Après avoir « vécu sous tension, l’horreur puis l’espoir » la semaine écoulée, les élus locaux membres de l’association « Ville & Banlieue » veulent se faire entendre. Dans un communiqué intitulé « Banlieues : les jours d’après diffusé le 13 janvier, les maires de banlieues ne dissimulent pas leurs craintes et demandent à participer à la réflexion nationale.
« Notre République sait désormais qu’elle est vulnérable. Forte autant que vulnérable. Et qu’elle peut basculer, dangereusement et peut-être irrémédiablement », disent-ils.
« Pour que les enfants et les jeunes de banlieue puissent être aux avant-postes de la génération Charlie, nous élus des villes de banlieue, demandons à participer officiellement et de plein droit, aux discussions et aux politiques nouvelles qui doivent s’élaborer, sinon dans l’unanimisme imposé, dans le plus large consensus démocratique possible ».
« Contradictions » – Pour eux, la gravité de la situation ne laisse d’ailleurs plus le choix aux gouvernants. « Nous le disons depuis longtemps, et cette tragédie nationale le rappelle avec brutalité : les banlieues sont en première ligne. Elles sont aujourd’hui plus que jamais et plus que tout autre territoire, le révélateur et le théâtre de nos fractures, de nos impuissances, contradictions et faiblesses. »
Mais dans le même temps, disent-ils, les quartiers populaires représentent aussi « l’avenir possible donné aux promesses de l’humanisme républicain. Les banlieues sont sur le fil, prises entre la révolte et le déni devant cette barbarie, la volonté d’en être et la crainte de trahir, la tentation mortifère de l’identité et la difficulté de s’en sortir. L’intégration et la désintégration. »
Plus de participation citoyenne ? – « Nous savons qu’il nous faut d’urgence rebrancher l’économie sur l’utilité sociale et environnementale, développer la participation citoyenne, combattre la misère et le mal-logement, poursuivre la rénovation urbaine bien sûr, amplifier la confiance et la coopération entre l’Education nationale et les familles, etc… »
Et de dresser la liste des défis à relever, « les enjeux du possible » disent-ils :
- Garantir la présence des services publics en soutenant leurs agents de terrain (médiateurs, travailleurs sociaux, enseignants, policiers, gardiens d’immeubles, professionnels de santé, …)
- Réintroduire l’éducation populaire qui permet l’émancipation des individus.
- Combattre l’obscurantisme et les fanatismes.
- Faire comprendre et partager le trésor de la laïcité qui protège les croyances autant qu’elle préserve de leurs débordements.
- Enseigner à l’école de la République les religions et les cultures de tous.
- Travailler partout avec les associations locales à la culture, à la tolérance et au désenclavement des esprits.
- Punir sans complaisance ni culpabilité, et d’où qu’ils viennent, le sexisme, les préjugés racistes et les discriminations.
- Apprendre ensemble la légalité, rappeler chacun à ses devoirs, à l’impératif de civilité et de civisme.
- Apporter des moyens à la santé mentale et combattre les toxicomanies.
- Refuser la banalisation des violences autant que la prolifération des armes.
Radicalisation : les maires de banlieues veulent éviter les amalgames
«Non, il n’y a pas de phénomène de radicalisation dans les banlieues », lançait, jeudi 8 janvier, tranchant, le président de Ville & banlieue Damien Carême. Au lendemain de l’attentat meurtrier contre les journalistes de « Charlie Hebdo », le jour de l’assassinat de la policière municipale de Montrouge et à la veille donc de la prise d’otages du supermarché casher de Vincennes, il était nécessaire d’éviter tout amalgame.
« Il existe des tensions dans les quartiers, c’est vrai, mais on ne peut pas parler de radicalisation. Nous sommes forts de nos villes cosmopolites, c’est une richesse », ajoutait dans la foulée le maire (ex-PS) de Grande-Synthe (Nord). Un constat partagé en tout point par son vice-président à Ville et banlieue, Stéphane Beaudet.
Problèmes de perception – « Je ne peux pas dire que je sente une radicalisation en tant que telle dans ma ville. Nous disposons d’une grande mosquée. Il y a plus de musulmans, c’est indéniable, et de jeunes qui se convertissent. Oui, la religion est de plus en plus représentée mais, là encore, cela ne veut pas dire qu’il y ait une islamisation » développait le premier magistrat (UMP) de Courcouronnes (Essonne) et président de l’Association des maires d’Ile-de-France (AMIF).
« La radicalisation est difficile à percevoir, elle passe davantage par internet. Il s’agit de faire preuve de nuance car nombre d’amalgames sont trop souvent faits », regrettait-t-il lors d’un entretien réalisé le même jour avec la Gazette.
Il n’en reste pas moins que, même face aux sites de propagande, la vigilance des pouvoirs publics est grande. Après que le ministre de l’Intérieur ait appelé les acteurs locaux – cela va des services de protection de l’enfance des conseils généraux jusqu’à la prévention spécialisée, en passant par l’Education nationale ou les services médicaux – à « détecter les signaux faibles » de la radicalisation, la lutte contre le terrorisme implique désormais les collectivités territoriales. La circulaire consacrée aux priorités du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) pour l’année 2015 met d’ailleurs l’accent sur la prévention de la radicalisation.
Prévention accrue… et politique de la ville – Aujourd’hui, à l’instar de Stéphane Beaudet, les maires tentent d’appliquer cette prévention accrue. « Nous le faisons lorsque nous le voyons. Par exemple, quand je remarque un jeune qui part trois fois dans l’année au Pakistan ou en Afghanistan, je fais remonter les informations. Ou lorsque des locaux sont achetés par des Turcs et transformés en zone de prière non référencée », témoigne-t-il.
Néanmoins, le président de l’Association des maires ville et banlieue de France, Damien Carême, se veut rassurant. « On a beaucoup parlé des jeunes qui partent faire le djihad. Il faut relativiser. Ce sont quelques centaines de personnes, alors qu’il y a 10 millions d’habitants en banlieue. La question de fond dans les banlieues concerne avant tout la situation sociale et la pauvreté. »
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