« Choix d’homme libre » pour Barbara Cassin, « nomenclature des devoirs » pour Anne Salmon. La morale, c’est aussi l’ethos, « les normes, implicites ou explicites, d’un groupe ou d’une société qu’intériorisent (plus ou moins bien) celles et ceux qui y vivent », explique Gérard Mauger. Pour André Gorz, la morale n’existe pas, mais seulement des instruments et des repères pour s’en inventer une.
Envisager la moralisation de la vie publique révèle un malaise des administrés, en termes de confiance, d’information et de droit de savoir, d’intérêt général, de transparence des méthodes et des décisions. C’est avouer une certaine « démoralisation », au sens de la transgression des finalités et du sens de l’action publique. Pour y faire face, Émile Durkheim recherchait des règles consacrées par l’autorité d’un groupe, « une manière d’agir obligatoire » exclusive de « l’arbitraire de l’individuel ». Est-ce assez de vouloir remoraliser la vie publique, en réalité la réguler, pour éviter la réprobation ou la disqualification par les citoyens sans se pencher sur la probité, l’impartialité et la responsabilité de ses acteurs pris individuellement ?
La moralisation est une « ressource » pour imposer un modèle et une norme. Dans la société capitaliste, Bourdieu l’analyse comme « l’intégration logique et morale de la classe dominante ». Les politiques sociales illustrent cette « entreprise de normalisation et de moralisation », prévient Guy Bourgeault. Une intervention sociale, moraliste et moralisée, légitime et administre la pauvreté, l’exclusion, la déviance à la « normalité » sociale par l’individu. À l’instrumentalisation d’une moralisation encadrant les conflits d’intérêts et les relations du pouvoir et de l’argent, ne vaudrait-il pas mieux un contrat social librement défini et consenti ?
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