Depuis le 22 octobre 2013, un protocole, signé par la ministre de la Fonction Publique avec huit organisations syndicales, prévoit, pour chaque employeur public, l’élaboration d’un plan d’évaluation et de prévention des risques psychosociaux (RPS) « à initier en 2014 et à achever en 2015 ». Quelles sont les complexités d’une telle démarche pour les collectivités ?
Selon le Rapport Gollac (1), commandé en 2008 par le ministre du Travail de l’époque, les RPS couvrent l’ensemble des « risques pour la santé mentale, physique et sociale engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. » Nous ne sommes donc pas dans le comptage « arithmétique » d’un certain nombre de symptômes du mal-être (accidents du travail, absentéisme…), mais bien plus en amont, dans une identification globale des causes pouvant, à plus ou moins long terme, conduire à l’apparition de ces derniers.
Combattre les RPS, c’est s’attaquer à leur origine et non à leur manifestation… Un indicateur – comme ceux du Baromètre national – peut ainsi porter en germe des signes annonciateurs de malaise ou de mieux-être qui contredisent sa valeur.
Cette évaluation est d’autant plus délicate à mener que les facteurs à l’origine de l’exposition à des RPS sont multiples et que c’est toujours sous l’effet combinatoire de plusieurs d’entre eux – y compris personnels – qu’un RPS peut intervenir
Quelle méthodologie préconisez-vous ?
En prenant appui sur les travaux de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) ainsi que sur les conclusions du Rapport Gollac, j’ai défini un modèle de diagnostic préventif des RPS à partir de huit facteurs de risques – cernés par la quarantaine de questions que réunit le Baromètre national – qui sont autant de dimensions au travail.
Les cinq premiers contribuent au bien-être au travail en pointant les conditions matérielles (espace, bureautique, horaires…), le « soutien social », constitué par l’accompagnement de la hiérarchie, de l’institution et des collègues, la part d’autonomie, la reconnaissance et le sens conféré à l’exercice professionnel. Ces cinq items forgent le socle de la qualité de vie au travail pour les salariés (du public comme du privé), laquelle se révélera fonction du « cocktail » en question.
S’y adjoint une deuxième famille de facteurs, au nombre de trois, qui mesure le niveau de tolérance aux pressions : les pressions d’ordre organisationnel (charge et répartition du travail, interruptions…), d’ordre relationnel/émotionnel (agressions, harcèlement…) et les pressions de l’environnement (incertitude de l’avenir, non maîtrise du changement…).
Selon notre modèle d’analyse, conforté par nos premières études sur le terrain, une situation de RPS résulte de la conjonction d’un ressenti de mal-être au travail doublé d’une non-tolérance à des pressions. La combinatoire des huit paramètres peut ainsi se caractériser par de la souffrance au travail classifiable en deux grandes familles de symptômes, ceux liés au surmenage (épuisement, « burn-out » …) et ceux liés à la solitude (perte de sens, dépression…).
À l’appui de ce modèle, quels constats portez-vous sur l’état général de la FPT ?
Rapportée à une base 100 et comparés aux données 2013, l’évaluation 2014 de l’exposition au RPS indique une dégradation des cinq facteurs de la qualité de vie au travail qui fait chuter cette dernière de trois points.
Parmi ceux-ci le facteur « autonomie-initiatives « accuse une baisse de 7 points par rapport à 2013. Dans ce même volet, le soutien social et la reconnaissance perdent aussi plus de 3 % chacun. Par ailleurs, la tolérance aux pressions affiche une détérioration générale de 8 points, essentiellement imputable à une terrible montée de l’incertitude de l’avenir (+ 13 %), l’indicateur lié à la perception socio-économique décrochant de 106,8 points en 2013 pour tomber à 93 points. Même si le sens du service public demeure à niveau élevé, la fragilisation du socle de la qualité de vie au travail associée à la poussée des éléments perturbateurs résonne donc ici comme un double signal de vigilance, avec des territoriaux à l’évidence bien plus exposés aux RPS qu’en 2013.
Que peuvent faire les employeurs face à ces données ?
Agir bien sûr, car tout l’intérêt de cette méthode est de fournir aux managers une cartographie précise et objective des orages qui couvent, donc un plan détaillé des axes d’intervention possibles. Ainsi, cette évaluation – qui peut être réalisée au sein même de chaque collectivité – s’impose comme un véritable outil managérial permettant un traitement collectif et transverse de la question des RPS, plus large, pérenne et efficace que la seule analyse par les symptômes, inévitablement plus attachée aux situations individuelles.
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Thèmes abordés
Notes
Note 01 Président du collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail Retour au texte