« Avec 34,6 % des crédits bancaires nouveaux accordés en volume et en nombre, La Banque postale et le pôle public qu’elle constitue avec la Société de financement local (Sfil) dominent, pour la première fois, les financements bancaires nouvellement souscrits en 2015 », constate Matthieu Collette, responsable des études économiques et financières au sein du cabinet Finance active. Derrière suit le groupe BPCE, avec 25,9 % de nouveaux crédits.
Si, à La Banque postale, on ajoute la Banque européenne d’investissement (BEI), l’Agence France locale (AFL), la Caisse des dépôts, la banque du Conseil de l’Europe (CEB) ou l’Agence française de développement (AFD), offrant des financements alternatifs, les établissements publics ou parapublics ont capté, en 2015, près de 70 % des besoins d’emprunts des collectivités. Cette domination de plus en plus forte de La Banque postale et des autres établissements publics ou parapublics pourrait déstabiliser le marché.
Du jamais vu
Cette mainmise sur le flux du crédit des collectivités françaises n’est pas sans conséquence : « La multiplicité des prêteurs, liée à l’excès d’offre, s’est traduite par une concurrence accrue entre sources de financements », décrypte Matthieu Collette, avec des effets baissiers sur le taux d’intérêt moyen constaté sur le panel, qui a atteint un niveau plancher de 1,75 %. Du jamais vu. Autre effet bénéfique pour les collectivités, les banques se laissent plus facilement convaincre pour prêter à long terme : « La durée moyenne atteint vingt-trois ans pour les emprunts de l’AFD, l’AFL, la Caisse des dépôts, la CEB et la BEI. Il y a quatre ans, on n’en trouvait pas », se souvient l’expert de Finance active. Cet argument a davantage convaincu les syndicats (emprunts à 19,7 ans en moyenne) que les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) ou le bloc communal, qui ont préféré les emprunts à seize ans en moyenne.
Enfin, la concurrence exacerbée s’est illustrée sur les marges des prêteurs qui se sont effondrées et sont passées, pour la première fois depuis 2011, en dessous de la barre des 100 points de base (PDB) sur Euribor (contre 135 en 2014 et 175 en 2013), tirées vers le bas par les offres plafonnant à une cinquantaine de PDB formulées par La Banque postale au printemps.
Palier une déficience du secteur privé
La stratégie de cette banque, qui a toujours assuré ne pas vouloir dépasser les 25 % de parts de marché, interpelle. Si la principale contrepartie des collectivités reste le groupe BPCE (22,2 % de l’encours total), les banques publiques (Caisse des dépôts, BEI, Sfil – Banque postale et Dexia) doublent leur part de stock de dette des collectivités, passant de 20,8 % à plus de 40 % entre 2014 et 2015. Désormais, elles dominent donc un marché sur lequel elles sont intervenues pour palier une déficience des banques privées lors du « credit crunch » (limitation de l’offre de financement).
Que des opérateurs publics ou parapublics prêtent à des acteurs publics n’a rien de choquant. Mais, paradoxalement, leur expansion pourrait, demain, faire sortir les prêteurs privés du marché : « Il y a un risque d’éviction », concède Matthieu Collette. Ce phénomène s’esquisse déjà avec le financement obligataire. Appelé à se développer, il avait atteint 6,7 % de l’encours total des collectivités fin 2013, pour s’effondrer à 4,1 % en 2014 et stagner à 4,8 % l’an dernier. « Il n’y a pas eu de nouvel émetteur et les émissions ont été plus petites », regrette Matthieu Collette.
Le problème viendrait moins des conditions d’accès à cette source de financement, pourtant parfois contraignantes, que de la compétition acharnée entre banques commerciales et opérateurs alternatifs, qui a poussé les premières à rapprocher leurs offres des secondes : alors que le taux moyen du marché obligataire était de 1,16 %, celui des banques a diminué, on l’a vu, à 1,75 % en moyenne. « Dans ces conditions, les collectivités ont préféré se tourner vers leur établissement habituel et de proximité plutôt que d’expérimenter une nouvelle source, même plus compétitive », analyse le responsable de Finance active.
Si les opérateurs privés pourraient être tentés de sortir du jeu, rien ne dit que les banques publiques puissent poursuivre leurs activités à ce rythme. Constatant qu’il n’y a plus défaut de marché, la Commission européenne pourrait, en effet, mettre la pression sur l’Etat français pour réduire les ambitions de ses opérateurs. En résumé, plus La Banque postale et consorts s’activent, plus ils contribuent à fragiliser la stabilité du marché du crédit, constatée depuis l’an dernier : « Il n’y a pas de certitude sur les années à venir », se contente de dire Matthieu Collette, qui encourage toutefois les collectivités à diversifier plus que jamais leurs sources de financement.
« Une France à deux vitesses »
Mais toutes n’en ont pas eu la possibilité l’an dernier, et ce ne sera vraisemblablement encore pas le cas cette année. En effet, les données de l’observatoire recueillies par le cabinet de consulting mettent en évidence « une France à deux vitesses ». D’un côté, les grandes métropoles et les EPCI pour qui « le recours à l’emprunt n’est plus une question ». Compte tenu des liquidités sur le marché, de la concurrence entre prêteurs, des garanties offertes et de la résistance des ratios financiers de ces collectivités, « elles ont l’embarras du choix ». En revanche, les petites collectivités ou celles en difficulté financière n’auront guère le choix qu’entre une ou deux banques et peut-être la Caisse des dépôts.
Ce phénomène, déjà observé l’an dernier, ne remet pas en cause le volume des besoins de financements de collectivités françaises, défini par Finance active à 8,6 milliards d’euros dans son baromètre par rapport à son panel qui représente environ 50 % du marché, et confirmé pour l’ensemble des collectivités à un peu moins de 17 milliards par Standard & Poor’s en février dernier. L’agence de notation a, de plus, anticipé une reprise de la demande de prêts cette année à 17,5 milliards et même à 19 milliards d’euros en 2017.
L’orientation du marché s’annonce donc soutenue, d’autant que les collectivités ont vu passer les grandes échéances électorales et les réformes territoriales qui les paralysaient, et apprivoisent plus ou moins la baisse des dotations. Par ailleurs, elles apurent aussi des comptes qui, pour certaines d’entre elles, étaient plombés de produits structurés. L’observatoire fait état de 4,2 % d’encours de dette « encore constitués de produits structurés risqués ».
Les opérations de désensibilisation, accompagnées par le fonds de soutien aux produits structurés mis en place l’an dernier par le gouvernement, ont permis de diluer ces produits à risque dans des nouveaux encours, avec deux conséquences. D’une part, la proportion de dette hors charte Gissler (classée 6 ou F) passe à 1,9 % du total de l’encours des collectivités au 31 décembre 2015, contre 2,6 % l’an dernier et 5,8 % en 2010. Une tendance qui fait penser que, d’ici à la fin de l’année, « la question des emprunts structurés ne se posera plus au niveau national », estime Matthieu Collette.
Méthodologie
Le baromètre a été établi sur 96,6 milliards d’euros d’encours de dette au 31 décembre 2015, soit plus de la moitié de l’encours de dette des administrations publiques locales au sens Insee. Plus de 1 300 emprunteurs et plus de 44 000 emprunts ont été examinés.
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