Ils sont sept autour de la table : c’est assez pour que la discussion s’enflamme, d’autant qu’il est question de fiscalité – énergétique, en l’occurrence. En arrivant à l’auditorium du ministère de l’Écologie, ce matin du 6 juin 2015, ces habitants d’Ile-de-France ne se connaissaient pas. Dès les premiers échanges, pourtant, le tutoiement est de mise, on s’interpelle par le prénom, parfois pour contredire vivement l’interlocuteur. En toute courtoisie : la conversation se poursuivra durant la pause déjeuner. L’après-midi, le tirage au sort aura modifié la composition des tables, renouvelant convergences et prises de bec.
96 débats, 75 pays, une méthode
La centaine de Franciliens, réunis par l’Arene énergie–climat, bras armé de la région Ile-de-France sur ces thématiques, suit le même protocole que l’ensemble des participants (10 000 au total) au « débat citoyen planétaire »(1) décliné en 96 sessions (dont 13 en France) dans 75 pays(2). C’est la première fois que la méthode du « World Wise Views » est employée à une telle échelle.
Les débatteurs sont d’abord succinctement informés, par une vidéo de 5 minutes abordant un sujet(3) au programme de la 21ème Conférence des parties (COP 21) à la convention « climat » de Paris-Le Bourget (30 novembre-11 décembre 2015). Après cette rapide introduction, s’engage par petits groupes un débat de 45 minutes, animé par des « facilitateurs » – membres de l’Arene ou étudiants en ingénierie de la concertation, dans le cas du débat francilien. Enfin, les panélistes répondent à un questionnaire sur le sujet fraîchement débattu (une trentaine de questions au total).
Dans la peau d’un négociateur à l’ONU
Du coup, les personnes sollicitées ne sont « pas tout à fait des citoyens lambda, il s’agit d’une opinion publique éclairée, hissée au niveau d’une responsabilité mondiale », commente Stéphane Rozès, président de Cap (« conseils, analyses et perspectives »). Le but de la consultation est en effet « d’amener le citoyen au cœur de la négociation, qui culminera à Paris », souligne Yves Mathieu, co-directeur de Missions Publiques. « ‘Si vous étiez à la Cop, quelles mesures générales prendriez-vous ?’ : tel était le positionnement demandé aux débatteurs », résume Gilles Deguet, vice-président de la région Centre-Val-de-Loire. Un exercice facilité par « les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qui ont constitué une culture scientifique commune touchant tous les pays », observe Pierre Radanne, président de l’association 4D.
Les débatteurs franciliens, qui voisinaient avec le « QG » du débat mondial centralisant les informations remontant des quatre coins du globe, « étaient de plus en plus motivés au fil de la journée, remarque Pascale Céron, directrice de la communication de l’Arene. A la clôture du débat, le taux de satisfaction était de 92 % et la demande était forte pour un renouvellement de la démarche sur d’autres sujets … et une réelle prise en compte de la parole citoyenne ».
Paris, conférence de rattrapage
Si tel était le cas à l’échelle mondiale, la Cop 21 aurait toutes les chances de se conclure sur un accord ambitieux, au vu des premiers résultats disponibles. Huit Terriens sur dix (79 % au plan mondial, 81 % en France) se disent très concernés par le changement climatique. Une ample majorité estime que « tout doit être fait à Paris pour limiter le réchauffement de la température à 2°C » (64 % dans le monde, 76 % en France). » Nous nous attendions plutôt à ce que l’emporte la réponse portant sur ‘des mesures ambitieuses, mais pas à tout prix’ « , remarque Gilles Deguet, vice-président de la région Centre-Val-de-Loire chargé du climat. L’attente à l’égard de la conférence de Paris est d’autant plus forte que les précédents sommets tenus depuis 1992 suscitent un jugement très négatif (à 71 % dans le monde et à 88 % en France).
Les citoyens estiment que, pour tous les États, l’accord devra comporter des objectifs nationaux et juridiquement contraignants (73 % dans le monde et en France). Ils considèrent que leur pays doit prendre des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, même si nombre d’autres pays s’en abstiennent (80 % dans le monde, 85 % en France). L’appui aux politiques menées en ce sens est très fort : quand elles sont érigées en priorité nationale, cela apparaît justifié et, surtout, quand elles ne sont pas perçues comme prioritaires, les opinions jugent qu’elles devraient l’être (46 % dans le monde, 65 % en France).
L’opinion mondiale place les subventions aux énergies renouvelables au premier rang des mesures à prendre (57 % dans le monde, 47 % en France). Et fait dépendre leur efficacité d’une application au niveau planétaire (59 % dans le monde, 60 % en France). « Alors que les négociateurs sont plutôt des juristes, défendant les intérêts nationaux, l’opinion publique met en avant l’intérêt général de l’humanité », observe Pierre Radanne, rappelant que « le dérèglement climatique est la première question à solidarité obligatoire de l’histoire humaine ».
Un progrès plutôt qu’un fardeau
Enfin, les mesures de lutte contre le changement climatique sont considérées comme une opportunité (66 % dans le monde, 81 % en France). « L’énorme effort d’investissement nécessaire ne préfigure-t-il pas un vaste plan de relance mondial ?, questionne Pierre Radanne. Les négociateurs et les décideurs tendent à considérer la lutte contre le dérèglement du climat plutôt comme un fardeau. Contrairement à l’opinion, qui en attend une amélioration des conditions de vie, notamment grâce aux progrès attendus dans le logement, les transports, l’industrie et l’agriculture », poursuit l’ancien président de l’Ademe.
Stéphane Rozès corrobore : « Le travail des experts sur le changement climatique se diffuse à une moment où les Français ne parviennent pas à se projeter dans un avenir meilleur. Ce peut être l’occasion de repenser le modèle économique », observe le spécialiste des études d’opinion.
Les résultats du débat planétaire seront présentés le 10 juin à Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, à Bonn, où une intersession de l’Onu travaille sur le « brouillon » d’accord qui doit être finalisé à Paris en décembre. « Il faut faire en sorte qu’aucun négociateur n’ait pas entendu parler de cette consultation ni engagé de réflexion sur ses résultats », conclut Yves Mathieu, de Missions publiques.
« Les politiques sous-estiment l’engagement des populations »
Gilles Deguet, vice-président (EE-LV) de la région Centre-Val-de-Loire, chargé du climat
« L’Association des régions de France a immédiatement été partante pour organiser des débats. En 2013, les régions ont mené des consultations sur la transition énergétique, selon la méthode aujourd’hui déployée à l’échelle mondiale. Elles ont eu le sentiment que les résultats ont en partie pesé sur la rédaction du projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte.
Pour autant, les Français jugent aujourd’hui que la lutte contre le changement climatique n’occupe pas le rang de priorité attendu. Le débat mondial confirme une tendance générale : nous autres, politiques, sous-estimons l’ampleur de l’engagement et des exigences des populations – moins pusillanimes que nous. Comme en 2013, nous constatons qu’il y a unanimité à aller de l’avant, même si d’autres pays ne suivent pas. Un tel allant rend très simples des sujets présentés comme très compliqués.
En tant qu’élus régionaux, ce débat nous conforte dans notre opposition à l’exploration des gaz de schiste : 58,5 % des Français (et 45 % de la population mondiale) jugent qu’il faut cesser toute exploration pour trouver des réserves d’énergies fossiles. En outre, les participants au débat régional ont fait remarquer que les questions, centrées sur les grands axes des négociations onusiennes, n’abordaient guère la maîtrise des consommations d’énergie : c’est la preuve que notre sensibilisation à la sobriété énergétique a eu un impact. »
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Thèmes abordés
Notes
Note 01 Co-organisé par le Secrétariat de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la fondation Danish Board of Technology, la Commission nationale du débat public et le cabinet Missions Publiques. Retour au texte
Note 02 29 d’Afrique, 18 d’Asie-Océanie, 15 d’Amérique, 13 d’Europe Retour au texte
Note 03 Atténuation du changement climatique et adaptation à ses impacts, outils au service de ces politiques, engagements des États et vérification de leur mise en œuvre, partage des efforts entre pays développés, émergents et en développement. Retour au texte