Coup de tonnerre dans les salles feutrées des médiathèques municipales : le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) s’apprête à dénoncer la convention par laquelle il confiait une partie de la formation des conservateurs territoriaux de bibliothèques à l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib).
Située à Villeurbanne (Rhône), cette école rattachée à l’Université Lyon II forme également les conservateurs de bibliothèques de l’Etat.
Motif de la rupture : le CNFPT estime que ces cadres de catégorie A +, rémunérés en tant que tels par les collectivités, doivent être mieux formés, notamment à la gestion des ressources humaines, des finances ou des bâtiments et juge le cursus actuel quelque peu « empoussiéré ».
Le feu couvait depuis deux ou trois ans. Après une ultime réunion, courant 2013, avec les associations de bibliothécaires et le ministère de l’enseignement supérieur, à laquelle aucun représentant de l’Enssib n’a voulu assister, le Conseil national d’orientation du CNFPT a validé le 5 mars un nouveau programme. Il serait dispensé en totalité à l’Institut national des études territoriales (Inet) à Strasbourg à partir de 2015 et devrait être présenté au prochain conseil d’administration du CNFPT, le 9 avril.
Compétences partagées et fertilisations croisées – Alors que le cabinet de Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, préconise la poursuite d’une formation commune à l’Etat et aux collectivités, après le récent rapport Pêcheur qui propose de faciliter la mobilité inter fonctions publiques de ces cadres, et alors qu’une partie de la formation des conservateurs est déjà dispensée à l’Inet à Strasbourg, la démarche du CNFPT interroge. A commencer par les conservateurs de bibliothèques.
Trois associations, celles des bibliothécaires de France (ABF), des directeurs des bibliothèques des villes et groupements intercommunaux des villes de France (ADBGV), et des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) ont écrit le 4 mars à François Deluga, président du CNFPT : « Certes le contenu des formations que vous dispensez et le brassage qu’elles permettent avec d’autres cadres supérieurs territoriaux en formation sont indispensables. Mais la formation des élèves conservateurs d’État et territoriaux dans une même école ne l’est pas moins : elle facilite la transmission de compétences partagées, gage de fertilisations croisées essentielles pour les bibliothèques universitaires comme pour les bibliothèques de lecture publique » soulignent les signataires de ce courrier publié sur le site de l’ABF.
Ils suggèrent qu’une mission d’évaluation de la formation des élèves conservateurs soit confiée à l’inspection générale des bibliothèques.
Socle commun et savoir-faire sur un territoire – Suite à ce courrier, un rendez-vous a été programmé avec Jean-Marc Legrand, directeur de l’Inet, le 24 mars. Il pourrait être suivi d’un second, très attendu par les professionnels, en avril, avec le président du CNFPT.
« Nous sommes abasourdis quand le CNFPT annonce que la formation de l’Enssib ne répond plus aux missions. Il y a probablement des choses à revoir. Toute formation doit être régulièrement évaluée. Mais le côté scientifique des cours dispensés à l’Enssib nous paraît important. Cette école, sans équivalent en France et réputée à l’étranger, a un vrai savoir faire. Et conserver un socle commun entre conservateurs territoriaux et de l’Etat est essentiel. Même si les missions et les contextes où elles s’exercent sont différents, le métier est le même ! » souligne Anne Verneuil, présidente de l’ABF, attachée à un savoir faire partagé qui permet aux bibliothécaires de travailler ensemble sur un territoire commun à des bibliothèques municipale, intercommunale et universitaire.
Autre enjeu pour les conservateurs, l’Enssib contribue à la création d’un réseau inter fonctions publiques et facilite les mobilités. Actuellement, des conservateurs de l’Etat travaillent aux cotés de territoriaux dans des bibliothèques municipales classées. « Séparer totalement les formations initiales des conservateurs d’État et territoriaux les appauvrirait toutes deux » poursuit Anne Verneuil.
Recherche scientifique et communauté professionnelle – Derrière la remise en cause, par le CNFPT, de l’enseignement de l’Enssib, d’autres interrogations se font jour : « Nous avons peur d’une formation qui serait très axée sur l’administration et qui formerait des personnes qui ne sauraient plus comment fonctionne une bibliothèque avec des usagers. Au lieu de dire on arrête tout, il serait plus intéressant de se remettre autour d’une table et de consulter plus longuement la profession » suggère encore la présidente de l’ABF qui illustre le différend par le fait que l’Enssib exige un mémoire que le CNFPT ne juge plus nécessaire.
« C’est très important d’avoir l’occasion durant la formation de réaliser des travaux fouillés et de qualité qui, une fois publiés sur le site de l’Enssib, alimentent la communauté professionnelle. Le concept de « bibliothèque troisième lieu » a par exemple été popularisé par la publication du mémoire d’une conservatrice », avance encore la signataire, pour l’ABF, du courrier à François Deluga.
Elle n’exclut pas que la décision du CNFPT, prise pour l’instant en comité restreint, soit motivée par la construction et l’occupation des nouveaux locaux de l’Inet à Strasbourg à l’horizon 2015.