Actuellement, d’après vos retours terrain, qu’est ce qui préoccupe en priorité les collectivités territoriales ?
Les effets de la loi NOTRe, ajoutés à la baisse des dotations, à la montée de la péréquation inquiètent beaucoup les intercommunalités et le bloc communal en général. Ces évolutions génèrent énormément d’incertitude, surtout pour les territoires qui ont eu à gérer récemment des transferts de compétences, des mutualisations, des évolutions de périmètres et qui doutent de leur capacité à gérer les différentes réformes dans un contexte financier plus contraint. Les élus craignent une perte d’autonomie, un recul de leur capacité financière et d’investissement et, in fine, de leur pouvoir.
Cette peur est-elle fondée ?
C’est fondé pour les élus des territoires où tout bouge en même temps. Pour eux, rien n’est stabilisé, ni la gouvernance, ni l’organisation, ni les compétences, ni les finances. Ça l’est moins pour les collectivités qui ont seulement de nouveaux transferts de compétences à gérer, car elles en ont finalement l’habitude. L’inquiétude vient aussi des transferts obligatoires (dans un calendrier certes étalé dans le temps) de compétences lourdes et coûteuses telles que la GEMAPI, l’eau et l’assainissement, et la gestion des déchets. Il y a de gros enjeux financiers, de gouvernance et d’organisation des services notamment du fait des nombreux syndicats qui seront impactés voire dissous.
L’environnement est donc très instable, anxiogène, particulièrement pour les petites communes et les villes moyennes qui ont peur d’être diluées dans de plus grands ensembles, d’où l’engouement actuel pour les communes nouvelles.
Vous avez beaucoup de missions concernant les communes nouvelles ?
De plus en plus, y compris pour des communes avec leur communauté, mais les demandes prioritaires pour KPMG concernent toujours les schémas de mutualisations. Certains territoires sont très en retard en ce domaine, notamment dans le Sud. Nous avons aussi de plus en plus de demandes de pactes financiers et fiscaux, car certains territoires sont matures pour les étudier, de nombreuses missions de fusions de communautés et de transferts de compétences. Il y a encore des demandes de missions d’audits et de conseils financiers pour permettre aux collectivités d’avoir un peu de visibilité sur leur situation financière car elles n’ont pas toutes des programmes pluriannuels d’investissements ou des analyses prospectives.
Assiste-t-on a une prise de conscience des enjeux financiers ?
Oui, mais en même temps les collectivités ont encore très peu de données chiffrées détaillées sur leur gestion. De manière générale, toutes les collectivités ou presque sont en recherche de marges de manœuvre et d’économies. Nos missions concernent aussi beaucoup l’optimisation des ressources et des dépenses au regard des politiques publiques prioritaires.
Quelles sont les collectivités les plus en danger ?
Pour certains départements, la situation financière est déjà « dramatique ». On sait déjà que certaines missions vont être abandonnées car non obligatoires et qu’il y aura une réduction de certaines politiques publiques. Cela concerne, selon les cas, le développement économique, la voirie et les compétences facultatives ou partagées (culture, sport, tourisme). Les départements ont déjà activé des mesures comme le non remplacement des départs à la retraite, la baisse des aides aux associations mais quand on n’a plus de marges de manœuvre, il faut aller dans le dur.
Certains n’ont pas encore travaillé sur les fraudes sociales, par exemple, car ils n’ont pas encore les outils pour s’assurer de l’efficience de leurs dispositifs. D’autres baissent leurs aides aux communes et aux intercommunalités définies dans le cadre de contrats locaux territoriaux, contrats de pays, etc. Il y a une vraie remise en cause de cette politique, soit pour cibler les aides aux territoires, qui répondent aux priorités définies par les départements, soit une baisse de volume général.
Les villes moyennes sont aussi fragiles car elles supportent bien souvent seules des coûts de centralité.
Et les moins en danger ?
Les moins touchés sont les territoires résidentiels. La demande des populations n’y est pas très importante, notamment en termes sociaux. Les élus de ces territoires ne se sentent pas encore menacés. Ils ne sont donc pas pressés d’aller très loin en matière de mutualisation et de fusion. Les directeurs généraux ont d’ailleurs du mal à leur faire prendre conscience du danger tant qu’ils ne le voient pas arriver. Beaucoup d’élus sont d’ailleurs encore persuadés de pouvoir faire reculer le gouvernement sur la baisse des dotations. Chacun croit qu’il va pouvoir s’en sortir de son côté.
Quelles sont les préconisations de KPMG pour permettre aux collectivités de retrouver des marges de manœuvres ?
Il n’y a pas qu’un seul levier à activer mais plusieurs de façon concomitante pour accumuler « les gouttes d’eau qui feront une rivière ». Il faut balayer l’ensemble des moyens alloués aux politiques publiques en ce centrant sur les plus consommatrices avec la règle des 20/80, dans un premier temps. C’est-à-dire identifier les 20 % des services qui consomment 80% des moyens et voir comment les optimiser en y associant les agents concernés. Pour les départements, c’est le social, mais aussi la prévention des risques et la sécurité.
L’investissement est-il vraiment menacé ?
Ce n’est pas si facile à dire. Nous avons effectué un sondage auprès de nos clients pour savoir comment ils percevaient les différentes réformes territoriales et des dotations par rapport à leur politique d’investissement. La majorité a répondu qu’ils ne savaient pas encore précisément ce qu’ils allaient faire puisque la loi NOTRe vient d’être votée. Les intercommunalités en dessous des seuils de population attendent les nouveaux schémas départementaux de coopération intercommunale. Ils savent néanmoins qu’ils vont d’abord poursuivre les « coups partis » et les investissements incontournables.
Plusieurs déclarent réserver les investissements plus importants pour la seconde partie du mandat, le temps de se donner à nouveau de la visibilité. D’autres anticipent des baisses de 5 à 50 %. Mais tous travaillent sur le fonctionnement et engagent des plans d’économies.
Quels sont les domaines susceptibles d’être abandonnés ?
Les communes et intercommunalités réduisent, reportent ou abandonnent tout ce qui n’est pas obligatoire comme par exemple les investissements liés à la culture et au sport, sauf scolaire.
En fait, on voit deux types de comportements : ceux qui veulent préserver l’investissement à tout prix et ceux qui disent ne plus pouvoir assumer certains gros investissements d’infrastructures comme dans l’assainissement du fait du poids des normes.
La montée de la péréquation peut-elle être efficace pour atténuer le choc ?
J’ai toujours pensé que la péréquation a été contrecarrée par les autres dispositifs. De facto, elle n’existe pas en volume à cause de tous les correctifs existants. La réforme de la DGF pourrait permettre à la péréquation d’exister vraiment, mais il faut une réforme simple et éviter de multiplier les dispositifs particuliers, « arrachés » par les groupes de pressions et les associations d’élus. Le Comité des finances locales a de plus toujours eu pour principe de ne pas bouleverser l’équilibre des budgets locaux. Les mécanismes de garantie qui ont été mis en place pour amortir les évolutions de la DGF ont aussi gelé des situations inégalitaires au départ.
La fusion c’est la solution ?
D’expérience, aucune fusion n’a fait la preuve qu’elle créait des économies. Les débats sur l’organisation de la gouvernance des super-régions le montrent. Les accords qui permettent de faire accepter une fusion politiquement sont tellement coûteux que la probabilité d’aboutir à des économies est « nulle » au moins à court terme. Inévitablement on voit des effets d’alignement des politiques, des régimes indemnitaires et des organisations qui préservent la proximité et les pouvoirs des uns et des autres. La mutualisation peut, dans certains cas, générer des économies notamment lorsque les collectivités partagent leurs outils, leurs matériels, leurs achats, sans enjeux de pouvoirs ou d’effets d’alignements.
Après plus de 20 ans dans ce secteur, quelles sont les évolutions qui vous ont le plus frappé ?
J’ai assisté à une vraie montée en compétences des collectivités locales, même si ce n’est pas toujours le cas dans les petites collectivités qui souffrent de plus en plus du désengagement de l’Etat.
La façon de travailler a changé aussi. Les demandes de compétences pluridisciplinaires se généralisent de même que le travail en équipe avec nos clients . Ils souhaitent de plus en plus de benchmark, de méthodologies et d’ingénieries plus pointues. Il y a une grande demande de partages d’expériences, de bonnes pratiques, d’indicateurs sur le coût des services publics, des interrogations sur les modes de gestion : « mon entretien de la voirie est-il efficace ? », « la construction et la gestion de la crèche doivent-elles être externalisées ou pas ? ».
Néanmoins, beaucoup de collectivités ont encore une gestion traditionnelle de leurs finances. Toutes ne disposent pas d’un programme pluriannuel d’investissement, ni d’un outil de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, pourtant indispensables dans le contexte actuel. Rares aussi sont celles qui sont « mâtures » pour adopter un pacte financier et fiscal.
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