Les allégations mettent en cause de manière systématique et non justifiée la qualité et la potabilité de l’eau du robinet. Telle est, en substance, la conclusion de la décision rendue le 17 février 2010 par le jury de déontologie publicitaire à propos d’une récente campagne publicitaire pour l’eau en bouteille Cristaline.
Deux spécialistes de la la FNCCR, Michel Desmars, chef du département eau et assainissement de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et Clotilde Carron, chargée de mission maîtrise des énergies, des énergies renouvelables et des déchets , décryptent, pour la Gazette, les principaux éléments de l’affaire.
Qu’est ce qui, dans la publicité Cristaline incriminée, vous choquait le plus ?
Deux points sont particulièrement choquants :
- l’exploitation, à des fins commerciales, de peurs irrationnelles concernant la santé, et la manipulation de l’opinion publique en vue d’accroître ces peurs irrationnelles en ce qui concerne la consommation d’eau du robinet ;
- le caractère incomplet et tendancieux des assertions sur le recyclage. La recyclabilité du produit est mise en avant sans expliquer, en toute objectivité, le cycle de vie de la bouteille en plastique. Ne sont pas évoquées les empreintes environnementales (empreinte carbone, ressources consommées, …) de la production d’une bouteille, de son acheminement, de son recyclage, ce qui donne une impression aux consommateurs que, dès lors que la bouteille est recyclée, son impact sur l’environnement est nul.
Pour quelles raisons les collectivités ont-elles intérêt à ce que les citoyens consomment plutôt de l’eau du robinet que de l’eau en bouteille ?
L’«intérêt» défendu par les collectivités, dans cette affaire, est l’intérêt général et non un intérêt commercial ou financier quelconque.
En tant qu’autorités responsables de la distribution d’eau potable, les collectivités n’ont pas d’objection à ce que certains consommateurs boivent de l’eau en bouteille, par goût ou pour d’autres raisons. La boisson ne représente qu’une faible part de l’eau du robinet consommée.
L’utilisation d’eau en bouteille en substitution d’eau du robinet n’a donc quasiment aucun impact sur la facture d’eau des ménages, ou sur les recettes des budgets des services publics d’eau potable.
En revanche, il est inacceptable que l’on propage des rumeurs infondées sur la qualité de l’eau du robinet qui demeure le produit alimentaire le plus surveillé en France, avec environ 5 millions d’analyses réalisées chaque année, sous l’égide du ministère chargé de la santé, pour en contrôler les différents paramètres de qualité bactériologique et chimique.
La FNCCR représente également les autorités organisatrices de la collecte et du traitement des déchets ménagers. Nos adhérents s’inscrivent donc dans la politique déchets définie par le MEEDDM.
L’axe prioritaire de cette politique est la réduction des déchets à la source. Boire l’eau du robinet permet donc bien une économie des ressources. De plus, un déchet évité, c’est autant de frais économisé pour la collectivité et donc pour l’usager.
L’augmentation du taux de recyclage est la 2ème priorité de la politique déchets, notamment avec un objectif de 75% des emballages ménagers recyclés en 2012.
Le recyclage d’1 bouteille sur 2 reste donc insuffisant et le geste de recyclage doit continuer à être encouragé, favorisé et non apparaître comme un but atteint.
Le jury de déontologie publicitaire considère que la publicité discrédite les campagnes de sensibilisation de l’Ademe. A ce titre, pouvez-vous rappeler quels coûts représentent pour les collectivités l’assainissement de l’eau et le traitement des déchets ?
Le coût moyen de collecte et de traitement d’un mètre cube d’eaux usées est généralement compris entre 1 et 1,5 euro hors redevances et taxes. Cela dit, il existe des écarts assez significatifs d’un service d’assainissement à l’autre, en fonction des caractéristiques de chaque service.
Ce coût est identique, pour un même service d’assainissement, quelle que soit l’origine de l’eau rejetée dans le réseau de collecte : robinet ou bouteille.
Mais contrairement à l’eau du robinet, l’eau en bouteille ne supporte pas la redevance d’assainissement.
En 2006, le coût complet de gestion du service public d’élimination des déchets s’élevait à 6,4 milliards d‘euros, dont 22% imputés aux matériaux secs (emballages, plastiques, journaux, magazines, revues…).
La FNCRR « joue le jeu »
La FNCCR rectifie ou nuance certaines des affirmations tirées du jeux en ligne « C’est rigol’eau » et d’un jeux des 7 familles diffusés pour la publicité de l’eau en bouteille Cristaline et dont les allégations sont condamnées par le jury de déontologie publicitaire.
« L’eau du robinet filtrée n’a pas une composition stable et constante »
FNCCR : vrai, pour certains services d’eau potable qui peuvent être amenés à distribuer de l’eau provenant de ressources différentes. Pour autant, toutes ces eaux prélevées, traitées (le cas échéant) et distribuées font l’objet d’un contrôle sanitaire et les éventuelles variations des caractéristiques des eaux demeurent dans les limites fixées par la règlementation ; cela n’a donc aucune incidence sur la santé
En passant, on rappelle que l’eau distribuée par les réseaux publics est prélevée dans le milieu naturel, d’où des caractéristiques physicochimiques différentes d’une ressource à une autre (tout comme d’ailleurs certaines eaux en bouteille, qui ont des caractéristiques très différentes, y compris au sein d’une même marque lorsque la société exploite plusieurs sources – cas de Cristaline notamment).
« On ne peut pas donner de l’eau du robinet filtrée à un bébé »
FNCCR : faux, sauf si la DDASS a déconseillé cette utilisation (ce qui arrive, mais c’est peu fréquent, et il n’y a jamais de risque immédiat).
« Les bouteilles en plastique représentent 1% des déchets ménagers »
FNCCR : vrai. Cela représente un total de 300.000 tonnes de bouteilles plastique par an dont 150.000 tonnes ne sont même pas recyclées et terminent donc en incinération ou en enfouissement.
L’Ademe indique que boire de l’eau du robinet, nous amènerait à une réduction de 10kg de déchets/an/habitant ; les bouteilles plastiques révèlent alors tout leur poids, sachant que la collecte sélective des matériaux secs (emballages, plastiques, journaux, magazines, revues…) représente 46 kg/an/habitant.
Ces chiffres sont issus de l’enquête Ademe intitulée «La collecte des déchets par le service public en France, Résultats année 2007», parue en octobre 2009.
« L’eau du robinet est prélevée dans les fleuves, lacs et rivières »
La FNCCR : vrai pour environ 1/3 de la production d’eau potable en France ; le reste étant prélevé dans des nappes souterraines – le dessalement d’eau de mer étant quasiment inexistant en France. Mais c’est une solution tout à fait normale et très répandue dans le monde. Après traitement approprié, l’eau prélevée dans les fleuves, lacs et rivières est parfaitement potable.
« On peut trouver des traces de pollution dans l’eau du robinet »
La FNCCR : vrai, mais à des concentrations extrêmement faibles, inférieures aux valeurs fixées par les autorités sanitaires. L’eau du robinet ne se distingue pas, de ce point de vue, de beaucoup d’autres produits alimentaires. On peut même trouver des traces de pollution dans le corps humain (plomb, PCB,…). L’eau en bouteille n’est pas exempte : certaines marques ne seraient pas considérées comme potables si elles étaient fournies à un robinet, en raison de leur composition en substances minérales ou de leur acidité par exemple.
« L’eau du robinet provient parfois indirectement du recyclage des eaux usées »
La FNCCR :vrai et faux. Cette phrase est un exemple caractéristique d’affirmation qui, sans être littéralement inexacte, est tendancieuse et tend à donner une image déformée de la réalité, de manière à mettre en cause la qualité de l’eau du robinet sans justification, comme l’a indiqué le Jury de déontologie publicitaire.
L’auteur de la phrase tente en fait d’exploiter, à des fins d’augmenter le chiffre d’affaires de sociétés d’eau en bouteille, la méconnaissance des mécanismes du cycle de l’eau par une large proportion du grand public. En réalité, le rejet d’eaux usées traitées dans le milieu naturel (fleuves, lacs, rivières) ne présente pas de danger dans la mesure où il existe un phénomène naturel d’autoépuration dans ce milieu récepteur, qui achève d’éliminer la pollution organique et bactériologique restante dans chaque rejet.
En outre, un suivi de l’impact des rejets sur le milieu récepteur est effectué. Ce ne sont donc pas des eaux usées recyclées qui sont utilisées pour produire l’eau potable, mais l’eau du milieu naturel qui – même s’il a reçu en amont des rejets d’eaux usées traitées – est parfaitement apte à cet usage.