La présentation du rapport sur les nouvelles ruralités au Sénat, prévue de longue date pour le mercredi 9 avril, s’est transformée en un réquisitoire contre les annonces du premier ministre, Manuel Valls, la veille lors de son discours de politique générale.
« Le débat sera long et difficile. Le premier ministre a eu un mot pour la ruralité en affirmant qu’il mesurait le sentiment d’abandon des territoires ruraux. Nous allons lui demander de nous apporter des clarifications », a souligné le président de l’Assemblé des départements de France, Claudy Lebreton (PS), en rappelant que les départements représentent 4278 conseillers généraux et plus de 200.000 fonctionnaires territoriaux.
Vexés par l’absence de ministre – Les présidents des départements de l’Allier, du Cher, de la Creuse et de la Nièvre, qui portent cette réflexion depuis le lancement d’un manifeste en 2012, avaient obtenu – et apprécié – l’écoute d’Anne-Marie Escoffier, alors ministre déléguée à la décentralisation, la participation de l’ancienne ministre Cécile Duflot au colloque du 6 juin à Vichy et le discours positif sur le renouveau des espaces extramétropolitains de François Hollande à Tulle en janvier.
La ministre déléguée chargée à la décentralisation débarquée lors du remaniement, ils ont espéré dans un premier temps accueillir la nouvelle titulaire du maroquin de l’Egalité aux territoires, Sylvia Pinel. Excusée, elle devait être remplacée au pied levé par Marylise Lebranchu en personne. Puis finalement non. C’est son directeur de cabinet adjoint qui est venu la représenter.
« Nous méritions le passage de la ministre, c’est pourquoi nous ne vous demanderons pas de vous exprimer aujourd’hui » lui a sèchement signifié le président du conseil général de l’Allier, Jean-Paul Dufrègne (PCF) quand celui-ci s’est présenté dans la salle du sous-sol du Sénat où se tenait la rencontre.
Réactions à la douche froide – Quant à la douche froide qu’a représenté le discours de Manuel Valls, les réactions se sont succédé.
« Considérer que l’échelon le plus grand, le plus concentré est le plus pertinent c’est de la paresse intellectuelle. Les concentrations urbaine, bancaire, industrielle ont démontré que le marché ne fonctionne pas quand il y a concentration. Ce qu’il propose aujourd’hui est incompréhensible. Supprimer les conseil départementaux mais pas les départements, comme on a supprimé les conseils d’arrondissement et gardé les arrondissements. Il n’y aura simplement plus de capacité à porter un discours politique sur les territoires », a souligné Patrice Joly, président du conseil général de la Nièvre.
« Je ne peux pas me résoudre à ça. Nous sommes dans une démarche d’équilibre territorial. Nos territoires ont de l’intelligence. Manuel Valls est un urbain, il pense urbain, il vit urbain. Je ne suis pas certain qu’il ait pris la mesure de ce que représente le monde rural. Nous devons établir des rapports de force pour peser sur les politiques publiques de notre pays », a affirmé Jean-Paul Dufrègne (PCF).
« On ne nous a toujours pas fait la démonstration que l’on ferait des économies avec la suppression d’un échelon. Une nouvelle carte intercommunale, calquée sur des bassins de vie d’au moins 10.000 habitants, ne sera pas sans conséquences sur la lisibilité. D’autant plus s’il n’y a rien entre ces intercommunalités et une dizaine de grandes régions », a expliqué pour sa part le sénateur et président du conseil général de la Creuse, Jean-Jacques Lozach (PS).
Abandon de l’administration centrale – « Je regrette que le premier ministre ait donné des gages à des cercles parisiens qui ne connaissent pas nos territoires et n’ont pas franchi le périphérique autrement que pour aller en vacances », a dénoncé le président du conseil général du Cher, Jean-Pierre Saulnier (PS).
« Cela dépasse la gauche et la droite, c’est un clivage entre élus urbains et ruraux. On aurait pu penser qu’avec un président de la république qui avait dirigé un département rural cela pouvait être différent. Mais nous assistons à un abandon de l’administration centrale parisienne vis-à-vis de la ruralité. C’est important de s’organiser, sans polémique politicienne, sinon on aura des difficultés », a précisé le sénateur du Cher, Rémy Pointereau (UMP).
Lebranchu à Nevers ? – C’est le géographe Christophe Guilluy qui a apporté un peu de baume au cœur aux élus ruraux, en saluant le travail fourni dans leur rapport : « Le diagnostic des départements est irremplaçable. Aucune collectivité territoriale n’est capable de faire remonter des informations à une échelle très fine sur les dynamiques sociales. Ni les régions, ni les intercommunalités n’ont pu me fournir des données aussi détaillées. La qualité de ce travail dépasse bien des études réalisées dans les plus grandes villes de France ».
Les élus, que Claudy Lebreton appelle « les quatre mousquetaires » de la ruralité ont annoncé un « printemps des territoires » pour qu’ils « trouvent toute leur place et ne soient plus considérés comme la cinquième roue du char ou juste un lieu de villégiature », ainsi que la tenue d’un deuxième colloque, le 5 juin à Nevers, auquel ils inviteront les « élites de la nation » à discuter de la représentation qu’elles se font de la ruralité. Une date que Marylise Lebranchu pourrait bien marquer à son agenda…