Difficile de trouver un accord entre l’Etat et les élus sur le schéma de gouvernance du Grand Paris. L’exécutif prône une métropole forte. Il se heurte à des collectivités locales jalouses de leur autonomie. Pendant longtemps, ces dernières, représentant des intérêts territoriaux divergents, ont eu du mal à s’accorder sur une vision commune.
Mais, le 8 octobre 2014, le conseil des élus de la mission de préfiguration de la métropole du Grand Paris a arrêté, à une très grande majorité (134 voix contre 8), un compromis. Evidemment, et sans surprise, son contenu va à l’encontre de ce qui est prévu dans la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) votée le 27 janvier 2014. Quels sont les principaux points d’achoppement entre l’Etat et les collectivités ?
Des territoires autonomes – La loi MAPTAM prévoyait la création d’un EPCI à fiscalité propre, la Métropole du Grand Paris, qui serait composée de territoires, vastes entités d’au moins 300 000 habitants, sans réelle autonomie. Dans ce schéma, les intercommunalités devaient disparaître, le PLU devait être transféré à la métropole ainsi que l’exercice du mécanisme de compensation entre les communes.
Le Conseil des élus, farouchement opposé à ce texte, a souhaité que les territoires disposent de beaucoup plus de pouvoir. Selon son compromis, les territoires ont également le statut d’EPCI, ce qui les place au même niveau que la métropole, avec une autonomie juridique et fiscale. Le processus de transfert de compétences se ferait plus progressivement : « dans un premier temps, la Métropole exerce les compétences stratégiques puis de façon progressive, les compétences opérationnelles » est-il écrit dans le document.
Le gouvernement à l’écoute – Dans ce schéma, la métropole, nait au 1er janvier 2016, comme dans la loi MAPTAM. Elle définit le projet métropolitain et a son propre SCOT, mais le transfert des compétences, par exemple le logement, ne se déroule que courant 2016 ou 2017. Quant à l’idée d’un PLU métropolitain, elle est oubliée.
Enfin, un « fonds métropolitain de soutien à l’investissement » est mis en place pour aider les territoires les plus défavorisés et une recette fiscale, issue des produits de la Cotisation Foncière des Entreprises (CFE), est attribuée aux territoires.
L’Etat ne fait pas la sourde oreille et se montre même attentif aux souhaits des élus. Manuel Valls a affiché son ouverture lors du discours dédié au Grand Paris, prononcé à Créteil, le 13 octobre. Il s’y est d’ailleurs prononcé en faveur de la disparition progressive des départements dans un souci de clarté administrative.
Lire aussi : Métropole du Grand Paris : Marylise Lebranchu desserre l’étau
Multiples interrogations – A présent, un amendement gouvernemental portant les modifications proposées par le Conseil des Elus devrait être soumis au Sénat dans le cadre du projet de loi sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe).
Mais de nombreuses questions restent en suspens.
- Le but du Grand Paris, qui est de créer un vaste territoire de décision pour améliorer les conditions de vie de plus de 6 millions d’habitants, paraît-il encore crédible alors qu’il pourrait contenir trois échelons de gouvernance (Métropole, territoires, communes) avec des compétences différentes ?
- Une vision stratégique d’ensemble pourra-t-elle se dégager ou bien les entités resteront-elles enfermées dans des guerres de chapelles au détriment de projets plus globaux ?
- Quelles seront les implications en matière de logement, d’urbanisme ou de lutte contre les inégalités ? Un transfert progressif ne met-il pas en péril la métropole ?
- L’autonomie gardée par les pouvoirs locaux ne va-t-elle pas retarder, voire mettre en danger, la volonté de rétablir l’égalité entre les territoires riches et ceux qui sont le plus en difficulté ?
- Enfin, quel signal la discordance entre l’Etat et les collectivités territoriales envoie-t-elle aux investisseurs locaux et étrangers ?
Le spectre du repli – Patrick Devedjian (UMP) et Anne Hidalgo (PS) se félicitent du compromis trouvé par le texte qui sauvegarde les prérogatives locales tout en créant progressivement la Métropole. Mais certains élus ne partagent pas leur sentiment et s’interrogent sur l’avenir du Grand Paris.
Ainsi, Stéphane Troussel, président (PS) du conseil général de Seine-Saint-Denis fait part de ses craintes : il redoute que la disparition du PLU intercommunal ait de graves répercussions sur la construction de logements, pourtant si nécessaire en Ile-de-France et il s’alarme de la complexité administrative qu’engendre l’octroi d’une autonomie juridique et financière aux territoires.
Urgence absolue – Surtout, il craint pour le principe d’égalité des territoires qui est l’un des objectifs du Grand Paris comme il l’a expliqué au Congrès des Maires à la fin du mois de Novembre (lors d’une rencontre organisée par l’Union Sociale de l’Habitat).
Carlos Da Silva, député (PS) de l’Essonne, partage les mêmes craintes : il s’alarme du danger du « repli sur soi » et évoque la nécessaire lutte contre les inégalités territoriales et l’urgence d’organiser la puissance métropolitaine.
Discussions et interrogations semblent bien légitimes alors que la gouvernance va être totalement bouleversée en Ile-de-France. Se pose pourtant la question du calendrier : est-ce bien judicieux de reprendre ce débat maintenant alors que la Métropole du Grand Paris doit voir le jour le premier janvier 2016 ?
Cet article fait partie du Dossier
Grand Paris : un débat capital
Sommaire du dossier
- Le Grand Paris ne pourra pas éviter une réforme de son financement
- Le Sénat s’attaque au « cauchemar légistique » du Grand Paris
- Grand Paris : réforme improbable, statu quo impossible
- Grand Paris express : les immenses enjeux qui attendent les quartiers des gares
- Métropole or not métropole ?
- Grand Paris : les départements sauvent leur peau
- Les mégas-projets du Grand Paris
- Grand Paris : le bras de fer pour la gouvernance
- Grand Paris : les principaux acteurs du projet
- Grand Paris : un schéma fiscal en deux temps pour la métropole
- Grand Paris : entre fiscalité partagée et modeste fonds métropolitain
- Métropole du Grand Paris : l’impact sur la péréquation en Ile-de-France
- Grand Paris : des retombées économique colossales attendues
- Grand Paris Express : une bataille politique, une victoire de la banlieue
- Grand Paris : situation d’urgence pour le logement social
- [Exclusif] Grand Paris : les leçons du Grand Londres
- Le Grand Paris en data (3) : des inégalités sociales entre l’est et l’ouest de la métropole
- Le Grand Paris en data (2) : quelle répartition des richesses au sein de la métropole ?
- Le Grand Paris en data (1) : des dynamiques de l’emploi contrastées
- Métropole du Grand Paris: « une première étape nécessaire, mais à renforcer »
- Les offices HLM entraînés dans la tourmente du Grand Paris
- Gagner la bataille du foncier : une course contre la montre ?
- Grand Paris : « L’émiettement des pouvoirs locaux favorise la ségrégation » – Patrick Le Lidec
- « Grand Paris : les ayatollahs de la métropole ont perdu la bataille » – Patrick Devedjian
- Grand Paris : le blues des DGS
- Métropole du Grand Paris : les agents dans l’attente de réponses
- [Frise interactive] Le Grand Paris, un chantier en cours depuis un siècle et demi
- Grand Paris culturel : «un défi démocratique à relever»