« La liste ! La liste ! La liste ! » Lors de l’examen de la réforme de la politique de la ville au Parlement à l’automne puis à l’hiver dernier, sénateurs et députés avaient vivement réclamé la publication de la liste de la géographie prioritaire. Avec certes quelques mois de retard, le ministère de la Ville l’a finalement publiée… non pas « après les municipales » comme annoncé mais en inauguration des Journées nationales d’échanges des acteurs de la Rénovation Urbaine (JERU), mardi 17 juin.
Fini les 751 zones urbaines sensibles (ZUS) – comprenant elles-mêmes 416 zones de redynamisation urbaine (ZRU) et 100 zones franches urbaines (ZFU) –, les 2 492 quartiers sous contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) et les 594 disposant d’une convention de rénovation urbaine ; place désormais à 1 300 territoires-cibles. Objectif : simplifier une politique de la ville devenue un « symbole de complexité » après vingt ans d’empilement de zonages successifs.
100 nouvelles communes – Ces 1 300 quartiers prioritaires sont concentrés sur 702 communes – dont 100 qui n’en faisaient pas partie – en lieu et place des 900 villes qui bénéficiaient jusqu’ici des subventions du ministère de la Ville (ACSé), d’avantages organisationnels (sur-classement démographique, majoration de postes dans l’Education ou la Police nationale, augmentation des capacités de recrutement et primes aux fonctionnaires) et fiscaux (exonération de charges pour les bailleurs sociaux) ainsi que de dispositifs spécifiques (réussite éducative, programme de renouvellement urbain pour 200 d’entre eux, etc).
Font donc leur apparition dans cette nouvelle carte : Villers-Cotterêts (Aisne), Privas (Ardèche), Foix, Pamiers (Ariège), Gardanne (Bouches-du-Rhône), Guéret (Creuse), Sochaux (Doubs), Uzès (Gard), Auch (Gers), Issoudun (Indre), Dax (Landes), Villeneuve-sur-Lot, Marmande (Lot-et-Garonne), Le Bourget (Seine-Saint-Denis), Joigny (Yonne), entre autres…
Critère de pauvreté – « De l’innovation à l’exclusion, le fait urbain concentre les paradoxes de nos sociétés et les porte parfois à son paroxysme au sein d’un même territoire. La politique de la ville, qui a pour objet de lutter contre la spécialisation sociale des quartiers, les fractures territoriales, l’enclavement, doit s’y attaquer. C’est pourquoi ces quartiers ont été choisis selon le critère simple et unique de la pauvreté », a justifié la nouvelle ministre de la Ville.
Comme défini par la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 22 février 2014 puis par le Conseil d’Etat le 10 juin dernier, la faiblesse de revenus des habitants (lorsque la moitié de la population vit avec moins de 60% du revenu fiscal médian national, soit 11 250€/an) a été mesurée à l’aide d’un carroyage découpant la France en entités de 200m x 200m.
Puis ce critère a été mis en rapport et pondéré avec les revenus nationaux (70%) et locaux (30%) afin de tenir compte du coût de la vie, susceptible de varier selon les territoires, notamment en Ile-de-France (où le ratio a été inversé).
Mise à jour urbaine et rurale – Au-delà des communes entrantes, la nouvelle liste des territoires-cibles de la politique de la ville repêche deux tiers des communes jusqu’ici déjà bénéficiaires.
85% des zones urbaines sensibles (638) et 82% des quartiers Cucs de priorité 1 (903), qui concentraient jusqu’alors l’essentiel des moyens du ministère de la Ville et de l’ACSé, ont été effectivement repris.
« Cette carte met à jour la réalité des poches de pauvreté en France, que ce soit dans des tours et des barres d’immeubles en périphérie des grandes villes ou dans des lotissements pavillonnaires », s’est enorgueillie Najat Vallaud-Belkacem. D’où l’entrée de villes moyennes, aux centre-villes parfois dégradés, ainsi que de quelques territoires ruraux.
Un tiers de communes exclues – En revanche, 300 communes sont exclues de la géographie prioritaire afin de « mettre fin au saupoudrage financier et concentrer les moyens là où il y en a le plus besoin. »
On recense : Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), Crest (Drôme), Palaiseau, Yerres (Essonne), Sceaux, Rueuil-Malmaison (Hauts-de-Seine), Hendaye (Pyrénées-Atlantiques), Ecully (Rhône), Le Grand-Quevilly (Seine-Maritime), Maisons-Alfort (Val-de-Marne).
« Parmi elles, il y a les villes qui n’auraient jamais dû être dans la politique de la ville : les sorties de Biarritz, Saint-Raphaël ou Boulogne-Billancourt ne devraient pas surprendre… Il y a également des communes qui ont légitimement bénéficié des différents dispositifs mais vont mieux aujourd’hui. Comparée aux 1 300 autres quartiers, leur situation est désormais plus confortable » a énuméré Najat Vallaud-Belkacem, persuadée de mener une réforme « juste et objective. »
Quelques sorties en douceur – En tout état de cause, il s’agit pour l’essentiel des ZUS et des CUCS les moins prioritaires et donc les moins dotées jusqu’ici en crédits par le ministère de la Ville.
« Pour autant, un certain nombre d’entre elles continuent de présenter des vulnérabilités et pourront être classées en veille active. Nous avons demandé aux préfets et aux élus locaux de les suivre de près afin que nous puissions, le cas échéant, mobiliser avec insistance les moyens de droit commun », a-t-elle tenté de rassurer.
A n’en pas douter, ce dispositif dérogatoire et limité devrait concentrer les critiques des élus locaux qui réclamaient initialement qu’il soit généralisé à toutes les communes sortantes. Bien qu’officiellement consensuel, ce toilettage de la discrimination positive territoriale risque de ne plus faire l’unanimité, dans un contexte également marqué par la baisse programmée des dotations de l’Etat aux collectivités.
Sous la mandature Sarkozy, le gouvernement était également désireux de corriger la géographie prioritaire mais avait finalement cédé en 2009 face aux « égoïsmes locaux » et à la bronca des élus locaux.
Préparation des contrats de ville – En ce qui concerne les heureux élus intégrant cette nouvelle géographie prioritaire, les acteurs locaux voient désormais s’ouvrir un nouveau chapitre de la réforme de la politique de la ville : sa déclinaison sur le terrain. A partir de ces statistiques, les préfets vont engager « un dialogue avec les collectivités pour ajuster le périmètre définitif des territoires prioritaires aux réalités locales. »
Pas question cependant de se faire happer par l’ouverture de ces nouvelles négociations. Disposant d’environ six mois pour boucler les nouveaux contrats de ville, élus et fonctionnaires abritant un territoire prioritaire feraient bien d’entamer dès aujourd’hui, comme le leur recommande Najat Vallaud-Belkacem, la préparation de ces documents stratégiques qui permettront d’engager tous les acteurs publics autour du renforcement de la solidarité nationale.
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