Charles-Eric Lemaignen, président de l'ADCF et de la communauté d'agglomération Orléans Val de Loire
Gart
Entre les inquiétudes sur son modèle de financement et les transferts de compétences prévus par la réforme territoriale en cours, le transport public suscite de nombreuses interrogations. Entretien avec Charles-Eric Le Maignen, président de la communauté d'agglomération Orléans Val de Loire, président délégué aux Finances de l’Assemblée des Communautés de France (AdCF) et vice-président du Groupement des autorités responsables de transport (Gart) délégué aux finances et à la tarification.
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Quel rôle doivent avoir les futures « super régions » dans l ‘organisation des transports ? Est-ce la bonne échelle pour gérer le transport scolaire et le transport interurbain, comme prévu dans le projet de loi de réforme territoriale ?
Je suis favorable au couple région-intercommunalité. Dans ce contexte, les régions ont un rôle stratégique à développer. Elaborer des schémas qui doivent être prescriptifs, ça ne me choque en rien, bien au contraire, à une double condition : ce n’est pas l’ensemble du schéma qui doit être prescriptif, mais uniquement des points précis, qui feront l’objet d’une délibération du conseil régional. Deuxième condition, ces schémas doivent être co-élaborés avec les AOTU. D’ailleurs, la loi de Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) prévoyait un tel type de co-élaboration initialement.
En ce qui concerne le transfert des missions actuellement dévolues aux départements : le transport interurbain, qui fait à mon sens doublon avec le TER et les lignes de car gérées dans le cadre de DSP régionales, n’a donc aucune raison de ne pas passer aux mains des régions. Ce n’est pas stratégique pour au moins deux départements sur trois, et ce n’est pas le cœur de métier des départements, qui ont, en plus, des problèmes financiers qui ne leur permettent pas de gérer correctement ce type de missions.
En ce qui concerne l’organisation du transport scolaire : d’abord, tous les départements n’ont pas créé une véritable osmose entre les compétences transport interurbain et transport scolaire. Ce dernier n’est pas stratégique, là aussi, pour un grand nombre de départements. Le transport scolaire doit donc être donné en compétence aux régions.
Ce sera plus simple, il n’y aura plus que deux acteurs : les régions, et les AOTU que sont les agglomérations. Cela permettra de gérer le mieux possible LE gros défi du transport de demain, à savoir la gestion du transport périurbain. Celui-ci se situe à la frontière entre ce que font les AOTU et ce que fait la région. L’enjeu est d’assurer une meilleure cohérence, indispensable car le périurbain contribue à dégrader l’équilibre financier de nos transports urbains.
Le Gart a-t-il des « préférences » concernant l’affectation des fonds de l’Etat aux projets de mobilité dans le cadre du 3e appel à projet "TCSP"(1) ?
Le Gart a toujours défendu la même position globale : il faut continuer à honorer l’engagement du Grenelle sur les TCSP, avec des financements de l’Etat. Il ne s’agit pas de faire du saupoudrage mais de voir quel est l’équilibre économique et financier de chacun des projets, et l’intérêt en termes de mobilité et d’investissement structurant pour nos territoires.
Prenons l’exemple du projet que nous avons porté dans notre agglomération [communauté d’agglo Orléans Val de Loire, ndlr] : l’aménagement du secteur Dessaux-Les Aubrais, une zone de 110 ha qui constituera le pôle tertiaire et d’habitation de l’agglo en 2050-2100. Pour mener ce projet à bien, il faut ouvrir la gare du côté ouest et nous avons donc prévu un téléphérique qui permettrait de passer au-dessus du faisceau ferroviaire. C’est un projet totalement structurant. Si l’on n’a pas ce passage des voies ferrées, il n’est pas possible de faire cette zone.
Le financement de plus en plus difficile du transport public doit-il faire abandonner les projets de tramway au profit, par exemple, du BHNS ?
La guerre entre les modes n’a pas de sens, on est sur une logique d’intermodalité. Le renouveau du tramway « low cost » est une très bonne solution. Ce type de tram se rapproche d’un BHNS haut de gamme. La crise financière durable va nous forcer à revoir nos modèles, et être plus économes. Ça n’a pas empêché quelques propositions démagogiques, à droite comme à gauche, lors des dernières municipales… On ne peut plus se permettre des logiques de gratuité ou de trop gros investissements. Tout en sachant qu’un mode de transport est à la fois un outil de transport et d’aménagement urbain. L’image d’Orléans a été transformée par sa ligne de tram : on a refait la ville, au sens le plus noble du terme.
Sur le transport urbain, que pensez-vous des retours en régie directe, comme à Nice et Cannes ?
Je n’ai aucune idée a priori sur la question de privilégier la régie ou la gestion déléguée. C’est du cas par cas. Prenons l’exemple de l’eau : André Laignel [maire (PS) d’Issoudun et président du Comité des finances locales, ndlr], qui n’est pas un grand libéral devant l’éternel, a chois de déléguer la gestion de l’eau à la Lyonnaise des eaux. Pourquoi ? parce que son eau est "pourrie", elle est puisée très profond et a besoin d’un traitement important, et qu’on est pas capable de le faire en régie. C’est un choix de circonstances, dans le transport comme ailleurs. Mais il y a très peu de régies en matière de transport. La SPL peut être dans certains cas une très bonne solution.
Comment peut-on améliorer le modèle économique du transport urbain ?
Si l’on veut augmenter les financements, il faut à la fois tabler sur les dépenses et les recettes. Si l’on raisonne uniquement en termes de recettes supplémentaires, on va dans le mur. Le client des transports publics ne paye pas beaucoup, on le sait bien. Mais est-ce qu’on le fait payer davantage, ou est-ce que l’on fait financer une forme de mobilité par l’autre, le transport public par l’automobile ? Il faut avoir une réflexion sur la fiscalité écologique et sur la fiscalité issue de l’automobile, en faisant attention à ne pas aboutir à une solution unique inacceptable dans un contexte de ras-le-bol fiscal.
En matière de dépenses, notamment sur l’investissement, il y a des marges de manœuvre. Je trouve par exemple que l’innovation dans la téléphonie mobile permet d’avoir un service 1000 fois supérieur pour un coût moins élevé ; à l’inverse, pour l’instant, l’innovation dans le transport a permis d’améliorer le service, mais toujours avec des coûts supérieurs… J’aimerais que nos innovateurs puissent nous permettre d’avoir des coûts d’exploitation moins élevés.
Prenons deux exemples. Le nez des tramways d’abord : chaque élu veut personnaliser le nez de son tram. Alstom fait des marges très importantes sur cette partie des véhicules, étant donné qu’il le fait sur commande. Ne peut-on pas avoir des tramways standards ?
Le 2e exemple, je le vis à Orléans et ça m’horripile profondément : on a passé un marché pour notre système d’aide à l’exploitation et d’information voyageurs avec un grand de la profession [le groupe Spie, associé à la société Rohde & Schwarz, ndlr]. Il n’a respecté ni les clauses techniques ni les délais. Résultat, pour la première fois dans la vie de notre collectivité, nous avons résilié un marché au tort du co-contractant. Il s’agissait d’un marché de plus de 10 millions d’euros, il a fallu en passer un nouveau, et nous avons pris par conséquent trois ans de retard… Je le vis très mal !
Donc, que ce soit sur le matériel roulant ou sur le reste, plutôt que de nous proposer des produits hyper sophistiqués et totalement individualisés, ne pourrait-on pas avoir des produits sur catalogue, transposables dans les différentes agglomérations ? Est-ce qu’on a besoin de tout ça ? On a plus de sous ! Il faut un service équivalent à moindre coût. Qu’on se mette tous autour d’une table, le Gart, les exploitants, les constructeurs et les bureaux d’étude – qui bien sûr poussent à la roue puisqu’ils vivent de la complexité et de la personnalisation… – et qu’on définisse des standards !
il regrettable d’imaginer que la France ne soit qu’à l’image des des grandes agglomérations.
Quid du transport public dans les départements ruraux? les super régions seront bien éloignées des besoins des territoires ruraux.
A quand un système adapté à la diversité des besoins des territoires et non uniquement à ceux les plus représentés?