« D’expérience, aucune fusion n’a fait la preuve qu’elle créait des économies ». Après plus de 30 ans passés à évaluer les finances des collectivités territoriales, Françoise Larpin, associée et directrice nationale du secteur public local chez KPMG, ne croit pas aux vertus des économies d’échelle vantées par les pouvoirs politiques pour justifier des fusions. Elle n’est pas la seule. L’agence de notation américaine Standard & Poor’s estime par exemple que la fusion des régions au 1er janvier 2016, ne devrait avoir aucun impact « positif ou négatif » sur la gouvernance, la gestion financière et les ratios économiques des 11 régions actuelles qu’elle note, « si ce n’est un potentiel impact positif sur la situation de liquidité », concède-t-elle.
« Nous n’anticipons pas de larges économies d’échelle ni d’optimisation importante des dépenses du fait des fusions pouvant modifier la trajectoire budgétaire et l’endettement à moyen terme des régions françaises », conclut S&P.
Effet nul entre gains et coûts
Si la fusion peut en effet s’avérer gagnante sur quelques points, comme la mutualisation des achats ou la renégociation de la dette, ces économies seront « contrebalancées par un alignement vers le haut des politiques publiques », comme les transports, l’éducation et les ressources humaines. Même le transfert d’une part de la CVAE en 2017 des départements aux régions ne perturbe pas le sentiment général de l’agence à l’égard des régions françaises, dont la situation générale est qualifiée de stable, transparente, très prévisible et équilibrée.
En effet, ce transfert n’ajoutera pas de flexibilité fiscale aux régions « étant donné qu’elles ne disposeront d’aucun levier pour ajuster le taux ou les bases de CVAE ». Le poids de la dette des régions, qui « devrait atteindre un niveau moyen de 134 % en 2017 » n’affole pas non plus S&P. Sa croissance devrait ralentir dès 2016, sous la pression du cycle électoral couplée à la baisse des dotations. De plus, bien qu’élevé, il reste bien en-deçà de ses homologues : 261 % en Rhénanie du Nord-Westphalie, 326 % en Catalogne, 356 % à Valence.
Comparatif relatif
Car S&P s’est de plus livrée à un comparatif avec les 27 régions européennes qu’elle note, notamment en Allemagne, en Belgique, en Espagne ou en Italie, pour mesurer le poids financier des super-régions et en creux leur capacité à se mesurer économiquement à leurs homologues de l’Union européenne. Bien que le budget moyen des super-régions françaises devrait quasi-doubler, passant de 1,2 milliard à 2,1 milliards d’euros, elle ne souffrent pas encore la comparaison avec les poids lourds européens comme la Rhénanie du Nord-Westphalie dont le budget s’élève à plus de 60 milliards, la Lombardie ou la Catalogne dotées de plus de 20 milliards de budget chacune. L’Ile-de-France, le champion hexagonal ne se hisse ainsi qu’à la 45e place européenne des plus gros budgets avec ses 4,5 milliards.
Périmètres différents
Mais cette comparaison purement quantitative doit être ramenée aux compétences qui échoient à chacune d’entre elles. Les régions françaises paraissent « naines » vis-à-vis de leurs voisines mais elles n’ont pas, comme ailleurs en Europe, la charge de toute l’éducation, voire l’enseignement supérieur, la santé ou l’aide sociale. Chacune a donc un budget en rapport à ses compétences. Et les aléas qui vont avec. S&P considère ainsi que les régions françaises sont « moins exposées aux caractéristiques démographiques et socio-économiques que leurs pairs européens notés » qui doivent composer avec « la structure et la croissance de la population, la situation du marché du travail et les cycles économiques du fait de leurs compétences. »
Cet avantage se traduit par une épargne brute encore vigoureuse (autour de 20 %) par rapport aux régions étudiées, dont les budgets sont tantôt chahutés par la crise (Espagne) ou les dépenses de santé (Italie). De la même manière, le champ d’intervention des régions françaises plus restreint que les autres régions européennes, se traduit par un poids dans la dette faible, voire insignifiant.
Pour autant, les régions françaises semblent plus sensibles aux cycles économiques dans la mesure où « près d’un quart de leurs recettes dépend de l’économie régionale », notamment via la CVAE qui représente 18 % de leurs recettes de fonctionnement, alors que les autres régions ont moins de ressources propres. Une conclusion susceptible de déplaire à l’ARF, qui s’est longtemps plainte de la faiblesse de l’autonomie financière de ses membres et s’est battue, avec succès, pour obtenir une part encore plus importante de CVAE.
Moins exposées, les régions françaises parviennent à mieux sécuriser leur gestion par « un pilotage budgétaire de qualité », des « stratégies financières pluriannuelles clairement définies, comprenant notamment des objectifs chiffrés en terme d’investissement et d’endettement généralement largement partagés au sein de l’administration et de l’exécutif ». Seule l’Allemagne présente une telle sécurité avec une prospective financière obligatoire.
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