Après dix ans de bataille contre le puissant lobbying du Groupe Orange, les réseaux d’initiative publique (RIP) de première génération ne voient pas d’un mauvais œil la formation d’un nouvel acteur des télécommunications de taille à rééquilibrer les rapports de force.
Le choix de Vivendi, de privilégier l’offre d’Altice, propriétaire du cablo-opérateur Numéricâble plutôt que celle de Bouygues, option défendue par Arnaud Montebourg, Ministre du redressement productif, alimentait les conversations à Deauville lundi 17 mars.
« Passage déterminant pour l’avenir des RIP » – La création d’un opérateur fixe et mobile puissant , de taille à rivaliser avec l’opérateur historique profitera-t-il à l’écosystème encore fragile des réseaux d’initiatives publiques de deuxième génération ?
« Nous vivons-là un nouveau passage déterminant pour l’avenir des RIP, il faut des grands opérateurs privés qui continuent d’investir dans les zones denses, mais il faut qu’ils aient des moyens financiers de co-investir et la volonté de venir commercialiser des offres d’accès sur les RIP », observe Alain Lagarde, président du syndicat mixte Dorsal et Vice-président de l’Avicca.
Des engagements d’investissement – Des signes positifs avaient déjà été donnés par Numéricâble qui s’était déjà déclaré prêt à investir sur les RIP et avait joint le geste à la parole sur le réseau de l’Ain. « L’arrivée de Numéricâble comme fournisseur d’accès Internet sur notre réseau nous a permis de relancer les négociations avec Orange sur les zones AMII où nous avions prévu d’investir bien avant leurs déclarations d’intention», souligne Patrick Chaize, directeur du Syndicat Intercommunal d’énergie et d’e-communication de l’Ain. Les contours de ce nouvel accord en cours de finalisation seront connus avant la fin du mois de mars 2014.
La branche SFR Collectivité est pour sa part un acteur important des RIP de première génération, leur apportant 60% du chiffre d’affaires réalisé grâce au dégroupage des centraux téléphoniques.
« Le projet choisi par Vivendi est une bonne nouvelle pour les RIP, affirme Cyril Luneau, directeur de SFR-Collectivités. Altice s’est engagé à co-investir 50 millions d’euros par an pour la construction de prises sur les RIP, cela donne une visibilité à l’investissement public ».
Quid des investissements engagés par SFR ? – La commercialisation des réseaux FTTH construits sur les zones les moins rentables du territoire est au cœur des préoccupations des départements et régions qui investissent pour rapprocher la fibre optique des habitants.
« C’est le projet industriel le plus clair qui a été choisi par Vivendi, déclare Etienne Degas, président de la Fédération des Industriels des Réseaux d’initiative Publique (FIRIP). Mais il ne doit pas ralentir la dynamique qui est déjà lancée. Il faudra préciser rapidement si les investissements engagés par SFR sur les zones conventionnées se poursuivront. En cas de désistement, cela pourrait être une bonne nouvelle pour les RIP qui pourraient inclure des zones plus rentables à leur schéma économique. »
Renégociation des zones « AMII » en perspective – Le rapprochement SFR/Numéricâble pourrait aussi être l’occasion d’optimiser les déploiements déjà engagés sur les zones laissées à l’investissement privé (dites zones AMII ou maintenant zones conventionnées) . « Orange a calqué sa présence dans les zones moyennement denses sur la couverture des réseaux câblés, rappelle Jean-Luc Salaberry, chef du service des Communications Électroniques à la FNCCR. En incluant ces infrastructures dans le plan France Très haut débit, et en les régulant pour les ouvrir à la concurrence, les opérateurs privés pourront peut-être tenir leurs engagements ».
Un schéma d’optimisation des investissements fait partie du plan stratégique d’Altice qui a annoncé son intention de renégocier les engagements pris par SFR avec le groupe Orange. Le nouvel ensemble, qui ne conservera que la marque SFR, planifie d’équiper au très haut débit 12 millions de foyers dès 2017 et 15 millions en 2020.
Réseaux câblés jusqu’à présent écartés – « Numéricâble à une force commerciale indéniable, il peut mettre en difficulté le groupe Orange, mais il ne déploie pas de la fibre optique jusqu’à l’abonné » précise Alain Lagarde.
Jusqu’à présent les réseaux câblés ont été écartés des deux plans très haut débit qui se sont succédé en 2010 puis en 2013 pour privilégier le modèle fibre optique à l’abonné (FTTH). Une mise à l’écart que regrettait la Cours des comptes dans un référé qui mettait à plat les incohérences du plan national très haut débit prédécesseur de l’actuel plan France Très Haut débit.
Pourtant le câblo-opérateur est le premier fournisseur d’accès au très haut débit selon l’observatoire de l’Arcep, avec 1,4 millions d’abonnés (abonnements Bouygues et Numéricâble inclus) et 5,2 millions de foyers déjà raccordés à un réseau fibre optique (FTTB, au pied de l’immeuble), 4,7 millions de prises restent encore à moderniser pour apporter des débits de 100 Mbps, donc bien au-delà de la promesse du plan France THD d’apporter un minimum de 30 Mbps.
Un réseau câblé peut être ouvert à la concurrence – A l’origine pour la plupart propriété des collectivités, ces réseaux hérités du plan câble ont progressivement été cédés au cablo-opérateur. Seuls substituent encore deux réseaux majeurs, propriétés de structures publiques territoriales, (Epari dans le Rhône et le Sipperec en Ile-de-France en concession auprès de Numéricâble).
«Nous avons investi dans la rénovation du réseau câblé qui correspond à 520 000 prises exploitées par Numéricâble. Nous avons pu démontrer à Champigny-sur-Marne qu’un réseau câblés rénové en fibre optique jusqu’au bâtiment pouvait aussi être techniquement ouvert à la concurrence », explique Sylvain Raifaud, responsable du pôle télécom du Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication (SIPPEREC).
La tête de réseau peut accueillir les équipements d’opérateurs pour installer des prises de fibre optique jusqu’à l’abonné. Le réseau a aussi un service activé qui permet notamment à Bouygues Télécom de commercialiser des offres THD sous sa propre marque.
« J’ai présenté le dossier technique du réseau à la Mission Très Haut Débit et à l’Arcep qui n’ont toujours pas donné suite, explique Sylvain Raifaud. Pourtant en mutualisant les réseaux câblés existants et en les ouvrant à la concurrence, l’on pourra économiser des investissements qui seront utiles dans les zones de basse densité plus couteuses à fibrer. Ce rachat est une vraie opportunité à saisir pour revoir le dispositif actuel ».
Mixer toutes les technologies du très haut débit – Le plan France Très Haut Débit privilégie la fibre optique à l’abonné mais d’ici 2022, cette technologie concernera dans le scénario le plus optimiste 80% des foyers.
Une palette d’autres solutions, comme le satellite ou la rénovation du réseau cuivre par une montée en débit de l’ADSL, ou l’arrivée de la technologie VDSL2, sont déjà mises en œuvre pour améliorer les débits. Une commission technique de l’Arcep étudie aussi la technologie du FTTD pour « fiber-to-the-door », qui permettrait de ne pas remplacer les derniers mètres de cuivre à l’intérieur des logements.
La frontière est mince pour l’usager non-expert entre le FTTB (fiber to the building) la technologie qui apporte le THD avec le câble coaxial jusqu’au logement ou le FTTD défendu par Alcatel-Lucent pour utiliser le réseau cuivre du téléphone pour éviter lui aussi des coûts de raccordement des logements.
Il sera donc difficile d’évincer plus longtemps du Plan France Très Haut Débit, une technologie reposant elle aussi sur les performances de la fibre optique et un opérateur prêt à vendre des offres commerciales connues du grand public sur les RIP financés par la dépense publique.