plus de délinquance générant une forte insécurité
« Pour la plupart des actes de délinquance étudiés (1), les communes qui comprennent un ou plusieurs quartiers prioritaires connaissent des taux de délinquance supérieurs que les autres villes », constate l’ONPV, à partir des chiffres du ministère de l’Intérieur. Des statistiques qui sont encore encore plus élevées dans les communes disposant d’un quartier en zone de sécurité prioritaire (ZSP).
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Etant donné les nombreuses ruptures statistiques des dernières années, les chiffres de la délinquance enregistrée méritent néanmoins plus que jamais d’être croisés avec l’enquête de victimation de l’ONDRP, bien que réalisée sur l’ancienne géographie prioritaire des ZUS.
Les atteintes aux biens sont toutes plus fréquentes, contrairement aux atteintes personnelles qui diffèrent peu selon le lieu d’habitation.
Le sentiment d’insécurité ressenti par les habitants des ZUS demeure stable en 2015, mais toujours plus important que dans les autres quartiers voisins. Plus souvent témoins de pratiques porteuses d’insécurité, un habitant sur quatre dit se sentir en insécurité dans son quartier, contre un habitant sur sept, ailleurs
Décidément, que l’on parle des chiffres du ministère de l’Intérieur ou de ceux de la politique de la ville, changer de thermomètre ne fait pas diminuer la température.
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Notes
Note 01 à savoir les vols avec armes, les vols violents sans armes, les vols sans violence contre des personnes, les coups et blessures volontaires, les cambriolages, les vols de véhicules et les vols dans ou sur véhicules Retour au texte