Qui aurait imaginé que les députés introduiraient dans le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (projet de loi « Macron ») un amendement sur les horaires des bibliothèques ? C’est pourtant ce qui s’est passé le samedi 14 février 2015, lors de la discussion sur la modification du régime des « dimanches du maire » (augmentation du nombre de dimanches travaillés autorisés par les maires dans les commerces de détail). L’ancienne ministre de la culture, Aurélie Filippetti, député (PS) de Moselle, a défendu un amendement obligeant les maires à faire délibérer le conseil municipal sur l’ouverture des bibliothèques le dimanche (article 80, alinéa 2).
Dans l’année suivant la promulgation de la présente loi, dans le cadre de la concertation préalable à la désignation des dimanches prévus à l’article L. 3132-26 du code du travail, le maire soumet au conseil municipal et, le cas échéant, à l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale la question de l’ouverture des bibliothèques.
19 heures hebdomadaires
Aurélie Filippetti a fait valoir un « sujet d’intérêt général » et l’importance de ce « lieu d’émancipation individuelle » qu’est la bibliothèque. L’ancienne ministre – qui avait fait de 2014 l’année des bibliothèques – n’en est pas à son premier plaidoyer en faveur d’horaires élargies dans les équipements de lecture publique. Redevenue députée, elle a donc voulu adresser une « incitation » aux maires, « qui devrait faciliter les discussions avec les représentants des organisations syndicales des établissements. » Quelques villes ont déjà franchi le pas, notamment en accueillant le public le dimanche (Rennes, Toulouse, Saint-Malo…). Mais, avec une durée d’ouverture s’établissant en moyenne à 19 heures hebdomadaires, les bibliothèques ne répondent pas pleinement aux besoins des habitants et supportent mal les comparaisons internationales. Ce point faible est d’ailleurs régulièrement dénoncé.
Initiative étonnante
L’amendement d’Aurélie Filippetti a tout de même de quoi surprendre. Ce pour au moins cinq raisons, que ses contradicteurs dans l’hémicycle n’ont pas manqué de relever :
- pourquoi traiter le cas des bibliothèques, service public local, dans un texte portant sur l’organisation de la vie économique ?
- dans quelle mesure un tel amendement ne contredit-il pas la libre administration des collectivités territoriales ?
- pourquoi avoir besoin d’une loi pour qu’un conseil municipal en débatte ?
- la question ne se pose pas partout, certaines communes ayant une bibliothèque modeste, et/ou associative et animée par des bénévoles.
- enfin, envisager l’ouverture de la bibliothèque le dimanche suppose, pour la commune, d’en évaluer le coût (heures supplémentaires ou récupération des agents, dépenses de fonctionnement du bâtiment en sus etc.), un temps de négociation avec les agents et leurs représentants etc.
Nouvelle rédaction en vue
L’amendement « Filippetti » a finalement été adopté, mais modifié par un sous-amendement demandé par Emmanuel Macron. Le ministre de l’Economie a souhaité limiter le débat en conseil municipal à la première année suivant la promulgation de la future loi « Macron » (à l’instar de ce qui est prévu pour le débat sur l’ouverture dominicale des commerces), estimant inutile « que cette discussion ait lieu chaque année. » En outre, il a demandé que la rédaction de cet article 80 soit étudiée en vue du passage du texte au Sénat, afin de prendre en compte son incidence sur les dispositions relatives à la FPT, ou d’insérer ce sujet dans le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), dont les députés ont commencé l’examen en séance ce mardi 17 février.
Une critique récurrente
La faiblesse des horaires d’ouverture des bibliothèques est régulièrement dénoncée. Dans un rapport sur le sujet en 2013, l’Inspection générale des bibliothèques,en a même pointé la « ringardise ». En 2014, l’ONG « Bibliothèques sans frontières » a, de son côté, lancé une pétition intitulée « Ouvrir + les bibliothèques ». Initiative nuancée par un collectif de professionnels de la culture de la Ville de Paris, auteur d’une autre pétition « Ouvrons mieux les bibliothèques », qui met l’accent sur les moyens nécessaires à l’élargissement des plages horaires.
A la veille des dernières élections municipales, l’Association des bibliothécaires de France (ABF) a fait en quelque sorte la synthèse de ces deux initiatives en développant les conditions de réussite d’une telle option. Enfin, dans un entretien avec La Gazette, publié le 8 décembre 2014, l’actuelle ministre de la Culture, Fleur Pellerin, a plaidé pour « l’accessibilité d’un service public essentiel » et « son adaptation aux rythmes de vie de la population ». Lors des Assises des bibliothèques, qui se sont déroulées à Paris, le même jour, a été présenté un guide pratique « Ouvrir grand la médiathèque », réalisé par le ministère et l’ABF, pour mettre en lumière les bonnes pratiques en matière d’extension des horaires.