Comment définiriez-vous le budget participatif ?
Ce dispositif permet à des citoyens, non élus, d’être associés à la définition des finances publiques. Si c’est bien fait, c’est un outil extrêmement puissant. Pour être efficace, il faut que cet instrument soit engagé à une certaine échelle : arrondissement, ville, ou région.
De plus, il doit s’accompagner de discussions explicites sur les questions financières, organisées dans des espaces de délibérations publics, afin que l’ensemble de la société soit active dans le processus. Sinon, c’est une coquille institutionnelle vide. Autre condition : le budget participatif doit s’inscrire dans la durée et être répété. Rien à voir avec un référendum. Enfin, il faut que les autorités publient un compte rendu de la façon dont ont été prises en compte les décisions des citoyens.
De quand date cette démarche ?
La première ville à avoir mis en œuvre un budget participatif de façon accomplie est Porto Alegre, au Brésil. C’était en 1989. D’ailleurs, 25 ans après, le processus continue, même si la voilure a été ralentie. Cet exemple est particulièrement intéressant à plus d’un titre.
Tout d’abord, parce qu’il est à la confluence de plusieurs acteurs venus de sphères différentes : le gouvernement municipal, des associations de quartiers défavorisés et des intellectuels.
Le contexte est également important : celui de la démocratisation du Brésil, après la dictature militaire. La municipalité de Porto Alegre a ainsi conçu un nouvel outil de démocratie participative. La force de ce projet réside, par ailleurs, dans l’organisation très procédurale de la participation des citoyens et le recours aux méthodes inspirées de l’éducation populaire.
Quels ont été les résultats du budget participatif lancé à Porto Alegre ?
L’objectif visé était non seulement la démocratisation de la démocratie, mais aussi la lutte contre les inégalités. Cela a permis de bien identifier les attentes des citoyens. Les ressources publiques ont ainsi été redistribuées en faveur de secteurs dont les habitants avaient le plus besoin. Et ce, dans les quartiers les plus défavorisés. Construction d’écoles, tout-à-l’égout, routes bitumées, etc : autant de réalisations que le gouvernement n’avait pas considéré comme prioritaires.
Comment ce modèle a-t-il ensuite essaimé ?
Il est intéressant de noter que ce projet, expérimenté dans un pays du Sud, a été exporté dans les pays occidentaux. Et que c’est l’une des innovations démocratiques les plus copiées au monde. Cet instrument a tout d’abord été transposé à d’autres villes du Brésil. Toujours dans un objectif de justice sociale. Les résultats sont aussi probants qu’à Porto Alegre.
D’ailleurs, la Banque mondiale a montré que, dans les municipalités brésiliennes qui s’étaient dotées d’un budget participatif, on avait observé, au bout de quelques années seulement, une baisse de la pauvreté et une réduction de la corruption plus importantes que dans les villes comparables qui n’y avaient pas eu recours. Le modèle a ensuite été exporté dans les autres pays de l’Amérique latine, puis dans le reste du monde. Et ce, de façon très contrastée.
Pourriez-vous donner des exemples ?
En Europe, l’ambition de justice sociale est rarement présente. Il s’agit essentiellement d’améliorer l’efficacité de l’action publique, de moderniser la démocratie représentative en faisant participer les citoyens à la vie publique. Les pays européens qui sont le plus à la pointe sont la Pologne (plusieurs centaines d’expériences en cours), l’Allemagne (autour d’une centaine), la Grande-Bretagne ou encore le Portugal.
En Afrique, cela s’est développé très rapidement à l’initiative des grandes organisations internationales. Aux yeux des bailleurs de fonds, les budgets participatifs sont un gain de transparence budgétaire. En plus, les ONG et les associations de citoyens adhèrent souvent à cet instrument.
En Asie, on retrouve l’objectif de justice sociale dans les projets concrétisés en Corée du Sud et au Japon. En Chine, régime autoritaire, où la démocratie ne peut pas passer par les élections, c’est un moyen pour les citoyens de s’exprimer, comme à Wenling, ville de plus d’un million d’habitants.
Au total, de 1500 à 2500 expériences de budget participatif sont menées actuellement dans le monde. Initialement porté par la gauche altermondialiste, cet outil est aujourd’hui initié par des acteurs publics de différents courants politiques.
Qu’en est-il de la France ?
Au début des années 2000, on a assisté à un effet contagion de Porto Alegre dans une quinzaine de villes, initialement surtout communistes (Saint-Denis, Bobigny, Morsang-sur-Orge, etc.). Mais nombre de ces expériences sont aujourd’hui en sommeil.
La plupart de ces budgets participatifs étaient essentiellement lancés sur un mode consultatif, et non décisionnel. Surtout, la majorité d’entre eux n’était pas assez ambitieux. Conséquences : les déceptions ont souvent été proportionnelles aux attentes.
Par ailleurs, les municipalités ont chacune lancé une action de façon isolée. Il n’y a jamais eu, contrairement, par exemple, à l’Allemagne, de constitution d’un véritable réseau qui aurait permis d’échanger les bonnes pratiques, les échecs et ainsi de réfléchir ensemble. On se heurte également, en France, à un obstacle idéologique fort : l’idée républicaine selon laquelle c’est à l’élu de décider, et à lui seul, étant le représentant de l’intérêt général.
On a assisté à une deuxième phase, plus dynamique, à l’initiative de la région Poitou-Charentes, avec les budgets participatifs des lycées, transposés dans d’autres régions, comme dans le Nord-Pas-de-Calais.
Enfin, l’expérience menée actuellement à Paris pourrait marquer un tournant. Il semble qu’il y ait une véritable volonté politique et les moyens mis en oeuvre sont conséquents. Mais, si la symbolique est forte, reste à voir la persévérance sur le long terme.
Résultats du premier budget participatif de Paris
Et le vainqueur est : la nature en ville ! Pendant une semaine, du 24 septembre au 1er octobre, 40 745 Parisiens ont participé au scrutin pour le budget participatif municipal qui était ouvert à tous les habitants. Hier, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a dévoilé les résultats de ce vote. Sur une liste de 15 projets, les Parisiens en ont choisi 9, pour un montant total de 20 millions d’euros. Ces citadins ont privilégié les initiatives en faveur du développement de la nature en milieu urbain.
L’idée de végétaliser des murs est ainsi arrivée en tête, suivie de près par l’aménagement de jardins pédagogiques dans les écoles. Le troisième place sur le podium est occupé par le projet « d’effacer » le périphérique via des créations artistiques ou paysagères. Parmi les six autres gagnants, on note le souci de préserver l’environnement, avec le projet intitulé « trier ses déchets au plus près » (arrivé 4ème) ainsi que le souhait de favoriser la convivialité, notamment à travers les espaces de coworking étudiants-entrepreneurs (5ème position) et la réhabilitation des kiosques à musique pour faire la fête (6ème). Autant de projets qui seront intégrés au budget de la Ville de Paris, voté en décembre 2014, puis concrétisés en 2015. En tout, 5 % du budget d’investissement municipal sera déterminé de façon participative sur l’ensemble de la mandature. Ce qui représente une enveloppe de 426 millions d’euros. À noter que l’année prochaine, une étape de plus vers la démocratie participative sera franchie : les Parisiens pourront proposer eux mêmes les projets qui seront ensuite soumis au vote, pour un montant total de 71 millions d’euros.
Références
Yves Sintomer est l'auteur, notamment de "Les budgets participatifs en Europe" et "Petite histoire de l'expérimentation démocratique", aux éditions La Découverte
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