Une France » déstructurée », avec parfois des départements, parfois des métropoles, parfois des fédérations d’intercos, telle que l’envisage le gouvernement, est-elle envisageable au regard de la Constitution ?
L’adaptation au territoire, la différenciation en fonction des forces en présence et des spécificités est une bonne solution. Le droit constitutionnel n’interdit pas la différenciation territoriale. On pourrait donc trouver des métropoles sans département, d’autres départements avec des EPCI réunis et d’autres avec un conseil général classique.
La décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 2014 sur la loi Maptam le montre (1). Le juge s’est fondé sur les différences de situations au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi. Il a aussi admis la possibilité de déroger au principe d’égalité, mais toujours au regard d’un objectif d’intérêt général.
On peut donc considérer que la réalisation progressive de la réforme territoriale, visant à terme la disparition du département partout, constitue cet intérêt général, en plus de la nécessité de s’adapter aux différences de situations, notamment en présence de territoires « très métropolitains ».
N’y a-t-il pas cependant un risque de rupture d’identité institutionnelle ?
Oui, dans la mesure où le Conseil constitutionnel défend ce principe d’identité institutionnelle.
Ce principe joue entre collectivités d’une même catégorie : toutes les communes doivent être organisées de la même façon, comme les départements et les régions. Cela ressort de sa décision du 2 décembre 1982 (2).
Le Conseil constitutionnel pourrait donc sanctionner une loi qui prévoirait, d’une part, des départements administrés par une fédération d’intercommunalités et, d’autre part, des départements administrés par un conseil général classique. Il y aurait là disparité institutionnelle au sein d’une même catégorie de collectivité.
Manuel Valls s’appuie sur le caractère transitoire d’une organisation…
Effectivement, le premier ministre constate que dans certains départements, l’intercommunalité est trop faible, en l’état, pour remplacer le département. Il laisserait en conséquence subsister le département pour permettre aux intercommunalités de se renforcer, en augmentant les seuils de population. Une fois renforcées, le passage au modèle des départements gérés par un conseil formé par une fédération d’intercommunalités serait possible.
A condition que le caractère transitoire soit effectivement inscrit dans la loi, le Conseil constitutionnel pourrait peut-être valider cette différence entre un département avec un conseil propre et un autre avec un conseil formé par les élus communautaires.
Même si cela demande confirmation constitutionnelle, on pourrait donc avoir temporairement des départements gérés par une fédération d’intercos et d’autres par un conseil général. Si c’est le projet, car on peut aussi avoir une fédération d’intercos sans département.
Peut-on supprimer le département sur certaines zones seulement ?
Ce serait possible sans révision constitutionnelle dans les zones avec une intercommunalité solide. Mais il faudrait créer une nouvelle catégorie de collectivité territoriale, administrée par une fédération d’intercos, qui pourrait être dénommée « collectivité départementale », en se fondant sur l’article 72 de la Constitution qui dispose que le législateur peut créer toute autre collectivité territoriale en lieu et place d’une seule ou plusieurs collectivités territoriales existantes.
On ne peut supprimer tous les départements sans révision constitutionnelle mais quelques-uns par cette voie. Dans cette hypothèse, on aurait ainsi des métropoles sans département, des collectivités « départementales » et des départements « classiques » en zone rurale
Qu’est-ce que pourrait être une fédération d’intercos ?
Il y a deux hypothèses.
La première, nous venons de l’envisager, le département disparaîtrait dans certaines zones au profit d’une nouvelle collectivité territoriale qui réunirait des intercommunalités d’un ressort territorial à définir, avec un conseil composé des conseillers communautaires de ces communautés.
L’autre hypothèse serait de maintenir le département, mais en le dotant parfois d’un conseil composé des conseils communautaires réunis. Mais là, on se heurte au principe d’identité institutionnelle au sein d‘une même catégorie de collectivité (sauf au cas où le conseil l’accepterait en raison de son caractère transitoire, comme on l’a vu). Deux jurisprudences constitutionnelles pourraient rendre cette hypothèse plausible. Le Conseil constitutionnel (3) autorise un scrutin unique permettant à un élu de siéger dans deux assemblées territoriales, comme on voulait le faire avec le « conseiller territorial ».
En outre, avec la récente QPC « Salbris » du 20 juin 2014 (4), le juge constitutionnel a invalidé la technique des accords locaux au nom de la nécessaire représentation démographique des communes au sein des conseils communautaires (5) Du coup,l’organe délibérant de l’EPCI représentera convenablement ses composantes communales et la réunion de ceux-ci permettra de considérer que la représentation des composantes territoriales et démographiques du département est elle aussi respectée. La décision « Salbris » rend possible, pour l’avenir, une telle réforme.
Selon quel critère « objectif » de ruralité du département une réforme pourrait-elle être engagée ?
L’idée de base était que les intercos prennent, d’une façon ou d’une autre, le relai du département. Le souci, c’est qu’en zone rurale, il existe des communautés de communes trop fragiles pour prendre en charge les compétences du département.
Se fonder sur la notion de zone rurale est compliquée car mal définie en droit. Il faudrait trouver un meilleur critère pour définir cette idée de « taille critique », de différence objective de situation selon les zones et l’ossature intercommunale. On pourrait s’appuyer sur la différence communautés de communes/urbaines ou d’agglomération, sur le nombre de communautés de communes par département, ou sur un seuil de population réunie par l’EPCI.
Ce pourrait être des critères objectifs au regard de l’objet de la loi.
Cet article est en relation avec le dossier
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Notes
Note 01 Cons. const. déc. n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014 Retour au texte
Note 02 Cons. const. déc. n° 82-147 DC du 2 décembre 1982 Retour au texte
Note 03 Cons. const. déc. n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010 Retour au texte
Note 04 Décision n° 2014-405 QPC du 20 juin 2014 Retour au texte
Note 05 lire à ce sujet : www.lagazette.fr/278420 Retour au texte