Le réchauffement de la planète ne fait plus de doute. Quels impacts directs pourrait-il avoir en France au cours du XXIe siècle ?
Comme sur tous les continents, la hausse moyenne des températures y sera une fois et demie plus élevée qu’à l’échelle de la planète. Si le réchauffement global atteint 2 °C, il sera en gros de 3 °C en France. Il s’agit là d’une moyenne annuelle. Cela signifie qu’il y aura des vagues de chaleur qui iront bien au-delà. Tous nos scénarios montrent que les canicules comme celle de 2003, pourront se répéter à intervalle court dès 2050. Toutes les régions seront touchées. Cette hausse des températures locales impactera l’agriculture et la biodiversité, augmentera la pollution de l’air et le risque de feux de forêt. La hausse des températures globales va induire une hausse du niveau des océans, favorisant l’érosion du littoral. Elle va aussi modifier les précipitations car, lorsque la planète se réchauffe, il y a davantage d’eau dans l’atmosphère et les pluies sont plus intenses. Le risque d’inondation sera donc majoré. Mais nous sommes encore incapables de dire, à l’échelle de la France, où et à quelle saison il pleuvra plus ou moins. Il y a un niveau de détail qui n’est probablement pas prévisible.
Les climatologues ne sont donc pas en mesure de caractériser précisément les évolutions du climat à l’échelle des régions françaises ?
C’est difficile. Car, pour prédire avec précision le climat des régions françaises, il faudrait que l’on puisse anticiper les mouvements de l’atmosphère. Par exemple, connaître la position de l’anticyclone des Açores et son évolution possible dans un climat plus chaud, d’ici quelques décennies. Seulement voilà, son destin n’est pas tout tracé : l’anticyclone peut évoluer de diverses manières, génératrices de risques différents que l’on doit évaluer un par un, en termes par exemple de sécheresses, d’inondations, de tempêtes, de baisse de l’enneigement… Quoi qu’il en soit, les efforts de prévention s’imposent, même s’il nous est impossible de dire dans le détail où, quand et avec quelle amplitude les événements se produiront.
Comment les collectivités locales peuvent-elles alors anticiper les évolutions du climat ?
Les décideurs publics doivent s’appuyer sur une évaluation de la vulnérabilité de leurs territoires aux aléas climatiques, pour conduire leurs stratégies d’adaptation. Il ne s’agit pas d’élaborer des prévisions mais de conduire des études de risque qui envisagent les conséquences possibles sur l’économie (agriculture, pêche, tourisme…), le paysage (littoral, forêt, montagne) et la population. L’approche scientifique est comparable à celle des sismologues lorsqu’ils évaluent l’exposition de tel ou tel territoire aux tremblements de terre.
On n’est plus dans une situation d’alerte mais de gestion, il est temps d’agir.
Vous avez dirigé la mission d’expertise sur les enjeux économiques, sanitaires et environnementaux du changement climatique, à l’échelle de l’Aquitaine en 2011-2012. C’était une première. D’autres régions ont-elles suivi ?
Oui. Le Nord-Pas-de-Calais, Paca, Languedoc-Roussillon et d’autres ont désormais lancé des études d’impacts similaires. En Aquitaine, nous avons bénéficié d’un contexte très favorable, qui devrait se retrouver ailleurs. La plupart des quinze rédacteurs du rapport sont issus d’universités ou laboratoires de recherches (Inra, CNRS, Irstea, Ifremer, …) d’Aquitaine. La région est riche en équipes qui travaillent de près ou de loin sur les conséquences du changement climatique. Nous nous sommes donc appuyés sur l’analyse de données scientifiques déjà publiées mais qui, le plus souvent, ne sont pas accessibles aux décideurs locaux sous une forme collective et synthétique.
Pourquoi est-il indispensable que les collectivités locales prennent des mesures d’adaptation ?
Car on ne pourra s’adapter aux changements climatiques que par les mesures qu’elles prendront, sur la base de diagnostics de vulnérabilité localisés. C’est la bonne échelle pour hiérarchiser les actions à mener en fonction des spécificités socio-économiques, démographiques, écologiques du territoire. De nombreuses collectivités locales se sont déjà engagées dans la lutte contre le changement climatique, notamment à travers leur Agenda 21. L’intérêt et la difficulté de l’approche régionale, c’est que les mesures prises concernent directement les gens. Du coup, des réactions de peur, de déni peuvent apparaître. Au-delà du diagnostic scientifique, le débat social et politique sur ces aspects dans les territoires est essentiel.
Le 5e rapport du GIEC confirme la gravité de la situation et l’urgence dans laquelle se trouvent les politiques pour agir. Mais est-il encore temps ?
Oui. Certes, le GIEC a prévu l’évolution du climat selon plusieurs scénarios et le premier, celui d’une hausse de 2°C, est déjà dépassé. Le CO2 reste longtemps dans l’atmosphère et c’est pour ça qu’il joue un rôle aussi inquiétant pour le futur, imposant une réduction de nos émissions. Mais ses effets sur les températures sont différés. Ce qui laisse le temps d’identifier des stratégies pour s’adapter à ce changement en cours. On n’est plus dans une situation d’alerte mais de gestion, il est temps d’agir.
Cet article fait partie du Dossier
Climat : Pourquoi les experts défendent un rôle accru des collectivités locales
Sommaire du dossier
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