Au nom des professionnels, que vous inspire la réforme de la politique de la ville ?
Nous accueillons assez positivement cette réforme, qui inscrit dans la loi des principes de base tels que la mobilisation du droit commun, la participation des habitants ou encore la nécessité d’un contrat unique et d’une articulation de l’action sociale et urbaine. Cela correspond à ce que nous préconisions depuis plusieurs années.
Si la mobilisation de moyens importants sur la rénovation urbaine – permise par la loi 2003 – était satisfaisante sur le papier, elle ne s’est pas accompagné de son pendant nécessaire sur le volet social – sur lequel on a plutôt eu une succession de dispositifs cloisonnés, descendants, accessoires parfois, et sans regard positif sur les quartiers prioritaires.
La nouvelle géographie prioritaire ne fait-elle pas débat parmi les acteurs locaux ?
Vu qu’il n’y a pas de critère parfait, le critère unique de pauvreté nous convient globalement. Il permet plus de transparence dans le choix des quartiers prioritaires, et permettra une réactualisation régulière de la liste. A deux conditions, néanmoins :
- Que puissent être définis et actés dans le contrat des territoires de veille, en direction desquels la solidarité locale et la mobilisation du droit commun, y compris de l’Etat, doit être assurée.
- Qu’en termes de méthode, les échanges entre l’Etat et le bloc local précédant la délimitation définitive des quartiers prioritaires permettent une vraie souplesse. Il faut laisser une place au pragmatisme local des acteurs de terrain pour ajuster les contours précis des quartiers concernés.
Comment réagissez-vous à l’ambition de François Lamy d’encourager la participation des habitants ?
Le fait que la participation des habitants soit reconnue par la loi est une avancée. Au-delà de l’intitulé et des objectifs du dispositif, saluons le fait que le ministère n’ait pas pensé de « solutions nationales » en vase clos: il faut laisser la possibilité aux collectivités locales d’expérimenter, tout en restant vigilant pour rester dans l’esprit de la loi.
Il devrait y avoir des collaborations avec les associations d’élus, l’Etat, les collectivités, pour organiser des séminaires, des échanges communs pour accompagner la mise en œuvre de ces pratiques.
Quelles sont les principales limites que vous voyez dans ce texte ?
Maintenant que ces grands principes sont actés, il faut désormais passer à l’acte ! Or, les remontées de terrain nous inquiètent sur certains points : quels sont les garde-fous pour s’assurer de l’effectivité des moyens financiers ? Quelle est la capacité des collectivités locales et de l’Etat local à obtenir les fonds correspond à la mobilisation du droit commun stipulé dans les conventions signées avec les différents ministères et élus locaux ? Quels moyens effectifs de s’assurer que les régions tiennent leur engagement de flécher 10% des fonds européens sur les quartiers prioritaires, faisant de la politique de la ville une priorité pour elles ?
Par ailleurs, que feront l’Etat et les collectivités locales vis-à-vis des territoires sortants de la géographie prioritaire ? Sur ce dernier point, leur sortie du dispositif n’en fait évidemment pas des quartiers riches pour autant ! Il est nécessaire de continuer à financer des actions spécifiques comme la réussite éducative ou la prévention de la délinquance sur ces territoires.
Cette réforme permettra-t-elle selon vous d’améliorer le sort des habitants ?
Il faut l’espérer, tout en ayant en tête la part minime du budget de la Politique de la Ville dans les budgets publics, et le poids de l’évolution – difficile – du contexte économique.
Par ailleurs, il aurait été intéressant d’articuler plus étroitement la loi sur la politique de la ville avec les textes ou projets sur la décentralisation. N’aurait-on pas pu imaginer la possibilité d’expérimenter une délégation de la gestion des crédits spécifiques de la politique de la ville aux métropoles et agglomérations volontaires ? C’est le cas des aides à la pierre ou des fonds de l’ANAH, cela marche et produit de l’efficacité des politiques publiques.
L’Etat doit d’abord s’occuper d’une mobilisation stratégique sur l’emploi, la sécurité ou l’Education nationale, mais pas forcément de la distribution de centaines de petites subventions : outre la machinerie administrative que cela implique, cela coûte beaucoup de temps humain au détriment des enjeux stratégiques et du contact humain de proximité avec les habitants des quartiers populaires.
Références
- Lire la réaction de l'IRDSU à la réforme de la politique de la ville
Cet article fait partie du Dossier
La nouvelle politique de la ville convient-elle aux habitants autant qu’aux professionnels ?
Sommaire du dossier
- Les habitants des quartiers sont-ils les grands oubliés de la politique de la ville ?
- Politique de la ville : ce que les élus et les professionnels attendent de la réforme
- Panorama des banlieues : les cinq chiffres à retenir en 2015
- « Passons à une nouvelle ère de la politique de la ville » – Khalid Ida-Ali (IRDSU)
- « La réforme de la politique de la ville est actée, il faut désormais passer à l’acte ! » – Amadeus
- Politique de la ville : la carte de la nouvelle géographie prioritaire dévoilée
- Les nouveaux contrats de ville entrent bientôt en action
- « La politique de la ville n’a pas les moyens d’assurer l’égalité entre tous » – Marie-Hélène Bacqué
- La participation des habitants au coeur des priorités de la politique de la ville
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