Après trois rapports spécifiques sur les finances locales, quels constats généraux faites-vous sur l’évolution des finances des collectivités ?
Contrairement à ce que nous avions pu constater en 2013, les administrations publiques locales ont contribué en 2014 à l’amélioration du solde national. Mais leur situation financière s’est dégradée selon une grande variété de situations et pas seulement à cause d’une réduction des concours financiers de l’Etat. Il faut bien sûr considérer l’impact des normes sur les budgets locaux. Mais nous insistons encore sur la nécessité de mieux maîtriser les dépenses de fonctionnement et d’accroître la sélectivité de l’investissement local.
Vous dites que vous ne faites le procès de personne et que vous êtes fidèle à certains principes. Lesquels ?
Pour tous les rapports, nous avons les mêmes principes : l’indépendance, la collégialité, la contradiction. Les juridictions financières ne sont là ni pour plaire ni pour déplaire, mais pour dire ce qu’elles ont constaté à l’issue de leurs enquêtes, sans parti pris.
La loi NOTRe renforce les prérogatives de la Cour sur les collectivités. Peut-on imaginer qu’à l’avenir elle donne non plus des recommandations mais des obligations ?
Nous ne sommes pas dans un gouvernement des juges. La loi NOTRe a introduit une nouvelle disposition : dans le délai d’un an à partir de la présentation de l’observation définitive à l’assemblée délibérante, l’exécutif de la collectivité territoriale ou le président de l’EPCI présente dans un rapport devant cette assemblée les actions qu’il a entreprises à la suite des observations de la chambre régionale des comptes et qui remontent à la Cour. Cette évolution va dans le sens d’une transparence qui est souhaitée par les citoyens et par l’ensemble des pouvoirs publics. Mais dans notre esprit, il s’agit bien de recommandations et non d’obligations. Le dernier mot revient toujours aux élus, aux représentants du suffrage universel.
Certains élus vivent parfois assez mal les recommandations de la Cour comme le non-remplacement des fonctionnaires qui partent à la retraite qu’ils estiment contraire au principe de libre administration des collectivités. Qu’en pensez-vous ?
La Cour ne recommande pas de revenir sur la libre administration des collectivités territoriales. Je fais seulement observer que la libre administration s’applique « dans les conditions prévues par la loi », comme le précise la Constitution. Ce qui veut dire que la libre administration n’est pas un principe au dessus de la loi. Le non-remplacement des départs à la retraite est un des leviers disponibles. Le problème dans notre pays, c’est qu’on constate un décalage entre les moyens qui sont consacrés aux politiques publiques et leurs résultats. Ce décalage n’est pas normal. Il est même choquant. Or on observe qu’il existe des économies possibles, sans remettre en cause les services rendus à la population et la qualité d’un service public. C’est tout l’enjeu de l’efficience du service public.
Pour vous la dégradation ne vient pas uniquement de la baisse de dotations, mais du recul de l’autofinancement, par le manque de maîtrise des dépenses de fonctionnement…
La dégradation financière des collectivités provient avant tout d’une progression plus rapide de leurs dépenses de fonctionnement par rapport à leurs recettes de fonctionnement. La Cour reconnaît certes que la baisse des dotations est une contrainte à prendre en compte, cela va de soi.
Je rappelle toutefois que la baisse de la DGF en 2014 a été atténuée pour les communes, et plus que compensée pour les départements et les régions, par la progression d’autres transferts financiers. Des efforts de gestion ont été faits, mais ils ont été globalement trop limités pour compenser la vive croissance des dépenses de rémunération, notamment dans les EPCI à + 7 % en 2014. Même si des décisions nationales ont expliqué 42 % de l’augmentation des dépenses de personnel des collectivités locales en 2014, les décisions des collectivités en expliquent une majorité : 58 %.
Comment réduire rapidement la masse salariale ?
Il ne s’agit pas de diminuer ces dépenses, mais de modérer leur progression ! On identifie certaines pistes en matière d’évolution de la masse salariale, comme le respect de la durée légale du travail – qui est supérieure à la durée effective dans de nombreux cas – ou bien la lutte contre l’absentéisme. Certaines collectivités se sont engagées dans ces démarches avec des résultats assez rapides. On a identifié les marges de manœuvre possibles, mais ce n’est pas aux juridictions financières de décider. Nous mettons sur la table les dispositifs possibles, ensuite c’est aux élus de faire leur choix.
Un assouplissement du statut de la fonction publique peut-il être un moyen de réduire la masse salariale ?
La gestion de la fonction publique territoriale sera le thème du rapport 2016 et, le cas échéant, les conséquences d’éventuelles rigidités inhérentes au statut sur les budgets locaux pourront être examinées, mais la Cour ne s’est pas exprimée sur le statut de la fonction publique.
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Pourquoi insistez-vous sur la nécessité d’une loi de financement des collectivités ?
Parce que les collectivités sont concernées par les engagements que prend la France en matière de redressement des comptes publics. Ce que nous proposons, c’est une gouvernance financière locale rénovée et renforcée, avec un pilotage impliquant l’État et les collectivités territoriales, et fondée sur des constats partagés, sur une information financière fiable et sur des objectifs concertés. Cette nouvelle gouvernance reposerait sur un projet de loi de financement des collectivités qui pourrait marquer un engagement conjoint, en tenant compte des spécificités de chaque catégorie de collectivités et de celles des collectivités au sein de chaque catégorie. Ce ne serait pas une loi comportant des plafonds de dépenses, comme pour le budget de l’État, mais des objectifs.
Le Dialogue national des territoires existe déjà ?
Mais cette instance ne s’est réunie qu’une fois. Et cette question d’objectif financier n’était pas à l’ordre du jour. Il y a des marges de progrès pour améliorer la gouvernance. La loi trace une trajectoire d’évolution mais elle n’est pas explicitée par catégorie, par dépenses et recettes. L’idée de la loi de financement est de mettre sur la table toutes les données : prévisions sur les recettes fiscales, baisse des dotations, poids des décisions de l’Etat sur les dépenses locales, etc. Ce travail permettrait de définir une trajectoire et d’aboutir à un solde. Aujourd’hui, un solde et un indicateur sur l’évolution des dépenses globales et de fonctionnement existent, mais on ne sait pas sur quel raisonnement analytique ils reposent.
Considérez-vous que les collectivités aient trop investi ces dernières années ?
Ce n’est pas ce que nous disons ! Mais tout investissement n’est pas vertueux en soi. Les chambres régionales constatent malheureusement trop souvent des investissements redondants ou surdimensionnés. C’est pourquoi nous insistons sur une meilleure sélection des investissements, qui pourrait être obtenue à travers une généralisation d’une programmation pluriannuelle et en introduisant une évaluation de l’utilité socio-économique d’un investissement.
Que pensez-vous de la réforme de la DGF ?
Au niveau des principes, la réforme semble répondre aux recommandations de la Cour. Après, il apparaît essentiel que les élus puissent bénéficier des travaux de simulations qui ont été faits pour pouvoir décider en toute connaissance de cause. Il faut partager les données et les analyses.
Vous avez mis en avant le poids des normes dans les finances locales…
Nous invitons l’État à bien mesurer les conséquences de l’adoption d’une norme sur les budgets locaux. Ce genre de décision n’est pas neutre. Il faut améliorer l’efficacité et la visibilité du dispositif national, améliorer la fiabilité des études d’impact financier qui sont produites par les ministères. La Cour recommande que soit renforcée la portée des avis rendus par le Conseil national d’évaluation des normes, notamment en publiant un bilan chiffré annuel du coût des normes. C’est un bilan sur lequel l’Etat s’est engagé, mais qui n’a pas encore été dressé.
Les comptes des collectivités sont-ils fiables ?
Il reste encore des progrès à accomplir vers une plus grande maîtrise comptable, prudente et donnant une image fidèle. Certaines dispositions sont prises, je pense aux dispositifs de contrôle interne ou aux démarches de certification, mais des lacunes persistent en matière de suivi statistique de l’encours des emprunts toxiques, par exemple. Il serait utile que les services de l’État se dotent des moyens leur permettant de publier des données financières, agrégées au plan national, du bloc communal ainsi que des budgets principaux et annexes. De la même façon, nous proposons un compte financier unique au niveau des résultats, fusion entre comptes administratif et de gestion.
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