Sont clairement visées par la proposition de loi n° 2220 du 17 octobre 2014 les entreprises (principalement étrangères) qui bénéficient d’une pression fiscale et sociale plus légère, leur permettant de pratiquer des tarifs moins élevés que les entreprises françaises. C’est une lutte contre les inégalités fiscales et sociales entre les différents pays et cela constitue une mesure de protectionnisme des entreprises supportant des taux élevés en France.
Mais encore faudrait-il savoir ce que les acheteurs pourront en déduire : les députés veulent simplement que ces informations soient communiquées par les candidats à un marché public (étant précisé qu’actuellement, ces derniers doivent seulement prouver qu’ils sont en règle vis-à-vis de leurs obligations fiscales et sociales, s’ils sont retenus comme titulaires d’un marché public).
Cependant … les députés ne vont pas jusqu’à vouloir qu’il s’agisse d’un « critère décisif » qui pourrait entraîner le rejet d’une offre trop marquée par du dumping social ou fiscal.
Non conformité
L’adoption d’un tel critère comme condition d’accès à la commande publique serait, quoi qu’il en soit, non conforme aux nouvelles directives européennes relatives aux marchés publics, adoptées en début d’année et publiées au JOUE en mars 2014. A aucun moment, non seulement ces directives, mais également la jurisprudence européenne, n’autorisent un pouvoir adjudicateur à écarter l’offre d’une entreprise au motif qu’elle bénéficierait de charges sociales et fiscales plus avantageuses. D’autant plus qu’il peut s’agir de l’offre d’un candidat français qui bénéficierait de tels avantages de par son propre statut (exemple : une association d’insertion, une entreprise exonérée de TVA selon le droit fiscal Français, etc.).
Déjà à l’heure actuelle, dans le cadre d’une offre qu’il pressent être « anormalement basse », l’acheteur peut demander des explications au candidat et statuer sur le bienfondé des réponses apportées. En d’autres termes, dès à présent, un candidat pourrait répondre qu’il formule une offre aussi compétitive, parce qu’il bénéficie d’avantages fiscaux et/ou sociaux … et le pouvoir adjudicateur ne pourrait qu’en prendre acte. Il ne pourra pas éliminer l’offre de ce candidat (qui respecte la loi lui étant applicable). Il ne pourra pas non plus, justifier valablement, une moins bonne note pour un tel candidat, sur la base de ce seul motif. Et sur ce point, la proposition de loi ne changera rien.
Si elle venait à être adoptée, elle renforcera le degré d’information des pouvoirs adjudicateurs, sans que ces derniers disposent d’un arsenal juridique leur permettant de faire face à des situations qui les scandaliseraient.
Si la loi fiscale et sociale applicable en France est respectée, un acheteur ne peut pas écarter une offre « légale ». Tout au plus, il « doit » (et non pas « peut ») rejeter l’offre d’un candidat qui ne prouverait pas qu’il est en règle vis-à-vis de ses obligations fiscales et sociales … au 31 décembre de l’année précédant la date d’envoi de l’avis d’appel public à la concurrence dudit marché public.
Dumping
La question fondamentale du dumping social ou fiscale pratiqué par certaines entreprises reste entière, dès lors que ce dumping repose sur le strict respect de la loi en vigueur et qu’il n’est pas lui-même illégal. N’oublions pas d’ailleurs qu’il existe de nombreuses entreprises françaises (notamment du BTP), qui font appel à des salariés moins coûteux provenant de pays étrangers, qui ne sont pas pour autant dans l’illégalité. Cela relève-t-il d’une saine concurrence ? Constatons que le droit actuel, ne le sanctionne pas.
Avec cette proposition de loi, les pouvoirs adjudicateurs auront l’information des niveaux de charges fiscales et sociales, mais ne pourront pas pour autant en déduire – officiellement – en l’écrivant dans leur rapport d’analyse des offres – un acte de rejet. On veut responsabiliser les acheteurs, sans leur donner pour autant les moyens légaux de tirer les conclusions qu’ils jugeront opportunes.
Leur faire prendre conscience de l’impact de leurs décisions sur le tissu social et économique, c’est bien ! Mais là, s’arrête la morale de l’histoire.
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