« Des sentiments ambivalents » : c’est en ces termes que Fanélie Carrey-Conte, députée (PS) de Paris, a décrit les relations entre économie sociale et solidaire (ESS) et Europe en ouverture d’une journée consacrée à cette thématique le 16 janvier 2015, à Paris, et organisée par le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES).
« Il y a des choses intéressantes qui se passent mais en même temps les règles économiques qui régissent les marchés européens, notamment de concurrence libre et non faussée, viennent percuter certaines valeurs et les modes d’agir de l’ESS. On le voit notamment avec la difficulté de faire reconnaître la spécificité des services sociaux d’intérêt général (SSIG). Mais pour autant, il y a de nombreuses opportunités à saisir et de projets à mettre en œuvre », a souligné l’élue.
Deux approches
Première question : peut-on parler d’ESS à l’échelle européenne ? Comme l’a rappelé Denis Stokkink, économiste belge et fondateur du Think and do tank « Pour la solidarité« , le concept d’ESS n’existe en tant que tel qu’en France. « Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’éléments communs de l’ESS entre les pays européens », a-t-il insisté.
Deux approches peuvent être privilégiées pour les identifier : par le statut et par la finalité (service à la collectivité, autonomie de gestion, gestion participative…).
Statuts différents
La première approche se heurte vite à un écueil, à savoir que les quatre familles de l’ESS (associations, mutuelles, coopératives, fondations) n’existent pas partout. « Par exemple, en Italie, il n’y a pas de mutuelles et pourtant leur modèle est assez proche de celui de la France, a illustré Denis Stokkink.
En Grande-Bretagne, on ne trouve pas d’associations à proprement parler tandis qu’une fondation en Roumanie c’est une association avec du capital. « L’approche par statut est donc compliquée au niveau européen ».
Lois-cadres et lois techniques
L’approche par la finalité sociale, à travers les caractéristiques de l’ESS, semble donc plus adaptée.
Denis Stokkink distingue, à ce propos, différents cas de figure entre les pays où il n’y a pas de loi relative à l’économie sociale, d’autres qui ont une loi-cadre, d’autres encore qui disposent de lois techniques importantes.
« En France, on a une loi hybride entre la loi-cadre et la loi technique. On peut parler de lois cadres au Portugal et en Espagne où des éléments de l’ESS sont repris dans la Constitution » (1).
Par ailleurs, le pays doté des lois techniques les plus abouties est, selon Denis Stokkink, l’Italie, qui a voté une loi sur les coopératives sociales en 1991 et une sur l’entreprise sociale en 2005. A signaler également le cas de la Grèce où l’Union européenne (UE) a encouragé le vote de la loi économie sociale et entrepreneuriat social en 2011.
Entrepreneuriat social
Au-delà de ces différentes approches nationales de l’économie sociale, Denis Stokkink a dressé les contours de ce qui pourrait constituer une politique européenne en matière d’ESS.
Là encore, on retrouve l’approche statutaire sur laquelle a longtemps travaillé la Commission (base juridique sur les coopératives et les mutuelles en 1989, directive sur les coopératives…), et l’approche par finalité, plus marquée depuis 2011, année où la Commission européenne a lancé une politique majeure pour les entreprises sociales intitulée l’initiative pour l’entrepreneuriat social (IES).
Enfin, si l’ESS n’est pas représentée en tant que telle au sein des instances européennes, ses composantes le sont : « au sein de la Commission il n’y aucune direction dédiée à l’économie sociale, mais ses thématiques sont représentées (emploi, lutte contre la pauvreté…), a détaillé Denis Stokkink. Il existe également depuis 1990 un intergroupe « économie sociale » au Parlement, qui est un outil informel mais précieux, au même titre que l’intergroupe « services publics », car chacun d’eux participe à la reconnaissance et à la diffusion des revendications de l’économie sociale au niveau européen ».
Enjeu transversal
Avant de souligner que l’ESS constitue un enjeu transversal, relié à d’autres politiques au niveau européen. A ce titre, il a regretté que les élus français ne s’emparent pas plus des fonds structurels pour soutenir ce secteur (voir l’étude consacrée par le RTES et l’Avise à ce sujet), à la différence de leurs homologues italiens ou espagnols. Il a également estimé que la transposition de la directive européenne en matière de marchés publics pourrait offrir des opportunités « gigantesques » aux collectivités territoriales françaises pour développer l’ESS.
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Economie sociale et solidaire et collectivités territoriales : un couple à fort potentiel
Sommaire du dossier
- L’économie sociale et solidaire, encore inclassable, un jour incontournable ?
- ESS : les lois « Hamon » et « Notre » ont rebattu les cartes dans les territoires
- Les points clés de la loi pour l’économie sociale et solidaire
- ESS et collectivités territoriales : passer d’une politique de soutien à une politique de « faire avec »
- Economie sociale et solidaire : une politique encore en quête de légitimation
- Hugues Sibille : « La puissance publique ne doit pas se sentir menacée par l’innovation sociale »
- A la recherche de nouvelles formes de partenariat pour l’ESS
- SCIC : une nouvelle alliance public-privé
- « L’économie sociale et solidaire implique un partage du pouvoir politique »
- Les circuits courts économiques et solidaires : comment en faire des leviers
- ESS : des fonds européens sont possibles… si l’on y met la forme
- Comment les régions utilisent les fonds européens pour soutenir l’ESS
- Comment l’Europe appréhende l’économie sociale et solidaire
- Economie sociale et solidaire : 75% des plus grandes coopératives ont leur siège en région
- Rapport Frémeaux sur l’ESS : pour une autre méthode de mesure de l’utilité sociale
Notes
Note 01 au Portugal, le secteur coopératif est inscrit dans la Constitution de 1974 et en Espagne, les coopératives, associations et fondations sont citées dans la Constitution de 1978 Retour au texte