Le bon fonctionnement d’un État repose sur un ensemble de données de base utilisées quotidiennement et qui concernent en premier lieu l’organisation de la société, son territoire, ses individus, ses entreprises. Le Danemark et les Pays-Bas ont ainsi mis en place leur système de registres clés : un ensemble de jeux de données de haute qualité, connectés entre eux et qui constituent des sources uniques d’information.
Une infrastructure publique
Le Danemark a ainsi lancé en 2012 son programme Basic Data for Everyone (des données de référence pour tous) qui inclut le registre des entreprises, le cadastre, le registre des individus, les cartes topographiques, ainsi que la base des adresses. Excepté le registre des individus, l’ensemble des données sera progressivement mis à disposition en open data. En France, les registres clés sont encore peu connectés entre eux, pas assez réutilisés, et pour la plupart ne constituent pas une source unique d’information. À l’heure du numérique, une telle situation représente sans conteste un frein important aux efforts de modernisation de l’État.
La mise en place d’un tel système équivaut à la mise en place d’une infrastructure publique dont les bénéfices potentiels sont multiples : une réduction des procédures administratives ; une réduction des coûts structurels, conduisant à un système plus efficace (suppression des bases redondantes, des efforts concentrés sur des registres uniques pour en améliorer la qualité, l’administration ne paye plus pour utiliser les données d’une autre) ; un État plus performant dans la mise en place et le contrôle des politiques publiques ; et enfin des gains socio-économiques avec des services publics mieux adaptés aux besoins des citoyens et des entreprises.
Le modèle de financement, un facteur clé de succès
Outre les choix technologiques et de gouvernance, le modèle de financement est un des facteurs clés d’efficacité et d’efficience d’un système de registres clés. La solution retenue doit en effet favoriser une réutilisation la plus large possible des informations – c’est le principe de l’open data – tout en assurant la pérennité de l’infrastructure.
Considérant ses registres clés comme stratégiques, le Danemark a fait le choix du financement public comme principal ressource. Une décision qui devrait être rapidement récompensée. Le pays prévoit un bénéfice net pour le secteur public de 34 millions d’euros par an d’ici 2020 et un gain économique de 100 millions d’euros pour les secteurs public et privé cumulés. Et les effets sont déjà mesurables. Une étude sur la base des adresses, ouverte depuis 2002, a quantifié les bénéfices économiques pour le pays à 14 millions d’euros en 2010.
Pour le Danemark, il aura fallu seulement un an et une équipe de cinq personnes pour rallier l’ensemble des ministères danois et lancer le programme, la difficulté n’était pas tant technologique que de convaincre de la pertinence du modèle économique. En France, la DISIC a été chargée d’organiser le futur système d’Information de l’État autour d’une architecture mutualisée et plus ouverte. C’est un effort nécessaire, mais qui ne traite pas directement de la gouvernance des registres clés, qui sont pourtant la matière première de ce système. L’objectif ici devrait être de passer d’un système de registres indépendants, soumis à redevances, à un système connecté dont le modèle de financement permettra de dégager tous les bénéfices attendus d’une infrastructure publique informationelle.
La France vient de se doter d’un administrateur général des données. Les données de base seront des ressources essentielles à sa mission, et plus largement à celle de l’État et des collectivités territoriales.
Le cadastre est par exemple un outil fondamental pour les politiques d’accès au logement, d’aménagement du territoire, mais aussi de transition énergétique. Aux Pays-Bas, les données cadastrales sont accessibles en open data et utilisées dans la lutte contre le réchauffement climatique ou dans la prévention des inondations.
Toujours aux Pays-Bas, suite à l’ouverture des données géographiques, la part de réutilisateurs du secteur privé est passée de 20% à 60%, montrant ainsi qu’il y avait une véritable demande. Dans le même temps, le nombre d’heures requises par l’agence de cartographie pour répondre aux requêtes des entreprises a diminué de plus de 80%, lui permettant de se recentrer sur son coeur de métier : produire des informations géographiques de qualité.
Enfin, l’accès au registre des entreprises est essentiel pour assurer le bon fonctionnement de l’économie et la protection des consommateurs. C’est également un outil important dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. Le Royaume-Uni a ainsi décidé de mettre à disposition son registre des entreprises en open data dès 2015, un manque à gagner de 8,7 millions de livres sterling par an pour le gouvernement, mais une exploitation cumulée à celle d’autres registres fondamentaux qui devrait rapporter annuellement 900 millions pour l’économie britannique.
Explorer de nouveaux modes de gouvernance
En France, la création d’une Base Adresse Nationale (BAN) collaborative et accessible en open data sera l’occasion d’explorer de nouveaux modes de gouvernance dans la gestion des registres clés, en incluant notamment la participation du secteur privé et de la société civile. Ce projet constitue en soi une première étape vers un système de registres plus ouverts et de meilleure qualité. Mais à quoi bon ouvrir les adresses si nous n’avons pas les cartes pour les situer, ni les bâtiments et les entreprises auxquels elles correspondent ? La création et l’ouverture de la base adresse, comme de toute autre base de données, n’a de véritable sens que dans un système de registres clés ouverts et connectés entre eux. Cela nécessite de repenser la gouvernance de nos données et d’y associer un modèle de financement adapté.
Marc de Vries et Ton Zijlstra ont accompagné le Danemark et les Pays-Bas dans la mise en place de leur système de registres clés.