Victimes du paradoxe où devenir vieux intervient « de plus en plus tôt sociologiquement et de plus en plus tard biologiquement » comme le rappelle Bernadette Puijalon, anthropologue, à la tribune du colloque organisé par la Fondation de France, le 27 octobre, les personnes âgées voient le champ de leur autonomie de plus en plus réduit et leurs droits de plus en plus mis sous contrôle.
Sujets de soins
Mises sous cloche, soumises aux contraintes des professionnels, en établissement ou à domicile, dirigées par les présupposés de leurs proches sur leur bien, cadrées par les dispositifs légaux et réglementaires, elles se voient « admises », « placées », « prises en charge », sujets de soins dans une vision de plus en plus sécuritaire. Le thème de la journée « Vivre ses choix, prendre des risques : un droit pour les personnes âgées » veut rappeler que les personnes âgées sont, comme tout le monde, détenteurs de droits universels. Et ceci, même si d’aucuns voudraient leur faire reconnaître des droits spécifiques, à l’image de ceux des enfants et des personnes handicapées, pour davantage les protéger et mieux lutter contre la privation de leurs droits.
Présomption d’incompétence
C’est le droit de participer à la vie de la société qui paraît le plus menacé, notamment en raison d’une « présomption d’incompétence », selon l’expression de Fabrice Gzil (Fondation Médéric Alzheimer). Le philosophe recommande d’articuler, autour des trois autonomies de la personne âgée – fonctionnelle pour les actes de la vie courante, morale pour ce qui lui tient à cœur, sociale pour son pouvoir d’agir -, les deux droits fondamentaux à respecter par les professionnels et les proches. Le premier, la liberté, concerne notamment la liberté d’aller et venir, la libre expression de la volonté et des désirs. Obligation de résultat, elle doit sensibiliser au respect de la vie privée et de l’intimité, et à l’interdiction d’enfermer et de contraindre. Le deuxième, la sécurité, est une simple obligation de moyen qui oblige à prendre les précautions adaptées. Sans doute pour y parvenir, faudrait-il aussi revoir la vision française légaliste et binaire « capable – incapable ».
Une offre de choix qui fait sens
Interroger les droits des personnes âgées renvoie à la notion de « choix », analyse Fabrice Gzil. Choisir suppose des « alternatives », une « auto-détermination » face à « une offre de choix qui fait sens pour la personne », rappelle le philosophe. « Des petites choses ou des activités pour que les vieux puissent vivre leur autonomie », précise Olga Piou, directrice de l’association Isatis. « L’autonomie fondamentale repose sur le « je / tu », appuie Bernadette Puijalon, anthropologue, c’est la condition d’un dialogue dans un esprit d’égalité ». Un point partagé avec Marie-Françoise Fuchs, présidente de l’association Old Up, qui, regrettant la « dépréciation de la parole des vieux », revendique la « négociation » et la « co-construction » pour maîtriser son existence dans l’espace social.
Sortir de l’enfermement
Encore faut-il relativiser la responsabilité des établissements et des services, « fantasmée au regard des décisions rendues par les juges » selon Fabrice Gzil, et déconstruire la culpabilisation des familles. Pour sortir de « l’enfermement » organisé autour de la personne âgée, de façon plus ou moins prégnante selon son niveau de dépendance, Catherine Bourmault Costa, directrice de l’EHPAD Vallée du Don à Guipavas (29) préconise le « laisser faire et une organisation à partir de la personne comme sujet reconnu » ce qui suppose écoute et partage. La technicité et l’argument thérapeutique des accompagnements doivent ainsi céder du terrain devant la famille et les bénévoles pour éviter que l’établissement ne se referme sur un huis-clos. Laisser les personnes âgées prendre des risques, sortir et rencontrer des personnes à l’extérieur plutôt qu’organiser, entre les murs, une vie hors-sol : salon de coiffure, animation, culture, etc.
Manque de personnel et de temps
Le temps de séjour dans un établissement d’environ deux années pourrait-il s’allonger si les conditions de vie en établissement évoluaient ? Une question à poser alors que, sur tous les sujets abordés (la mort, la sexualité, l’intimité, etc.), une organisation souvent trop managériale des établissements a été pointée du doigt tout comme l’insuffisance de personnel en nombre et le manque de temps pour écouter et co-construire. Jean-Jacques Amyot, directeur de l’Office aquitain de recherches, d’études, d’information et de liaison sur les problèmes des personnes âgées, attend des établissements qu’ils soient des « lieu de possibles ». Des lieux où les personnes âgées pourraient vivre à leur rythme, voir leur projet accompagné dans un travail collaboratif, mener une vie ordinaire. En attendant ces innovations, Bernadette Puijalon évoque « la malhonnêteté de la société » à déléguer aux professionnels le soin aux corps des personnes âgées sans accorder les moyens de s’occuper de leurs « âmes ».
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