La situation devenant intenable, la Banque nationale suisse (BNS) a décidé le 15 janvier de lâcher prise sur sa monnaie dont la parité par rapport à l’euro était maintenue artificiellement à un taux plancher de 1,20 franc suisse pour un euro depuis septembre 2011. Il cote désormais à parité avec l’euro, soit une réévaluation du franc suisse d’environ 15 %.
« Le fait déclencheur résulte de la baisse de l’euro par rapport au dollar, mais aussi des autres monnaies, donc mécaniquement le taux du franc-suisse a baissé », explique le consultant Emmanuel Fruchard. La BNS a donc décidé de ne plus soutenir l’euro en l’achetant à 1,20 franc suisse, « car cela demandait une prise de risque trop importante ». La surprise vient davantage du moment de l’exécution de cette décision que de la décision elle-même qui était prévisible.
Conséquences colossales – « Le franc suisse est sous côté d’au moins 7 % », expliquait au Club finances, fin novembre 2014, l’avocat Marc Le Son. « Quand la BNS ne pourra plus contenir sa parité monétaire ou lorsque le coût consacré par la Suisse à la tenue de cette parité deviendra trop lourd, la monnaie suisse sera valorisée de manière importante, de l’ordre de 25 %, ce qui entrainera une forte progression des taux des contrats toxiques indexés sur le cours euro/franc suisse », ajoutait-il.
Ce scénario vient donc de se réaliser avec des conséquences colossales pour les collectivités locales détentrices d’emprunts toxiques indexés sur les parités entre ces monnaies. « Non seulement les taux de tous les emprunts indexés sur les cours de change euro/franc suisse et US dollar/franc suisse vont fortement augmenter, mais également ceux indexés sur la différence entre la parité euro/US dollar et US dollar/franc suisse », prévient Emmanuel Fruchard qui a déjà procédé à des estimations.
Les taux d’intérêts explosent – Par exemple, au moment où nous écrivons ces lignes, le taux d’intérêt d’un contrat de la ville de Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher) bondit de 16,50 % avec un euro à 1,2 franc suisse à 28,79 % avec à 1 euro à 1 franc suisse quand celui du Syndicat intercommunal pour la destruction des résidus urbains (SIDRU), basé à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) explose littéralement de 38,31 % à 65,61 %.
Christophe Greffet, président de l’association Acteurs publics contre les emprunts toxiques (APCET) et vice-président (PS) du département de l’Ain, a déjà fait ses calculs. Avec une dette toxique de 42 millions d’euros indexée sur la parité euro/franc suisse et la différence entre la parité euro/US dollar et US dollar/franc suisse, le surcoût s’élève à 3,8 millions d’euros. Pour un seul prêt d’un montant de 9,8 millions, le taux évolue de 8 % à 30 %, soit 2 millions d’euros d’intérêts par an.
Méfiance sur les coûts d’annulation – « L’APCET a toujours évoqué ce risque potentiel », souligne Christophe Greffet pour lequel cet événement « gravissime » pose la question de « l’architecture » du fonds de soutien aux emprunts toxiques mis en place par l’Etat pour financer une partie des indemnités de remboursement anticipé (IRA) à payer par les collectivités pour renégocier leur contrat.
« L’envolée du franc suisse va faire exploser les IRA », prévient-il, « dès lors la mécanique du fonds ne tient plus et son modèle économique doit être révisé ». Le président de l’APCET considère même que cet événement va redonner de « l’actualité aux contentieux en cours » dont certains devraient donner lieu à des décisions de justice au mois de février.
« Par ailleurs, alerte Emmanuel Fruchard, si une collectivité négocie une sécurisation, elle doit considérer avec prudence les coûts d’annulation communiqués par les banques ». En effet, « le fait que l’État aide les collectivités au taux maximum de 45 % des coûts d’annulation pourrait inciter les deux autres acteurs, à savoir les banques et les collectivités, à afficher des coûts artificiellement élevés ». Comme nous avons souvent l’occasion de l’écrire, le feuilleton des emprunts toxiques n’en fini pas de rebondir.
Rectificatif
Contrairement à ce que nous avions indiqué lors de la publication de cet article, le 16 janvier 2015, la communauté d’agglomération de Chartres Métropole précise qu’elle n’a jamais payé un taux dégradé de 21,90 % : « le taux payé jusqu’en 2011 a été de 3,75 % pour chacune des échéances. Aussi. Chartres Métropole a su anticiper une telle situation. Ce prêt a été renégocié en 2012 pour être sécurisé, de sorte que la collectivité ne paie pas désormais qu’un taux fixe de 4,5 % qui s’applique à chaque échéance et ce jusqu’au complet remboursement de l’emprunt. »
La rédaction du Club finances tient à s’excuser auprès de Chartres Métropole et de ses lecteurs et abonnés pour cette regrettable confusion.
Cet article fait partie du Dossier
Emprunts toxiques : un feuilleton qui touche à sa fin ?
Sommaire du dossier
- La crise des emprunts toxiques enfin « maîtrisée » selon la Cour des Comptes
- [Introduction] Les emprunts toxiques, un feuilleton à l’issue toujours incertaine
- Le gouvernement veut donner le clap de fin des emprunts toxiques
- Emprunts toxiques : la justice déboute quatre communes
- Emprunts toxiques : le fonds de soutien mise sur un fort taux d’accord
- Emprunts toxiques : le fonds de soutien en retard sur ses objectifs
- Dette toxique : « Après l’intervention du fonds, 10 % des bénéficiaires auront besoin d’un accompagnement durable »
- Maurice Vincent : « La Sfil doit faire preuve de plus de souplesse »
- Emprunts toxiques : le fonds de soutien retarde les procédures judiciaires
- Emprunts toxiques : le fonds d’aide tient une partie de ses promesses
- Emprunts toxiques : Saint-Cast-le-Guildo fait plier Dexia
- Emprunts toxiques : après avoir sollicité le fonds, les collectivités affutent leurs armes
- Emprunts toxiques : « Plus de 200 collectivités ont sollicité le fonds de soutien pour un ou plusieurs prêts »
- Emprunts toxiques : le gouvernement annonce le doublement du fonds de soutien
- Emprunts toxiques : « L’Etat doit donner rapidement de la visibilité aux élus »
- Stéphane Troussel : « Il faut que les banques contribuent davantage »
- Emprunts toxiques : l’envolée du franc suisse sème la panique
- « Déjà élevés, les taux de nombreux emprunts toxiques vont doubler »
- Emprunts toxiques : la date butoir pour saisir le fonds de soutien est décalée au 30 avril 2015
- L’Union européenne aura bien son mot à dire sur les emprunts toxiques
- Emprunts toxiques : des communes refusent le fonds de soutien
- Emprunts toxiques : faut-il souscrire au fonds de soutien ou maintenir ses assignations ?
- Emprunts toxiques : la facture reste élevée pour la Seine-Saint-Denis
- Emprunts toxiques : le fonds de soutien est opérationnel
- Emprunts toxiques : la formulation inappropriée de la circulaire sur le fonds de soutien
- Emprunts toxiques : les collectivités se tournent vers la Cour de justice européenne
- Emprunts toxiques : la loi de sécurisation ne clôt pas toutes les procédures
- Emprunts toxiques : la loi de sécurisation est publiée au JO
- Emprunts toxiques : le Conseil constitutionnel valide la loi de sécurisation
- Le Sénat adopte définitivement le projet de loi de validation des emprunts toxiques
- Emprunts toxiques : l’Assemblée nationale adopte la loi de validation
- Le jugement du TGI de Nanterre Seine-Saint-Denis contre Dexia décrypté
- La Seine-Saint-Denis perd face à Cacib
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