Voté fin novembre à l’Assemblée nationale, mi-janvier au Sénat, amendé le 4 février en commission mixte paritaire, le texte a été définitivement adopté mercredi 12 février à la chambre haute et jeudi 13 à la chambre basse. Il devrait désormais être promulgué « avant les élections municipales » a promis le ministre délégué chargé de la Ville, François Lamy.
Objectif : que cette « nouvelle étape de la politique de la ville » puisse être mise en œuvre par les équipes communales et intercommunales sur la totalité de leur futur mandat.
« Cohésion et solidarité » – L’enjeu est de taille. Comme l’ont révélé les derniers chiffres de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus) publiés en décembre 2013, la ségrégation urbaine demeure extrêmement vivace et l’écart entre centre-villes et banlieues pauvres interroge le pacte républicain : taux de pauvreté près de 3 fois plus élevé que sur l’ensemble du territoire, taux de chômage 2,4 fois supérieur, illettrisme 2 fois plus important, accès restreint aux équipements de santé…
A en croire le ministre François Lamy, qui s’exprimait devant les députés jeudi 13 février, l’ambition est bien d’opérer un véritable changement de dimension :
- « car, dorénavant, c’est une action globale qui sera privilégiée » ;
- « puisque le contrat de ville associera l’ensemble des parties prenantes au développement d’un territoire » ;
- « enfin, car la politique de la ville ne s’appuiera plus seulement sur ses crédits spécifiques mais mobilisera l’ensemble des politiques de droit commun » ;
Autrement dit : cette réforme doit, selon lui, permettre de revenir « à l’essence de ce qu’est la politique de la ville : une politique de cohésion et de solidarité au service des territoires urbains les plus paupérisés. »
Mi-social mi-urbain – Un objectif politique qui, depuis le lancement de la concertation sur le projet de loi à l’automne 2012, séduit les professionnels, dont le sentiment d’abandon est vivace depuis plusieurs années. Le premier motif de satisfaction de ces chefs de projet, chargés de mission ou directeurs territoriaux, dont le quotidien côtoie l’exclusion, est en effet d’avoir été écoutés et associés à la réforme.
« Ils sont satisfaits de la reprise d’un certain nombre de leurs demandes » réagit d’emblée Sylvie Rebière-Pouyade, présidente de l’Inter-réseau des professionnels du développement social urbain.
A l’instar des autres associations de professionnels, l’IRDSU met l’accent sur les avancées entérinées par ce texte revenant sur cette discrimination positive territoriale.
« Nous accueillons assez positivement cette réforme, qui inscrit dans la loi des principes de base tels que la mobilisation des crédits de la plupart des ministères et des collectivités, la nécessité d’un contrat unique et d’une articulation de l’action économique, sociale, environnementale et urbaine, la participation des habitants… » se réjouit également Patrice Allais, président du réseau Amadeus réunissant les cadres « politique de la ville » des grandes villes et agglos.
L’intercommunalité sollicitée – Même écho du côté des élus, qui plébiscitent notamment la montée en puissance annoncée des intercommunalités dans le pilotage de la politique de la ville. Elle devient une compétence obligatoire des communautés d’agglomération, et une compétence optionnelle des communautés de communes.
« Nous souhaitions cette avancée depuis longtemps » reconnaît Daniel Delaveau (PS), président de l’Assemblée des communautés de France et de Rennes métropole (43 communes, 413 900 hab.), « car il est devenu impossible d’agir sur la cohésion sociale et urbaine en intervenant à la seule échelle du quartier ».
« Il y a une vraie cohérence territoriale à ce que nous pilotions cette politique » analyse pour sa part Patrick Braouezec (ex-PCF), président de Plaine commune (9 communes, 408 000 hab., Seine-Saint-Denis), qui expérimente(1) ce nouveau partenariat entre l’Etat et le bloc local depuis près d’un an.
Partage des rôles – Cette expérience l’amène à rassurer les maires, qu’il faut, selon lui, absolument associer en raison de leur contact avec les associations de proximité. Le partage des rôles effectif entre municipalités et intercommunalités pourra être négocié localement dans les nouveaux contrats de ville formalisant l’engagement des différents acteurs (élus locaux, Etat, habitants, acteurs associatifs ou économiques, etc…).
Ceux-ci devront être signés d’ici à la fin 2014, au plus tard au printemps 2015, sur la base d’un projet de territoire réfléchi à l’échelle de l’agglomération.
En tout état de cause, il faut aller vite : « nous pourrions passer notre vie à refaire des diagnostics toujours plus précis mais ceux ayant servi à l’élaboration des CUCS ou des SCOT feront l’affaire. La contractualisation ne doit pas aboutir à un programme d’actions figé sur 6 ans, mais un contrat-cadre que l’on pourrait modifier ou préciser par le biais d’avenants au fil notamment des propositions émises par les habitants » enjoint Patrice Allais.
Resserrement des priorités – Au-delà de l’instauration de ce contrat de ville unique et de la rénovation de la gouvernance, les inquiétudes se cristallisent autour de la nouvelle géographie prioritaire.
Retenus sur la base d’un critère unique, à savoir la concentration de pauvreté (2), les quartiers éligibles aux fonds du ministères de la ville devraient passer de 2 500 (Cucs, dont 751 ZUS) à 1 300 (QP) à compter du 1er janvier 2015.
Diminuer le nombre de territoires aidés : c’est là l’une des principales prouesses de François Lamy, qui peut s’enorgueillir – contrairement à ses prédécesseurs tels Fadela Amara, qui avait cédé face aux égoïsmes locaux – d’être venu à bout de ce serpent de mer. Officiellement consensuelle car mettant fin au « saupoudrage » des moyens, cette refonte de la géographie prioritaire a jusque-là toujours été retoquée.
La publication de la liste des communes concernées a été volontairement repoussée au printemps 2014 par le gouvernement, après la publication du décret d’application de la loi et surtout après les élections municipales. Mais, parmi les élus, qui ont déjà obtenu que le resserrement se fasse sur 1 300 quartiers et non 500 comme prévu initialement, l’appréhension reste grande. « Les communes sortantes ne sauraient être brutalement abandonnées dans un contexte de baisse des dotations de l’Etat aux collectivités et de crise économique et sociale » a averti Martin Malvy (PS), président de l’Association des petites villes de France.
En complément du droit commun – Les moyens financiers dévolus à la réforme constituent une autre source d’inquiétude. Les ministères et les associations d’élus, qui ont signé avec le ministère de la Ville des conventions d’objectifs ambitieuses mais assez peu engageantes pour territorialiser les crédits de droit commun dans ces quartiers en difficulté, joueront-ils le jeu ?
La réussite de la réforme en dépend, alors que l’argent public investi avait jusqu’ici coutume de diminuer dès lors que des quartiers devenaient éligibles aux faibles subventions du ministère de la Ville.
« La politique de la ville est une sorte de mutuelle, là où le droit commun correspondrait à la Sécurité sociale. Elle ne peut être qu’un complément du droit commun », insiste Renaud Gauquelin, président de Ville et banlieue. Dans un contexte de morosité budgétaire, la vigilance reste de mise face à ce qui s’apparente comme une arlésienne de la politique de la ville.
Lui-même conscient qu’il « sera plus compliqué de décliner ces conventions que de les signer », François Lamy a d’ores et déjà été averti par Valérie Létard (UDI). « Si vous avez besoin du bloc communal dans la mise en oeuvre de votre politique, nous avons besoin du soutien financier et stratégique de l’Europe, de l’Etat, des régions et des départements », lui a signifié la vice-présidente de l’Association des maires de France.
Révolution culturelle – A l’image de nombre d’acteurs locaux, la sénatrice et présidente de Valenciennes Métropole doute de la révolution culturelle attendue de la part d’institutions et de collectivités ne connaissant pas la politique de la Ville. « Maintenant que les grands principes ont été actés, il faut désormais passer à l’acte. Or, on ne voit pas trop les garde-fous qui permettront que cela soit suivi d’effets : quelle est la capacité de l’Etat local et des collectivités à obtenir les fonds prévus par la mobilisation du droit commun, et à les territorialiser vers les quartiers populaires ? » s’inquiète Patrice Allais.
Sans les contributions de ces collectivités et ministères devant en théorie intervenir avant celles spécifiques à la politique de la ville dont la fonction première consiste à servir de levier, la concentration des seuls crédits (à moyens constants du ministère de la Ville permise sur les 1 300 nouveaux quartiers prioritaires conserverait une saveur amère.
En outre, le droit commun doit également alimenter les territoires sortants de cette géographie prioritaire, « qui ne deviendront pas automatiquement des quartiers riches » prévient le président de l’association Amadeus. « Les remontées de terrain font état d’une nécessaire continuité dans le financement d’actions spécifiques, comme la réussite éducative ou la prévention de la délinquance. »
Les principaux points du projet de loi
- Contrat unique et intercos : remplacement des contrats urbains de cohésion sociale (Cucs) par des contrats de ville. Alliant le développement social urbain et la rénovation urbaine, ces contrats-cadres adossés aux intercommunalités, engageront l’Etat et le bloc local sur six ans.
- Géographie prioritaire : Mettre fin à la superposition de zonages: suppression des 751 zones urbaines sensibles et 2 492 quartiers « Cucs », concentration des crédits de la politique de la ville sur 1 300 quartiers prioritaires. La liste des bénéficiaires devrait être dévoilée au cours du mois d’avril 2014.
- Renouvellement urbain : un nouveau Programme national de renouvellement urbain (PNRU 2) concernera 230 agglomérations abritant des quartiers populaires. Leurs noms devraient être connus en septembre prochain.
- Dotation : jusqu’ici versée aux communes, la dotation de développement urbain (DDU) devrait être remplacée en 2015 par une dotation spécifique pour la politique de la ville, versée aux intercos abritant des quartiers prioritaires.
- Habitants : création de « conseils citoyens ». Tirés au sort, indépendants des élus, formés, dotés de moyens spécifiques, ils se prononceront sur les projets urbains comme sociaux. Cela doit permettre de traduire l’objectif de replacer les habitants au cœur de l’action publique.
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La nouvelle politique de la ville convient-elle aux habitants autant qu’aux professionnels ?
Sommaire du dossier
- Les habitants des quartiers sont-ils les grands oubliés de la politique de la ville ?
- Politique de la ville : ce que les élus et les professionnels attendent de la réforme
- Panorama des banlieues : les cinq chiffres à retenir en 2015
- « Passons à une nouvelle ère de la politique de la ville » – Khalid Ida-Ali (IRDSU)
- « La réforme de la politique de la ville est actée, il faut désormais passer à l’acte ! » – Amadeus
- Politique de la ville : la carte de la nouvelle géographie prioritaire dévoilée
- Les nouveaux contrats de ville entrent bientôt en action
- « La politique de la ville n’a pas les moyens d’assurer l’égalité entre tous » – Marie-Hélène Bacqué
- La participation des habitants au coeur des priorités de la politique de la ville
- Renouvellement urbain : 5 milliards pour poursuivre la rénovation des quartiers
- « La politique de la Ville aurait dû articuler la lutte contre les inégalités socio-spatiales et celle contre les inégalités raciales » – Jérémy Robine, géographe
- Les défis des intercommunalités pour réussir la politique de la ville
- « La politique de la ville devrait servir à interroger les institutions » – Thomas Kirszbaum, sociologue
- Les élus locaux s’engagent en faveur des banlieues
- François Lamy réoriente les ministères vers la politique de la Ville
- La DDU remplacée par une dotation politique de la ville en 2015
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Plaine Commune, avec les intercos d’Amiens Evry, de Lille, d’Arras, de Mulhouse, de Dijon, d’Auch, de Nîmes, de Toulouse et de Rennes, et la ville de Fort-de-France sont les douze sites-pilotes de la réforme. Retour au texte
Note 02 suite à un carroyage découpant la France en parcelles de 200x200 mètres, seront prioritaires les territoires urbains comme ruraux de plus de 1 000 habitants où la moitié de la population perçoit moins de 60% du revenu fiscal médian, soit moins de 11 000 euros. Ce résultat devrait néanmoins être pondéré (pour environ un tiers) par le revenu médian des habitants de l’unité urbaine Retour au texte