Trois ans après le vote de la loi Sauvadet du 12 mars 2012 qui a instauré des quotas progressifs pour favoriser les nominations de femmes aux postes de direction dans la fonction publique, les élèves administrateurs de la promotion Vaclav Havel ont mis en ligne sur leur blog les premiers résultats de leur étude sur le décret qui vise à atteindre 40 % de femmes aux postes de direction d’ici deux ans.
Face à une réalité qu’ils jugent « en trompe l’œil », ils se veulent force de propositions et d’action, comme le souligne leur étude intitulée : « Egalité professionnelle femmes-hommes dans la fonction publique territoriale : à nous d’agir ! » Qualitative plutôt que quantitative, elle a été réalisée sur la base d’un panel de 30 collectivités représentant les différents échelons (commune, EPCI, département, région) à partir de la strate de 40 000 habitants – et non de 80 000 comme le mentionne les décrets (1), pour être en phase avec les conditions de recrutement des administrateurs.
Echec de l’égalité salariale
« Notre objectif, c’était de voir comment les collectivités, leur direction des ressources humaines mais aussi leur encadrement supérieur se sont appropriés ces dispositions », explique Yannick Bompart, membre du groupe « égalité professionnelle » de la promotion Vaclav-Havel.
Après leurs prédécesseurs qui ont décrit notamment le plafond de verre auquel se heurtent les femmes pour accéder aux responsabilités territoriales, le nouveau groupe égalité ne mâche pas ses mots pour décrire des « inégalités patentes » et des freins. « L’égalité salariale est un échec en 2015 », affirment-ils.
Le graphique qui illustre à l’aide de couleurs la proportion de femmes aux postes de direction générale des services selon la taille de la collectivité est éloquent : si les femmes représentent près de 40 % des directeurs généraux de services et directeurs généraux adjoints des villes de 10 000 à 20 000 habitants, elles sont moins de 15 % dans les collectivités de 400 000 habitants et plus.
Dispositif de quotas efficace mais complexe
Les freins cités dans le déroulement d’une carrière sont nombreux. Certains sont bien connus, d’autres moins : outre la précarité plus grande, les temps partiels plus fréquents, les interruptions dues aux maternités, les femmes ont par exemple dans les services techniques moins souvent accès à un véhicule de service que les hommes et elles ont moins de rémunérations accessoires (heures d’astreintes et supplémentaires, régime indemnitaire), citent les élèves-administrateurs.
Les préjugés sont en outre tenaces. Pour les dissiper, les auteurs reviennent sur les idées reçues qui vont à l’encontre d’une discrimination positive encore souvent décriée alors qu’elle commence à porter ses fruits.
Au fil de leurs entretiens, ils ont noté que des notions n’ont pas été bien assimilées par les collectivités, comme celle de cycle pluriannuel de nominations, nécessaire dans la territoriale où le mouvement des administrateurs est réduit par rapport à ce qui se passe pour ceux de l’Etat – les mouvements y sont annuels.
« Ce dispositif a une certaine efficacité mais les collectivités ont du mal à se l’approprier du fait de sa complexité », note encore Yannick Bompart.
Manifeste pour la parité
La parité ne doit pas se limiter à une présence 50/50 dans les instances décisionnelles. Elle doit également permettre de s’interroger sur le partage des conditions de travail, le partage des tâches, sur les stéréotypes sexistes et sur l’ensemble des obstacles structurels qui empêchent les femmes de pouvoir pleinement exercer les fonctions à responsabilités pour lesquelles elles sont autant compétentes que les hommes », décrivent les futurs administrateurs qui s’impliquent en donnant à leur étude un accent de manifeste.
Extension du décret dès 10 000 habitants
Parmi leurs propositions, celle d’obliger à des nominations équilibrées dès la strate des 10 000 habitants rejoint une proposition formulée par le Syndicat national des directeurs généraux de collectivités territoriales en 2014 au vu de sa propre enquête auprès de ses 4 000 adhérents. Car, comme le montrent les statistiques du ministère de la Fonction publique, c’est à partir de la gestion d’une population de 10 000 habitants que le déséquilibre s’installe pour les femmes.
« Plus on monte dans les échelons de collectivités et moins les femmes sont présentes. On a donc tout intérêt à avoir un dispositif favorisant l’égalité professionnelle à partir de 10 000 habitants. Si les parcours sont plus fluides, ce sera plus facile pour les femmes d’accéder aux states plus élevées », estime Yannick Bompart qui note que les communes étudiées ont connaissance du dispositif des nominations équilibrées, mais n’ont pas forcément intégré ses mécanismes dans leur gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
« Cela crée une obligation mais pas forcément une réflexion stratégique. Le dispositif a donc des effets en termes de politique publique mais pas forcement sur les mentalités et pas assez parmi les professionnels des ressources humaines », relève encore l’élève-administrateur. Avec ses collègues de promotion, il compte donc diffuser le résultat de leur enquête auprès des services RH.
Incitations pour les services RH
Outre sa proposition de favoriser la formation à l’égalité professionnelle des managers notamment, le groupe de travail propose :
- de créer un prix national de l’égalité femmes-hommes,
- d’instaurer une valorisation financière par la dotation globale de fonctionnement des communes qui choisiraient d’améliorer l’égalité salariale
- et d’imaginer un label « exigeant et contrôlé » pour « communiquer avec la population », « créer le débat » et « influer sur la société ».
Des témoignages vont compléter cette première phase d’enquête. Sa version complète devrait être présentée au congrès de l’Association des administrateurs territoriaux de France, en juin prochain.
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Notes
Note 01 Décret n° 2012-601 du 30 avril 2012 relatif aux modalités de nominations équilibrées dans l'encadrement supérieur de la fonction publique et Décret n° 2014-1747 du 30 décembre 2014 modifiant le décret n° 2012-601 du 30 avril 2012 relatif aux modalités de nominations équilibrées dans l'encadrement supérieur de la fonction publique Retour au texte