Philippe Séguin, président de la Cour des comptes, à l'occasion d'une interview à La Gazette, le 2 novembre 2009 (lire La Gazette du 16 novembre 2009, p. 14 : "La décentralisation a plutôt aggravé les inégalités")
Il fallait entendre le premier président de la Cour des Comptes, entre deux bouffées de cigarettes, deux quintes de toux, fustiger les adversaires de la réforme des chambres régionales des comptes. Point par point, la phrase qui tombait toujours à l’endroit, Philippe Séguin, décédé d’une crise cardiaque dans la nuit du 6 au 7 janvier, s’attaquait à leur argumentaire.
Sa colère se faisait tantôt froide, tantôt teintée d’ironie. Lors de cet entretien fleuve accordé le 2 novembre à La Gazette, rien ou presque n’échappait au regard acéré du Cassandre de la rue Cambon. Entre 1980 et 2006, l’Etat a augmenté ses effectifs de 400.000 fonctionnaires nonobstant les différentes vagues de transferts vers les collectivités locales. Dans les secteurs concernés, il a, du coup, souvent gêné les collectivités dans leurs responsabilités opérationnelles, s’insurgeait-t-il. Au fil de ces dernières semaines, l’activité de l’institution de la Cour des Comptes frisait la boulimie.
Les rapports s’empilaient à vitesse grand V sur les bureaux du gouvernement : le 27 octobre, un tableau au vitriol sur la conduite par l’Etat de la décentralisation, le 25 novembre, un bilan mi-figue mi-raisin du transfert des TER de l’Etat aux conseils régionaux, le 10 décembre, un appel impétueux aux collectivités à se désengager du sport professionnel et, apothéose, le 16 décembre, un missile lancé contre la gestion à la « petite semaine » des effectifs de l’Etat.
Sacerdoce dans les Vosges
Dans les allées du pouvoir, on commençait à grincer un peu. Philippe Séguin n’en avait cure. Il tenait son bâton de maréchal.
Un être rare que le natif de Tunis, ombrageux jusqu’à l’excès, hanté par un père, mort pour la France, sur une petite route du Jura, tout près du col de Ferrières, le 7 septembre 1944. La République habitait chacune de ses philippiques. L’admirateur du général de Gaulle, dressé contre « les féodalités et les empires » appartenait à un autre siècle. Lettré perdu en politique. Carré dans un corps rond.
Tout entier imprégné par l’autorité de l’Etat « qui a fait la France », l’élève de la promotion Robespierre (1968-1970) de l’Ecole nationale d’administration (ENA) goûtait, à l’origine, fort peu aux premiers pas de la décentralisation.
A l’Assemblée nationale, à l’aube du règne de François Mitterrand, il menait l’une des grandes batailles parlementaires d’amendements contre la loi du 2 mars 1982.
Avec son élection à la tête de sa ville d’adoption, Epinal, le député (depuis 1978) confrontait ses principes au réel. Je pressentais, pour avoir longtemps observé Gaston Defferre dans ses responsabilités marseillaises, qu’il n’est de maire que celui qui consent à « être » littéralement sa ville, qui en épouse, qui en assume toutes les querelles. Il y a quelque chose de sacerdotal dans la fonction municipale. Ce n’est pas impunément que le maire a pris le relais du prêtre pour unir les couples devant les hommes, analysait-il dans ses mémoires, écrites d’une plume acerbe et élégante (Itinéraire dans la France d’en bas, d’en haut et d’ailleurs).
Fibre sociale
Sa fibre sociale pouvait s’exprimer à plein. Il mettait les eaux en régie et créait un cinéma municipal. Ministre des affaires sociales entre 1986 et 1988, pourfendeur du traité de Maastricht en 1992, président de l’Assemblée nationale entre 1993-1997, patron du RPR à partir de 1997, le fils d’une institutrice laïque et croyante paraissait promis aux plus hautes fonctions. Sa présidence du parti gaulliste, avant sa démission en 1999, fut son chemin de croix.
Sa candidature à la mairie de Paris, dans des circonstances brumeuses, s’acheva par un échec en 2001. Tout ce que je découvrais, tout ce que je constatais, me démontrait que Paris, enfermé dans ses limites du XXème siècle, n’était pas le niveau pertinent de l’administration des hommes et des choses. Rien de décisif ne pouvait plus y être accompli ; dans le domaine des transports ou de la sécurité, cela tombait sous le sens, mais aussi en termes de logement ou de solidarité, écrivait-il. Indépendant un jour, indépendant toujours.
Philippe Séguin, les collectivités et les réformes en cours
Dans un entretien accordé à La Gazette le 4 juin 2009 à l’occasion des Universités de la fonction publique territoriale d’Aix-en-Provence, nous avions interrogé Philippe Séguin sur les réformes en cours, celle des collectivités locales, ou celle entraînant la suppression de la TP. Il exprimait également son inquiétude face aux inégalités des citoyens devant les services publics.
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