Vous retracez plus d’un siècle d’évolution des professions et de leurs combats dans votre ouvrage (1) . Comment analysez-vous la période actuelle ?
Aujourd’hui, les professionnels sont davantage dans la défense de ce qui a été acquis que dans l’invention de nouvelles solutions. Par rapport à d’autres périodes, la nôtre manque grandement d’enthousiasme. Et l’on peut le comprendre : le décalage entre les politiques publiques et les aspirations des travailleurs sociaux n’a jamais été aussi grand. Un travailleur social peut bien multiplier les actions d’insertion, ce sera en vain s’il n’y a pas de création d’emplois.
Vous revenez sur la décentralisation. Quelles conséquences a-t-elle eues sur le travail social ?
Ce fut une période extrêmement compliquée. Le gouvernement en place a lancé de nombreux dispositifs, notamment en politique de la ville, mais sans disposer d’agents en nombre suffisant pour les mettre en œuvre à la suite des transferts de personnels aux départements. Il s’est alors tourné vers les associations, envoyant le message que les professionnels du social avaient été incapables d’innover.
Les acteurs de terrain n’ont, semble-t-il, pas été suffisamment associés à la démarche des états généraux du travail social. Peut-on imaginer un rattrapage de la situation ?
Ces acteurs peuvent encore s’emparer de la question. Dans d’autres situations de crise sociale ou économique, ils ont su se positionner… Même hors du cadre défini ou de la loi ! On en perçoit quelques prémisses : je pense, par exemple, à la récente grève de l’équipe du 115 de Toulouse, qui a voulu protester contre le manque de places en hébergement d’urgence. Sur le terrain, il y a, certes, ce qui est légal, mais aussi ce qui semble légitime au professionnel, une conviction qui va guider sa réflexion et sa décision.
Ont-ils raison de s’inquiéter d’un projet de réforme des diplômes ?
Un retour dans le passé du travail social va peut-être les rassurer. L’idée d’un diplôme unique a déjà été évoquée, au milieu des années 70 face à la croissance des effectifs, à la multiplication des professions et aux difficultés inhérentes de coordination, pour, finalement, être abandonnée. Les professionnels peuvent peut-être compter sur une même forme d’inertie…
Comment évaluez-vous les expériences de développement social local dans lesquelles s’engagent de plus en plus de collectivités ?
Je ne suis guère convaincu. Il y a deux façons, très différentes, de faire du développement social. La collectivité peut imaginer un beau projet et y associer, en touche finale, les usagers, le plus souvent sur des questions mineures. Ou être réellement dans la coconstruction d’actions. Cette solution est beaucoup plus exigeante, laborieuse et lente. Elle est, par conséquent, beaucoup plus rare.
Cet article fait partie du Dossier
Travail social : une nécessaire refondation
Sommaire du dossier
- Travail social : une réforme des diplômes au milieu du gué
- Diplômes de travail social : l’agrément des établissements de formation transféré aux régions
- Passage en catégorie A : les travailleurs sociaux attendront un an de plus
- Diplômes du travail social : la réforme s’appliquera à la rentrée 2018
- Travail social : le passage en catégorie A va concerner 40 000 fonctionnaires
- Travail social : le parcours de l’usager comme objectif
- Travail social : un parcours de la rue au logement
- Travail social : les éducateurs jeunes enfants vigilants sur la réforme
- « Les pratiques numériques ont envahi le quotidien des travailleurs sociaux »
- Des travailleurs sociaux fragilisés par la crise
- « Il y a urgence à penser l’inclusion sociale » – Roland Giraud, Andass
- Travailler autrement pour changer la relation à l’usager
- Le travail social en crise ? 4 témoignages
- Travail social : « La complémentarité entre le privé non lucratif et le public est souhaitable »
- « Les acteurs du social ont toujours su se positionner en temps de crise » – Henri Pascal, sociologue
- Action sociale : la contrainte budgétaire, un levier de refondation ?
- Le Haut Conseil du travail social en pratique
Thèmes abordés
Notes
Note 01 « Histoire du travail social en France. De la fin du XIXe siècle à nos jours », Presses de l’EHESP, 2014. Retour au texte