Si le budget du Fonds national d’action sociale (Fnas) risque d’être amputé de 1,4 milliard d’euros d’ici à 2017 sur les 29 milliards prévus initialement, c’est de la faute aux élus, qui n’ont pas consommé les crédits alloués à l’accueil de la petite enfance, peut-on déduire à la suite de la conférence de presse de rentrée de la Cnaf, le 9 septembre.
243,7 millions d’euros non dépensés que la tutelle de la branche famille, en quête d’économies, n’a pas manqué de remarquer, demandant à la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf) de « rebaser » son budget 2013-2017 sur les crédits effectivement consommés.
Si ce n’est pas un scoop pour les lecteurs de la Gazette des communes, le grand public aura appris la nouvelle le 8 septembre, à la faveur d’un article du Parisien, repris ensuite en boucle par tous les quotidiens.
Face à cet emballement médiatique, la Cnaf n’a donc eu d’autre choix que de bousculer l’ordre du jour de sa conférence de presse de rentrée du 9 septembre, pour procéder à une explication de texte.
100 000 places à créer – « Il ne s’agit pas d’une baisse de budget, mais d’appliquer le taux de croissance annuel sur le budget réellement consommé en 2013 », a nuancé Daniel Lenoir, directeur général de la Cnaf, qui a tenu à rappeler que l’augmentation du Fnas (7,5% en moyenne par an), n’était pas remise en cause. « Il y a peu de budgets publics qui augmentent autant », a-t-il insisté, affirmant que l’objectif de créer 100 000 places d’accueil collectif en cinq ans était toujours d’actualité.
« Un à trois ans peuvent s’écouler entre la décision d’investissement et l’ouverture des places. Les créations peuvent donc avoir lieu durant cette convention d’objectif et de gestion (COG) [NDLR : entre 2013 et 2017] et le coût de fonctionnement être reporté sur la prochaine COG », a-t-il expliqué, confiant.
« Le conseil d’administration s’est ému de cette décision en juillet, mais nous voulons aujourd’hui trouver les solutions qui permettront d’atteindre notre objectif, même s’il doit être décalé dans le temps. Il nous reste encore trois ans et demi. Les 100 000 places, on y tient ! », a renchéri Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la Cnaf.
Les collectivités dans la ligne de mire – Reste à comprendre les raisons de cette sous-consommation en 2013. Elle touche principalement l’investissement dans les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), les autres postes de dépense (accueil de loisirs, actions d’aide à la parentalité, fonctionnement des Eaje…), ayant été consommés comme prévu.
Les gestionnaires ont donc clairement baissé la voilure sur les décisions d’ouverture de crèches. « En 2013, 6 000 places ont été décidées au lieu des 11 000 prévues », a détaillé Daniel Lenoir.
Tous les regards se posent donc sur les collectivités territoriales, gestionnaires de 70% de places en accueil collectif. La première explication de cette sous-consommation est conjoncturelle : traditionnellement, la première année de la COG ne facilite pas les créations de places, la signature de la COG mettant toujours quelques mois à intervenir. 2013 a aussi été une année pré-électorale, donc peu propice aux décisions d’investissement.
Trop de normes ? – Un autre facteur que la Cnaf semble ne découvrir que maintenant, est beaucoup plus inquiétant : le coût de la construction d’une place en crèche a pratiquement doublé en 13 ans. De 18 000 euros en 2000, il est passé à 34 000 euros en 2013, alors que la participation des CAF passait dans la même période de 6600 à 8800 euros par place.
Des chiffres encore provisoires que la Cnaf entend étudier de très près afin de comprendre les raisons de cette inflation.
Pour Elisabeth Laithier, présidente de la commission petite enfance à l’Association des maires de France (AMF), et adjointe au maire de Nancy, l’excès de normes serait en cause. « En 15 ans, les exigences des normes de construction se sont accrues : que ce soit le choix du terrain, la qualité du mobilier, les peintures… »
Les maires ne seraient-ils pas trop dispendieux dans leurs projets, s’interroge discrètement la Cnaf, faisant ainsi grimper le prix moyen des places, ce qui dissuaderait ensuite les édiles de s’engager dans de tels investissements ? « Oui, certains peuvent voir trop grand, mais je ne pense pas que ce soit la règle », réplique Elisabeth Laithier, annonçant un travail imminent avec le cabinet de Laurence Rossignol, secrétaire d’Etat chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, pour remettre à plat cet empilement de normes, qui « bloque les élus pour entreprendre ».
Les parents moins demandeurs – Enfin l’AMF avance une donnée nouvelle et peu encourageante : la demande des familles pour l’obtention d’une place en crèche serait en train de baisser, face à l’évolution du chômage. « Je crains que les collectivités ne puissent pas répondre aux objectifs de création de places de la COG car de nombreuses communes nous font part de difficultés pour remplir leurs crèches, témoigne Elisabeth Laithier. A Nancy, j’ai répondu à toutes les demandes pour septembre et octobre et nous avons encore des places disponibles, alors que l’an dernier, nos structures étaient pleines ». Et Elisabeth Laithier de s’interroger : « Les objectifs de la COG ne sont-ils pas surdimensionnés ? Faire des projections en fonction des naissances n’est pas suffisant. Il faudrait que la Cnaf s’appuie sur le diagnostic des élus, et que nous soyons associés à l’élaboration de la COG. »
Rapports de force – De ce point de vue, la Cnaf espère beaucoup des schémas territoriaux des services aux familles, qui, d’après Jean-Louis Deroussen, « offrent une analyse précise, concertée, et partagée par tous les acteurs de la petite enfance permettant de dégager davantage de visibilité ». Sauf que sur le terrain, la mayonnaise a du mal à prendre.
A ce jour, 18 départements seulement se sont engagés dans la démarche, dont six ont signé le fameux schéma. « Je ne pense pas que ces schémas vont révolutionner l’offre d’accueil, lance Elisabeth Laithier. Certes, le diagnostic partagé est une aide précieuse, mais la décision d’ouvrir ou non un EAJE reste une prérogative du maire. On ne peut pas l’y forcer ».
En revanche, l’AMF ne cache pas qu’une incitation financière supplémentaire pourrait peut-être changer la donne, et déplore que le redéploiement des fonds non consommés du Fnas ne soit pas envisagé. « Pourquoi ne pas donner un coup de pouce supplémentaire aux collectivités qui ont du mal à fournir les couches et les repas ? Voire permettre une réintroduction des forfaits horaires ? »
Les maires semblent donc en position de force pour renégocier au passage les critères d’attribution de la prestation de service unique (PSU), dont la mise au point avait pris de longs mois…
Pour l’heure, la Cnaf ne sait pas encore quelle voie sera privilégiée pour inciter les collectivités à investir massivement dans l’accueil de la petite enfance. « Beaucoup de pistes ont été mises sur la table lors de la dernière commission d’action sociale. Il nous faut maintenant trouver des solutions réalistes, acceptables par nos partenaires, mais aussi par le gouvernement pour dépenser plus, mais de manière plus équilibrée », conclut Jean-Louis Deroussen. Une situation paradoxale en cette période de disette budgétaire, et qui devrait donner lieu à d’âpres négociations…