« Laïcité et neutralité ont besoin d’être clarifiées, affirme le professeur de droit, responsable du DU « religions et société démocratique », de l’université de Montpellier, Gérard Gonzalez. Les concepts de séparation des églises et de l’Etat, du vivre-ensemble, sont souvent mal compris. »
Le ministère de l’Intérieur subventionne le DU « religions et société démocratique » depuis son ouverture au monde professionnel, notamment aux cadres religieux. Donne-t-il des consignes sur son contenu ?
C’est dans le sillage des différentes lois sur les signes religieux que le ministère de l’Intérieur a ciblé la formation de cadres religieux musulmans, en particulier ceux venant de pays étrangers. Le DU ne s’adresse pas aux « jeunes des quartiers », mais à des personnes en situation d’autorité, présente ou future, ou d’influence. Nous les sensibilisons au contexte dans lequel ils évoluent, nous apportons des réponses à des acteurs de premier plan dans des secteurs sensibles. Mais ce diplôme de « formation civique et civile », pour reprendre une expression générique du ministère de l’Intérieur, n’a pas vocation à « former des imams », ce n’est pas le rôle de l’université publique !
Les directives du ministère de l’Intérieur, dont le bureau des cultes réunit les directeurs des DU deux fois par an, sont très souples : proposer environ 130 heures de formation, un « noyau dur » juridique d’au minimum 50 à 60 % des cours et assurer une dimension transversale, dans laquelle interviennent la sociologie, l’histoire, la science politique. Laïcité et neutralité sont des notions qui ont besoin d’être clarifiées, on entend beaucoup de bêtises…
Tous les DU actuels dépendent des facultés de droit. Plusieurs nouvelles formations viennent d’ouvrir à la rentrée 2015 à Lille, à La Réunion et à Mayotte, et celle de Lille a même repris notre intitulé, « religions et société démocratique ». Un DU devrait encore ouvrir à Paris, qui en possède déjà deux, à la rentrée 2016.
Nous sommes totalement libres d’inviter les conférenciers de notre choix, universitaires, avocats… Cette année, je ferai aussi intervenir une ethnologue, spécialiste de l’identité…
L’ouverture au monde des « professionnels » a-t-elle réussi ?
Ils représentent près de la moitié des inscrits. Signe de la montée du fait religieux dans la société, les inscriptions ont été bouclées à 39 personnes cette année, au lieu de 20 l’an dernier. Si cette demande devait s’accroître, cela poserait des problèmes logistiques et financiers et pourrait remettre en cause la gratuité, à laquelle l’Université de Montpellier est attachée.
La majorité des étudiants est de confession musulmane. Parmi les professionnels, nous avons deux imams, des aumôniers d’hôpitaux ou prisons, des responsables associatifs, un directeur d’hôpital. Je regrette le manque de mobilisation au sein de la fonction publique. La dimension territoriale est pourtant forte, par exemple dans le droit administratif des cultes, la police administrative… La fonction publique, nationale ou locale, porte l’habit de la laïcité et un devoir de neutralité. Les élus et agents des collectivités sont directement confrontés à des situations problématiques liées à la religion : au service de la petite enfance, à la crèche, à la cantine, pour l’encadrement des manifestations… Que fait un DRH lorsqu’un employé arrive avec un voile ? Comment une collectivité répond à des parents qui réclament un certain type de repas ?
Avez-vous intégré dans les cours l’actualité, les attentats, l’état d’urgence ?
Nous sommes en prise directe avec l’actualité. Depuis les attentats, nous avons beaucoup de questions sur l’état d’urgence, la restriction des libertés… Nous nous efforçons d’avoir un discours apaisant. Plus globalement, nous adaptons les cours aux demandes et aux expériences. Une autre raison pour laquelle il est dommage de ne pas avoir plus de représentants de collectivités.
Comme la plupart des professionnels ne possèdent pas de bases juridiques, nous les formons en amont à l’apprentissage de la lecture des textes. Globalement, les échanges sont souvent vigoureux, j’ai abordé récemment la liberté de religion à l’hôpital et les débats ont été agités.
Nous utilisons notamment les mises en situation, un professeur a même organisé un procès fictif. Pour les grands principes des religions, nous avions fait appel à des responsables religieux à titre expérimental, mais dorénavant, nous ferons plutôt intervenir des universitaires. Ils sont moins sujets à caution.
Globalement, comment sont perçus les principes de laïcité et de neutralité de la fonction publique ?
La vision du droit français est souvent faussée. Les musulmans le considèrent discriminant, plutôt « laïcard ». Ils ressentent des différences de traitement entre les cultes, constatent que les dernières lois « visent » le monde musulman, pensent que « la laïcité, c’est contre la religion ». Or, le principe en droit, c’est la liberté de religion, comme l’a clairement dit le Conseil d’Etat.
Ils ont du mal à comprendre pourquoi les juges ont une place si importante, s’étonnent souvent des divergences d’interprétations de la jurisprudence. Nous expliquons alors le rôle du juge, la redéfinition des contours et des limites, étudions les arrêts des tribunaux administratifs, du Conseil d’Etat et de la Cour européenne des droits de l’homme.
Les principaux contentieux sont liés aux pratiques du culte musulman, sur les signes religieux, l’abattage rituel, le financement des lieux de culte, mais pas seulement. Il y a aussi les sectes, la circoncision rituelle, l’affectation des églises…
Nous montrons le principe du juge « protecteur » de la liberté de religion, à l’exemple de l’injonction adressée par le Conseil d’Etat début novembre à la commune de Fréjus, qui refuse l’ouverture d’une mosquée déjà construite. Il est important de faire comprendre que la liberté de religion est protégée, mais qu’elle implique des devoirs. Si nous parvenons à rendre audible au moins 50 % de nos enseignements, nous pouvons considérer que le contrat est rempli.
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