Vous parlez de questions non ou mal réglées dans le cadre du statut de la fonction publique. Pouvez-vous nous préciser lesquelles ?
Des questions nouvelles se posent à la fonction publique, y compris sur ses grilles de rémunération. La crise économique est passée par là. Les salaires sont gelés depuis 2010. Il faut en tenir compte. Plus profondément, la politique conduite entre 2008 et 2012 en matière indemnitaire a bloqué les salaires. Les réformes indemnitaires et catégorielles ont été multipliées. C’est une très bonne chose, mais aussi un écueil.
Le Conseil commun de la fonction publique devrait selon vous tenir un rôle davantage stratégique et prospectif et mieux recueillir l’avis des employeurs publics. Comment améliorer son fonctionnement ?
Il faut bien évidemment mieux associer les employeurs territoriaux et hospitaliers à l’élaboration des politiques. Il est nécessaire aussi que les élus adoptent des positions plus cohérentes, entre le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale et le Comité des finances locales. Il est nécessaire que ces élus participent aux négociations et se concertent en amont des instances consultatives. Ensuite, c’est le gouvernement qui tranche.
Actuellement, au Conseil commun, on s’occupe plus des textes que de débats et d’anticipation. Il est important que les représentants du personnel puissent donner un avis synthétique, mais on est tombé dans la caricature. On se croirait au Parlement, avec des batailles d’amendements sur les projets de décrets ou de loi. Je n’ai par ailleurs pas le sentiment que les personnels territoriaux et leurs représentants aient été très associés au débat sur la décentralisation. C’est d’abord une affaire d’élus.
La proposition la plus novatrice de votre rapport sur la fonction publique est la création de cadres professionnels communs à deux ou trois fonctions publiques. Comment pourraient-ils être mis en œuvre ?
La fonction publique territoriale est une fonction publique professionnelle. C’est l’objet de son statut, la loi du 26 janvier 1984. Un agent territorial n’est pas l’agent électoral de tel maire. L’objectif est globalement atteint.
A l’époque, le statut ressemblait à un mariage inégal. C’est dépassé. Il y a des conservateurs du patrimoine de l’Etat et territoriaux, aux contextes professionnels, exigences et chartes similaires. Pourquoi la structure de carrière ne serait–elle pas la même, avec des parcours plus aisés, par mutation directe, et des formations communes ?
Est-ce une étape vers une fonction publique unique ?
Non. Il ne s’agit pas de mettre tous les métiers sur le même plan. Même si des professions sont communes, il y a des fonctions. La territoriale n’emploie pas de magistrats ou de militaires. Les policiers municipaux n’exercent pas le même métier que la police nationale.
Vous préconisez aussi des statuts d’emploi communs « trans-fonctions publiques » avec détachement sur trois ans. Est-ce une version améliorée des contrats ?
Dans certaines filières, des spécialités – acheteur, informaticien – apparaissent. Ces fonctions transversales pourraient se voir reconnaître un statut où des personnes seraient détachées. Ce serait reconnaitre dans la fonction publique de carrière des espaces de spécialité.
L’encadrement des recrutements de catégorie C que vous suggérez, sur le modèle de ce qui se fait pour l’Etat, ne fait pas l’unanimité chez les employeurs. Comment comptez-vous les convaincre ?
On ne peut se satisfaire de recrutements pour l’essentiel sans concours, en direct à l’échelle 3 en catégorie C, ou sous contrats. La fonction publique a besoin de confiance, d’impartialité et de professionnalisme. Dans une entreprise qui recrute, il y a des entretiens et plusieurs regards. Il ne s’agit pas de généraliser les concours, mais de suivre des procédures objectives assurant une traçabilité. C’est dans l’intérêt des élus.
Pour favoriser la mobilité, vous instaurez deux paliers de recrutements avec aller-retour possible avec le secteur privé. N’est-ce pas contraire au statut ?
Ce serait des aller simple principalement, car je suis très attaché à une fonction publique de carrière. Les fondamentaux sont bons. Mais la société a changé. On peut avoir une expérience privée, exercer un métier technique et vouloir passer dans le secteur public. Si l’on ne peut recruter qu’en bas de grille, comme si ces personnes n’avaient pas d’expérience, c’est dissuasif.
Leur proposer un contrat n’est pas la solution. Il faut que la carrière puisse être moins linéaire, que le statut permette des recrutements en cours de carrière, pas forcément sur diplôme. Pour l’ensemble, il n’est pas anormal de tenir compte du diplôme. Mais ce ne doit pas être le critère majeur. C’est la nature des fonctions qui doit primer.
Vous proposez de supprimer les catégories A, B et C pour les remplacer par cinq à six niveaux de fonctions. Comment cela peut-il favoriser les mobilités ?
Nous avons besoin d’un cadre de classement. Mais trois catégories, cela ne correspond plus aux besoins de l’administration. On voit apparaître des sous catégories, A +, B -, C+. J’ai dès lors essayé de rebâtir quelque chose qui parte des besoins des fonctionnaires et des exigences professionnelles. Mais dans un système aussi développé que le statut de la fonction publique, cela ne se fera pas d’un coup de baguette magique.
Vos propositions ne sont pas chiffrées. Comment, dans un contexte contraint financièrement, les concrétiser ?
C’est au gouvernement de faire un chiffrage et de définir un calendrier en fonction de l’état des finances publiques. Une politique de ressources humaines a nécessairement un coût. Le blocage des salaires ne peut en tenir lieu. Marylise Lebranchu reviendra prochainement sur ces propositions pour définir l’Agenda social. Elle a aussi dit que pour réformer, il faut du temps.
Comment le rapport sur la fonction publique que vous avez présenté s’inscrit-il par rapport à celui du Conseil d’Etat, en 2003 sur les perspectives pour la fonction publique, piloté par Marcel Pochard, et au Livre blanc sur la fonction publique de Jean-Ludovic Silicani en 2008, qui dit se reconnaître dans vos propositions ?
J’ai pris connaissance des rapports de mes collègues. Mes préconisations s’inscrivent sur certains points dans leur continuité. Sur d’autres, elles s’en démarquent. Le rapport de 2003 n’est en aucun cas un rejet du système de fonction publique français. Mais il fait un constat auquel j’adhère totalement : il y a trop de corps dans la fonction publique de l’Etat et le système de gestion est beaucoup trop centralisé et trop administratif. En ce qui concerne Jean-Ludovic Silicani, s’il se retrouve dans mes propositions, je m’en réjouis.
Réactions
« Un point positif, le rapport Pêcheur réaffirme les notions de statut et de carrière »
Johann Laurency, secrétaire fédéral FO services publics et de santé
« Nous notons un point positif dans le rapport Pêcheur : il réaffirme les notions de statut et de carrière. Mais nous avons quelques inquiétudes sur les questions de mobilité. Elle fonctionne en général de l’Etat vers la territoriale, mais pas dans l’autre sens. Il faudrait plus d’incitation.
A propos des cadres communs et statuts d’emplois trans fonctions publiques, on ne sait pas ce qu’il y a derrière. Si ce dispositif est favorable aux agents, nous réagirons avec pragmatisme et nous le dirons. Pour l’instant, ce rapport contient beaucoup de choses dont on ne connaît pas la teneur.
Un point nous pose problème, c’est le fait d’axer les recrutements sur les qualifications plus que sur les diplômes. Nous craignons une remise en cause des concours. Quand il propose de mieux encadrer les recrutements directs à l’échelle 3 des agents de catégorie C et des contractuels, on ne sait pas quelle forme cela peut prendre. Nous attendons de voir comment le gouvernement va traduire ces propositions et sous quelle forme, dans le cadre d’un budget très restrictif. On peut avoir de bonnes surprises.
Il est intéressant que Bernard Pêcheur dise que le blocage des salaires ne peut pas tenir lieu de politique salariale. Mais, dans l‘Agenda social, d’après les documents qui nous ont été remis, la question ne devrait pas arriver avant la fin du second semestre. Nous souhaitons aller plus vite. Au lieu de passer plusieurs semaines à discuter de la méthode, nous préférerions négocier plus rapidement ! ».
« Mieux encadrer les recrutements directs en catégorie C, c’est réfléchir à leur transparence »
Didier Bourgoin, secrétaire général du Snu-Clias FSU
« Le rapport Pécheur contient des choses intéressantes sur des pistes à explorer. Mais il faudrait se mettre d’accord sur les termes et le sens des mots. Sur le versant territorial, quand il parle de réforme nécessaire, on y souscrit sur la question des recrutements, celle des reçus collés… Autre question abordée, les rémunérations : nous ne sommes pas opposés à la réorganisation des échelles de la carrière. L’abandon des catégories n’est pas non plus à repousser d’un revers de manche. Mieux encadrer les recrutements directs de catégorie C, qui ne devraient être que dérogatoire, c’est réfléchir à leur transparence. Il pourrait y avoir un droit de regard des services de l’Etat dans le cadre du contrôle de légalité car certains recrutements sont, non pas « clientélistes » mais « orientés ».
Nous sommes très attachés aux recrutements sur concours car ce sont des recrutements par l’excellence. Sur l’intérim, que les pouvoirs publics y prêtent une oreille est inacceptable, alors que les centres de gestion peuvent jouer un rôle.
Sur la proposition de cadres communs à deux ou trois fonctions publiques, au Snuclias-FSU, nous y sommes favorables, comme nous le sommes à une fonction publique avec trois versants. Nous trouverions normal qu’une infirmière, une assistante sociale, un éducateur spécialisé ou même une auxiliaire de puériculture ou un plombier puissent faire des mobilités d’un versant à l’autre. Aujourd’hui c’est si difficile que beaucoup de collègues territoriaux se privent de parcours intéressants. Une vision plus globale est nécessaire, notamment sur la carrière des agents de catégorie C.
D’après les informations transmises récemment par la direction générale de l’administration et de la fonction publique, plus de 50 % des agents C sont à l’échelle 3 dans la territoriale. La majorité reste dans son échelle de recrutement. Et pratiquement aucune auxiliaire de puériculture ou ATSEM ne parvient à l’échelle 6. Or ce sont des professions essentiellement féminines. Le rapport Pêcheur ne fait qu’effleurer le fait qu’il n’y a pas de carrière, pour ces agents, dans la territoriale ».
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