Les maires qui doutent, se découragent, veulent rendre leur écharpe ou ne plus se représenter trouveront dans le dernier ouvrage de Benjamin Barber un onguent à appliquer sur leurs tourments. « Les maires sont pragmatiques et fournissent des solutions : il est temps qu’ils s’affirment, déclarait l’auteur de « Et si les maires gouvernaient le monde ? », mi-juin à Paris. Si les Etats sont dépassés par les problèmes, ce n’est certainement pas le cas des villes. » La preuve en trois crédos.
Les villes sont le bon niveau de réponse aux problèmes du monde
Les Etats-nations sont une institution du XVIIe siècle, centrée sur les affaires intérieures et garante de la souveraineté, rappelle Benjamin Barber. Le professeur de sciences politiques les juge aujourd’hui inadaptés à un monde interdépendant où les problèmes, « du climat au terrorisme », sont sans frontières.
Le maire de Vancouver (Canada) a certainement apprécié l’ouvrage de Benjamin Barber. « Non seulement les gouvernements ne résolvent aucun problème du moment mais, sur le long terme, ils craignent de s’engager sur des objectifs, comme la baisse des émissions de gaz à effet de serre, raillait Gregor Robertson, lors d’une conférence sur le rôle climatique des collectivités tenue, début mai, à Sciences-po Paris. Les villes sont par nature axées sur l’opérationnel, notamment en matière de climat. Leurs réseaux sont l’une des plus puissantes forces politiques émergentes. »
Le praticien confirme le discours du théoricien : « Les villes sont nos ensembles politiques les plus interconnectés. Organisées en réseaux, elles se définissent avant tout par la collaboration et le pragmatisme », pose Benjamin Barber dès le premier chapitre. L’ONU lui semble clairement incapable de contenir l’emballement du climat. Pour les quelque 200 pays qui négocieront à Paris fin 2015, « la protection de leur souveraineté et la quête d’indépendance de leur population (…) justifient leur immobilisme et leur indifférence face au danger (…). De petits Etats insulaires, comme les Maldives, pourraient donc disparaître et l’économie des grandes puissances être ravagée, mais les Etats-Nations semblent bien décidés à s’enfoncer dans leur aveuglement complaisant et à garder intacte leur chère souveraineté, pourtant dépassée et amoindrie. »
Les villes sont en position de « montrer leurs muscles »
Les villes rassemblent 50 % des habitants et sont à l’origine de 82 % du PIB de la planète. Dans le monde entier, la population leur accorde, parmi toutes les institutions, le plus haut niveau de confiance.
Associant la taille de la population à la légitimité politique, Benjamin Barber estime que « démocratiquement, les villes ont la majorité ». De leur territoire, émanent en outre les quatre cinquièmes de la création de richesses.
« Après collecte des impôts, les Etats n’en restituent que 50 % aux villes. Si celles-ci doivent résoudre les problèmes du monde, un meilleur retour s’impose, professe Benjamin Barber. Les Etats-nations confient aux villes des missions sans leur allouer les fonds nécessaires : c’est un scandale ! Les villes ont le droit de se gouverner elles-mêmes, surtout quand les Etats ne gouvernent guère. Depuis des siècles, elles sont sous la domination des Etats-nations, le moment est venu de rééquilibrer la situation. Elles doivent montrer leurs muscles. »
Le professeur de sciences politiques renvoie les Etats « monoculturels » derrière leurs frontières. « Les villes sont multiculturelles, elles ressemblent au monde, elles ressentent le monde. Après les attentats de janvier 2015, la France a été parcourue de marches républicaines : voilà comment les villes représentent le monde », déclarait-il en présentant son livre au public français.
Les villes s’affirmeront au sein d’un « Parlement mondial des maires »
La coopération entre villes fut une première étape. L’heure est désormais à l’exercice du pouvoir.
Les villes sont reliées entre elles par « une informelle cosmopolis », issue de leurs dizaines de réseaux, généralistes et thématiques – particulièrement actifs dans le domaine de l’environnement. « Très en avance sur les Etats en termes de coopération », les villes « peuvent, ensemble, accomplir des choses dont les Etats sont incapables », écrit Benjamin Barber. Dès lors « les maires (…) n’ont aucune raison de céder aux sirènes de Nations présumées unies … et qui ne le seront, en vérité, jamais, car elles réunissent des pays rivaux, obsédés par leur souveraineté ».
Pour le politologue, il ne s’agit plus seulement de collaborer mais de gouverner ensemble, au sein d’un « Parlement mondial des maires ». L’assemblée fonctionnera « hors de toute autorité souveraine », par la voie du « consensus ».
Se référant au philosophe irlandais Edmund Burke (1729-1797), l’auteur promeut une « participation ascendante et facultative ». « Ce dispositif initial, si modeste et réduit soit-il, offrirait une solution alternative au ‘concert des Nations’, vieux de plusieurs siècles et soumis au bon vouloir et au droit de veto d’un petit nombre de puissants, ce qui rend toute prise de décision improbable et toute action au nom de la majorité, impossible. »
« Il s’agirait de la première institution ‘glocale’ au monde, donnant des réponses locales à des problèmes globaux, défend Benjamin Barber. Nombre de chefs d’Etat sont reconnaissants envers les villes, porteuses de sagesse et de solutions. Les maires peuvent sauver le monde. Laissons-les faire. »
Le professeur de sciences politiques a annoncé, lors de sa visite à Paris, la tenue de la première session du Parlement mondial des maires en 2016. Il « adorerai(t) une implantation à Paris, ville dirigée par une femme au profil multiculturel ».
Pour autant, le siège de la « société mondiale des villes » devra se trouver dans une cité prête à exercer « un fort leadership ». Sont dès lors plutôt pressenties Copenhague (Danemark) et Barcelone (Espagne) en Europe ou encore Dubai (Emirats arabes unis) et la ville-Etat de Singapour.
Benjamin Barber estime qu’en « matière de centralisme, la France se compare à la Chine ». Il prédit donc que les élus de ces pays rejoindront le Parlement mondial des maires avec un temps de décalage. « Ils attendront de voir que la structure fonctionne avant d’y croire et de s’y rallier », anticipe-t-il.
Si l’ouvrage du politologue a été remarqué chez les responsables des gouvernements locaux nord et sud-américains, asiatiques, arabes et européens (Allemagne, Danemark, Espagne, Italie, Pologne), leurs homologues français témoignent jusqu’alors d’un intérêt discret. « Peut-être parce que, dans l’Hexagone, les élus locaux misent, pour leur avenir politique, sur un destin national ? »
« COP 21 : quelle que soit l’issue, les villes devront faire le travail »
Benjamin Barber, professeur de sciences politiques à l’université du Maryland (Etats-Unis)
Qu’attendez-vous du sommet « climat et territoires » qui réunit, les 1er et 2 juillet à Lyon, les autorités locales et les autres « acteurs non étatiques » (entreprises, syndicats, ONG, etc.) ?
L’impact sera avant tout symbolique. Depuis longtemps, les autorités locales discutent, coopèrent mais cela ne suffit pas pour exercer une influence. C’est pourquoi il leur faut une organisation politique. Du fait de leurs richesses, économiques et culturelles, ainsi que des échanges noués à travers leurs réseaux qui propagent les bonnes pratiques, les villes peuvent fournir une immense contribution à la résolution du défi climatique. A la 21ème conférence des parties (Cop 21) à la convention « climat », les gouvernements locaux auront un statut d’observateurs : c’est notoirement insuffisant. Le futur Parlement mondial des villes devrait disposer d’au moins un siège à l’Onu.
Etes-vous optimiste sur l’issue de la 21e Conférence des parties (COP 21) à la convention « climat », que Paris accueillera en décembre ?
J’espère un accord, je redoute un nouvel échec. Quelle que soit l’issue de la Cop, les villes auront un rôle majeur à jouer et les Etats auront besoin de leur collaboration et de leur leadership. En cas d’accord, elles devront le mettre en œuvre. Sinon, elles resteront des acteurs de premier plan auxquels le travail incombera de toute façon. Dès sa première session, le Parlement des maires adoptera des mesures efficaces là où les Etats risquent à Paris – pour la vingt-et-unième fois ! – de souligner l’urgence d’un problème qu’ils ne résoudront pas.
« Méta-région »
Et les 50 % de non-citadins ? Benjamin Barber ne les néglige pas, admettant aujourd’hui qu’il aurait dû intituler son livre « Et si les méta-régions gouvernaient le monde ? ». La « méta-région » désigne « un ensemble rationnel et intégré » recouvrant la ville, sa périphérie et la campagne, qui approvisionne le territoire en eau et en denrées. « L’ancienne ville manufacturière de Detroit (Michigan) est en faillite. Les nouvelles technologies ont fait des dix comtés environnants l’une des plus riches régions du pays. La méta-région de Detroit devrait gouverner. »
Références
Biographie
Benjamin Barber, né en 1939 à New York, est professeur de sciences politiques à l’université du Maryland. Spécialiste de la société civile, il a été conseiller du président Bill Clinton sur les questions de citoyenneté. Il est notamment l’auteur de « Jihad contre McWorld » (1996, Hachette), où la mondialisation de l’économie est analysée comme une menace pour la démocratie. Son dernier ouvrage, « Et si les maires gouvernaient le monde ? », est paru fin 2013 aux Etats-Unis. La version française vient d’être publiée aux éditions Rue de l’échiquier.
Cet article fait partie du Dossier
Climat : Pourquoi les experts défendent un rôle accru des collectivités locales
Sommaire du dossier
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