Alors que s’ouvre, ce 24 avril, le Printemps de Bourges, qui marque le coup d’envoi de la saison des festivals, professionnels et artistes s’attendent au pire pour l’avenir de la création et de la diffusion dans les territoires. Le courrier adressé le 17 avril par le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) à la ministre de la Culture Fleur Pellerin en dit long sur l’inquiétude qui règne dans les milieux du spectacle vivant. « Ce que nous redoutions est en œuvre », s’alarme la présidente du Syndeac, Madeleine Louarn. Et de pointer « les établissements mis en difficulté » et la menace qui plane sur « l’ensemble du tissu artistique et culturel des compagnies et festivals », avec lesquels ils sont en lien étroit.
En quelques mois s’est mis en marche le plus vaste plan social dans le secteur de la création depuis l’après-guerre.
De semaine en semaine, s’égrène la liste des équipements et des festivals menacés, voire torpillés par les coupes budgétaires dans les collectivités. Avec un décompte alarmant. De 143 en mars, le nombre de suppressions de festivals ou de structures est passé à 179, selon la « cartocrise » créée et mise à jour par Emeline Jersol, médiatrice culturelle au Boulon, Centre national des arts de la rue et de la piste, au Vieux-Condé (Nord).
Des festivals reconfigurés
La crise ne se manifeste pas qu’à travers des disparitions pures et simples : les festivals, même lorsqu’ils auront bel et bien lieu, sont souvent reconfigurés. Même les plus emblématiques sont touchés. Ainsi le Festival d’Avignon (4-25 juillet) sera amputé de 2 jours, et n’investira pas la carrière de Boulbon. En cause : la baisse de 5% de la subvention municipale. Même cause et mêmes effets à Montpellier, où le Printemps des comédiens (10-18 juin) a allégé sa programmation. Montpellier Danse (24 juin-9 juillet) a réussi à sauver son édition 2015, mais les animations liées au festival (ateliers, projections…) passent à la trappe.
Dans certaines communes qui accueillaient jusqu’à présent plusieurs festivals, on opte pour leur fusion. Comme à Montauban, où Alors chante, Jazz à Montauban et Dance en places sont refondus en une seule et même manifestation Montauban en scènes (3-31 juillet). Avec, à la clef, espère la mairie, 200 000 euros d’économies.
Autre tendance, la redéfinition de la programmation, surtout dans les mairies conquises par de nouveaux élus. Avec l’argument d’une politique culturelle censée être plus en phase avec les attentes de la population. Comme à Francheville (Rhône), où le festival Fort en Jazz sera remplacé par un festival pluridisciplinaire en plein air, plus « populaire » aux yeux des élus. Seules quelques communes préservent, contre vents et marées, les crédits consacrés à leurs festivals, comme Sète, qui affiche pas moins de 9 événements différents, ou Marciac, dont le festival de jazz jouit désormais d’une notoriété mondiale.
Equipements menacés
Les équipements, supports des politiques de spectacle vivant au long court, sont, eux-aussi touchés par les réductions budgétaires. Un sort souvent partagé avec l’ensemble des services des collectivités, font valoir les élus. Après la fermeture du Forum, ex-salle conventionnée du Blanc-Mesnil, en décembre 2014, de nombreux autres équipements vivent dans une incertitude grandissante. Y compris « des centres d’art, des scènes nationales comme l’Espace Malraux, scène nationale de Chambéry et de la Savoie, ou des centres dramatiques comme le Théâtre national de Toulouse (TNT) dont l’avenir proche est menacé » détaille Madeleine Louarn dans son courrier à Fleur Pellerin.
Responsabilité partagée
Faute de « concertation préalable entre les partenaires », estime le Syndeac, plusieurs risques pèsent sur les territoires :
- les suppressions d’activités
- les destructions d’emplois
- les ruptures des missions de service public
Pour mettre l’État face à ses responsabilités, le Syndeac invoque dans son courrier la « responsabilité partagée des partenaires publics» avec deux demandes :
- la nomination d’un médiateur « de façon rapide et contraignante chaque fois qu’un établissement est en péril » ;
- la création d’une « mission parlementaire républicaine » rassemblant des élus de tous bords politiques pour « évaluer la situation et garantir l’héritage comme l’avenir des outils nationaux et territoriaux de la création.
A Sète, trois arguments pour préserver les crédits de la culture
Comme les autres collectivités, Sète subit la baisse des dotations de l’État. Son budget de fonctionnement a chuté de 20%. Avec des coupes dans des missions jugées trop périphériques, comme la gestion d’un centre de loisirs en montagne pour les enfants, ou le non-remplacements de certains agents partis en retraite. Cependant, pour le sénateur-maire (UMP) François Commheines, la culture constitue « un choix politique », au moment où la crise budgétaire oblige les collectivités « à se recentrer sur leur cœur de métier ». Avec trois arguments :
1 « La culture est un des moteurs économiques. » Cela tient à l’histoire de Sète, fait valoir le maire, qui cite Paul Valéry, Georges Brassens, Pierre Soulages, Robert Combas et d’autres encore, qui font partie du patrimoine local et de l’attractivité de la ville. Une étude sur six festivals, commandée l’an passé par le maire, a montré qu’un euro investi produit 4 euros de retombées économiques dans une ville de 45 000 habitants, qui voit passer quelque 170 000 festivaliers l’été (1). De même, l’Espace Georges Brassens, à lui seul, attire 45 000 visiteurs par an.
2 « La culture est facteur de stabilité et d’intégration. » Sète est un port, rappelle François Commheines, notre population est donc faite de brassages, avec une diversité d’origines et d’apports culturels qui enrichissent le patrimoine culturel de la ville.
3 « La culture apporte de l’oxygène à tous ». A fortiori, souligne l’élu, dans une période de difficultés et parfois de désarroi des habitants de tous âges et de toutes catégories sociales, qui ont besoin que la culture « leur apporte un peu de bonheur. »
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