Depuis plusieurs semaines, des élus des assemblées départementales s’élèvent contre le projet de suppression des conseils généraux à l’horizon 2020. Déjà plus de la moitié d’entre eux ont adopté des motions s’opposant au second projet de loi de réforme territoriale ou demandant à ce qu’il soit amendé. D’autres pourraient leur emboîter le pas. Derrière ces démonstrations politiques, les réactions des agents sont plus mesurées, balançant entre crainte et incertitude quant à leur avenir. Plusieurs mobilisations ont déjà eu lieu.
Le 26 juin, une trentaine de territoriaux du conseil général de l’Allier (2 000 agents) encartés à la CGT ont déployé leurs bannières syndicales lors de la session de l’assemblée départementale pour faire part de leur désaccord avec le projet de loi.
Dans le Gers (1 600 agents), 200 employés départementaux se sont réunis le 27 mai à l’appel de l’intersyndicale CGT-FO-Unsa afin de signifier leur inquiétude. Les agents de la Haute-Vienne (1 600 agents) étaient également en grève le 27 mai, puis en juin, pour défendre à la fois des revendications d’ordre interne et un abandon du texte de réforme.
Réunions d’information – Au conseil général du Val-de-Marne (8 000 agents), le président (PC) Christian Favier a lui-même pris l’initiative de convier les agents à une réunion d’information le 27 mai. A leur arrivée, les territoriaux – plus de 1 200 avaient répondu à l’invitation – se disaient plus perplexes qu’inquiets. « Nous entendons différents de sons de cloches, mais avons peu d’éléments concrets. Que vont devenir les compétences non obligatoires ? A quelles collectivités vont être transférés les autres services ? », s’interrogeait Patrick Laplace, responsable du service « initiatives », dont les 32 agents avaient fait le déplacement.
Après une prise de parole de Christian Favier et la diffusion d’un film de présentation de l’ensemble des compétences du département, les interventions – la plupart d’agents issus des rangs syndicaux – laissaient cependant apparaître de réelles craintes sur le devenir de leur service public, un syndicaliste de la CGT n’hésitant pas à parler de « plan social ». Ces échanges n’auront cependant pas suffi à lever les interrogations, d’autant que le projet de loi n’a été présenté au Conseil des ministres que le 18 juin.
Temporisation – Communiquer auprès des agents sur un projet qui peut encore profondément évoluer dans les mois à venir ? Certains conseils généraux ont préféré renoncer devant l’imprécision de la réforme, craignant de renforcer l’inquiétude en laissant les agents dans l’expectative. En Ardèche (1 400 agents), des réunions d’information ont néanmoins eu lieu sur différents sites de la collectivité, animés par des élus et la direction générale. « L’inquiétude se manifestait de manière informelle, par des petites phrases un peu désabusées. Les réunions d’information ont désamorcé les craintes ou, en tout cas, les ont calmées en attendant le texte définitif qui sortira des discussions parlementaires », souligne la DRH, Marie-Françoise Coste.
C’est d’ailleurs ce que reconnaît le directeur de la voirie d’un conseil général du Nord de la France. « Les gens paraissent prudents, pas forcément inquiets. D’abord parce que les précédents de 2004 et 2010 nous ont démontré que le projet annoncé pouvait évoluer lors de son examen parlementaire. Ensuite parce que beaucoup d’agents techniques ont déjà connu des transferts et constaté que leur métier était toujours le même », souligne-t-il.
Même écho au conseil général du Jura (1 300 agents). « Pour les collègues, qui ont déjà le nez dans le guidon, l’échéance est lointaine et le contenu de la réforme abstrait. Les inquiétudes existent, mais elles sont diffuses. Les agents regrettent surtout d’être considérés comme des pions dans des enjeux politiques qui les dépassent », note Jean-Marc Gardère, chargé de mission à la direction du bâtiment et des routes, et membre de la commission exécutive de l’Ufict – Services publics.
Plus soucieux semblent les agents occupant un emploi relevant de compétences non obligatoires. « Que vont devenir nos structures et nos équipes ? », se demande une directrice de crèche départementale du Val-de-Marne.
Secrétaire départemental du Snuclias-FSU en Haute-Vienne, Daniel Clérembaux s’interroge également sur le devenir des comités départementaux du tourisme, des laboratoires départementaux et des bibliothèques départementales de prêt.
Manager malgré l’incertitude – Daniel Clérembaux observe, en outre, que les territoriaux exerçant certains métiers se sentent davantage sur la sellette : « C’est le cas pour les métiers ressources, comme les RH ou la communication, dont les fonctions sont déjà occupées dans les collectivités que les services du département vont rejoindre. De même, les non-titulaires craignent d’être les premiers touchés si la réforme est conçue comme un moyen de contribuer aux 11 milliards d’économies que le gouvernement projette de réaliser dans les collectivités. »
Quant à l’encadrement, il est concerné à plusieurs titres. Si l’emploi des agents de terrain semble assuré quels que soient les transferts de compétences, il n’en est pas de même pour leurs managers. Il devient par ailleurs mal aisé pour eux de conduire des projets de long terme dans un contexte aussi incertain. « Pour nous caler sur l’actualité, nous avons adapté la thématique de notre séminaire de cadres, qui réunissait 130 personnes le 12 juin, et nous sommes demandé comment encadrer en période d’évolution incertaine », indique Grégory Arnaud, chargé de mission « animation hiérarchique et communication interne » au conseil général des Côtes-d’Armor (2 400 agents).
Points de vue
« Les élus attendent que nous nous mobilisions »
Philippe Paillé, représentant de FO-Territoriaux au conseil général du Gers (1 600 agents)
Au vu des discours entendus presque chaque jour, les agents du conseil général du Gers sont dans l’incertitude totale. Les routes et collèges partiraient en 2016… Et que dire des ouvriers des parcs et ateliers, pour lesquels les décrets de transfert au conseil général sont parus au début de l’année 2014. Le positionnement des élus interroge : jusqu’où sont-ils prêts à s’engager ? Le conseil général du Gers a certes demandé le report en l’état du projet, mais nous aimerions que les élus aillent plus loin, qu’ils se battent pour les agents. Or ils attendent que nous nous mobilisions. Est-ce normal ? Non ! Prétextant être de la même tendance que le gouvernement, ils oublient qu’ils ont été élus localement, et non par le gouvernement.
« Le sentiment d’être des pions »
Véronique Robitaillie, directrice générale des services des Côtes-d’Armor (2 400 agents)
Les préoccupations des agents des conseils généraux tiennent surtout au manque de lisibilité du projet de réforme territoriale. Celui-ci est parti de mesures d’organisation, avec un discours fort sur les économies à réaliser. Jamais il n’a été exprimé en termes de service public. Or les inquiétudes des agents portent sur le maintien d’un service public départemental. Par ailleurs, les contre-annonces ont succédé aux annonces et les personnes ont du mal à se projeter. Il y a aussi une forte démotivation générée par le sentiment d’être considérés comme des pions. C’est particulièrement vrai parmi les agents des collèges, transférés de l’Etat : à peine intégrés, ils se rendent compte que leur nouvel employeur n’est pas pérenne.
« Des interrogations sur les fonctions d’encadrement »
Jean-Marie Marco, vice-président du SNDGCT
En tant que vice-président du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales [SNDGCT], je m’interroge sur le devenir de l’encadrement. Il y a aura peut-être des places à prendre dans le nouveau paysage tel qu’il sera dessiné par la réforme territoriale. Mais, pour les directeurs généraux des services, il ne faut pas s’attendre à des postes équivalents. Une grande région va certainement impliquer de nouveaux postes de direction, sur lesquels il faudra se positionner. Et la réflexion est la même pour les métropoles ou les intercommunalités. Nous devons faire en sorte que ces emplois reviennent à des fonctionnaires publics territoriaux et faire entendre notre voix dans les débats.
Comment mobiliser l’opinion ?
Comment transmettre aux usagers les inquiétudes des agents quant aux répercussions de la réforme territoriale ? La question est sur toutes les lèvres. « Il faut reconnaître que l’opinion est un peu contre les fonctionnaires et que les gens n’ont pas forcément une image très précise de tous les services rendus par le département », admet Philippe Paillé, représentant de FO-Territoriaux au conseil général du Gers. C’est pourquoi le syndicat avait suggéré de coller des affichettes dans les lieux d’accueil du public et de faire porter des badges aux agents afin de susciter la discussion. Mais cela a été peu suivi. « Pourquoi ne pas diffuser ce film au public ? » suggérait de son côté une employée après la diffusion d’une vidéo énumérant tous les champs d’intervention du conseil général du Val-de-Marne lors de la réunion d’information à l’adresse des agents, le 27 mai, à Créteil. Décrire ce que serait une journée sans département, c’est justement le choix du Var, dans le numéro de mai de son magazine « Var mag ».