La notion de « zone blanche du haut débit » du début des années 2000 a encore la vie dure. Elle reste l’élément de langage pour se plaindre de l’absence ou de la mauvaise qualité des connexions ADSL. Elle sera sans aucun doute encore un sujet de la campagne pour les élections municipales de 2014.
« Nous sommes interpellés dans les réunions publiques par des habitants qui attendent un minimum de 2Mbits pour une connexion correcte à Internet », confirme Hervé Maurey, sénateur- maire (UDI) de Bernay (Eure) porteur de la proposition de loi visant à assurer l’aménagement numérique du territoire, loi rejetée par l’assemblée nationale.
« En effet, aujourd’hui, avec la croissance spectaculaire des consultations de vidéos sur Internet, les foyers qui sont trop éloignés de leur central téléphonique subissent des déficits de service», ajoute Pierre Bareille, directeur de Nièvre Numérique, syndicat mixte en charge de l’aménagement numérique du département de la Nièvre.
Statistiquement le premier plan de déploiement du haut débit lancé il y a dix ans a quasiment rempli son objectif de couverture totale. Difficile d’échapper au sentiment du verre presque plein quand 99,3% du parc de lignes de téléphone fixe est éligible à une connexion de 512 Kbits à 30 Mbits selon l’observatoire des marchés haut et très haut débit de l’Arcep publié fin juin 2013.
Dans le même temps, les 3,6 millions d’abonnés au haut débit fixe de fin 2003 passait à 22,2 millions dont 1,8 millions de connexions très haut débit supérieures à 30 Mbits en 2013.
Reste que le service minimum attendu par la population est fixé à 2 Mbits, et que le pourcentage de couverture n’est alors plus le même, ainsi que le notait Hervé Maurey dans son rapport au Sénat, en juillet 2011 :
98,3 % des Français ont en effet accès à des services ADSL depuis leur domicile. Toutefois, selon l’ARCEP, ce taux de couverture n’est plus que de 77 % seulement pour les connexions bénéficiant d’un débit supérieur ou égal à 2 Mbit/s. Or, ce seuil de 2 Mbit/s est aujourd’hui considéré comme le seuil minimal d’un service haut débit, ainsi que l’a d’ailleurs reconnu le ministre en charge des communications électroniques, M. Éric Besson, devant votre commission lors de son audition le 20 juin dernier.
Et il poursuivait :
La couverture de 100 % du territoire en haut débit sur laquelle l’opérateur historique communique régulièrement, notamment auprès des élus locaux, s’entend donc d’une couverture multimodale incluant notamment le satellite. Or, l’offre satellitaire constitue un moyen pratique, mais peu satisfaisant, de « boucher les trous » du réseau fixe. Elle ne correspond pas, en effet, aux attentes de nos concitoyens du fait d’une qualité de service moindre et de prix plus élevés. De même, le plan « France numérique 2012 » prévoit un haut débit pour tous en 2012, mais à un seuil peu élevé – 512 kbit/s – et grâce à l’appoint de « technologies palliatives » telles que le satellite.
Neuf départements en queue de programme – Un bémol encore : ces données (1) projetées sur une carte de France par Ortel, l’outil d’analyse du cabinet Tactis, mettent en exergue les neuf départements les moins bien lotis de ce déploiement.
Zones blanches au niveau départemental, en nombre de communes
Zones blanches au niveau départemental, en pourcentage de population
« Ces cartes illustrent les zones blanches de l’ADSL, cela ne signifie pas que les habitants n’ont pas du tout de services haut débit. Par exemple dans la Nièvre, la Manche, en Charentes ou dans la Creuse, des réseaux d’initiative publique ont déployé des services Wimax », explique Stéphane Lelux, gérant du cabinet Tactis, spécialisé dans l’accompagnement des projets numériques des collectivités.
En revanche, la région Auvergne qui, elle, a fait le choix avec ses quatre département, de financer la modernisation des centraux téléphonique du groupe Orange en souscrivant à l’offre NRA-ZO, s’illustre par une couverture ADSL significative.
La même carte, cette fois à l’échelle des communes, révèle la disparité des niveaux de services au sein d’un même département entre centre urbain et village isolés.
Zones blanches au niveau communal en nombre de communes
Zones blanches au niveau communal en pourcentage de population
Les différentes générations de technologies utilisées au cours de ces dix ans (Re ADSL, ADSL2 et maintenant VDSL2) améliorent les débits mais sur des distances de plus en plus réduites autour du central. Les abonnés les plus éloignés restent toujours les plus mal servis.
« Il faut admettre que l’ADSL reste, malgré ses défauts, la référence aux yeux de la population. Même avec une réponse technique alternative disponible rapidement et plus performante comme le Wimax, nous nous sommes heurtés en 2007 au refus d’installer des émetteurs dans certaines communes. Elles préféraient attendre une connexion fixe de 512 kbits plutôt qu’une connexion sans fil de 2Mbits à l’époque. Aujourd’hui, elles auraient même déjà évoluées à 8 Mbit», indique Pierre Bareille, directeur du syndicat mixte Nièvre Numérique.
Pour le Groupe Orange la couverture haut-débit ne se résume pas non plus au réseau cuivre : « Il n’existe plus de zones d’ombre du haut débit en France (2). Plusieurs technologies ont été mobilisées, là où il n’y a pas d’ADSL, il y a aussi la solution de l’internet par satellite », explique Bruno Janet, Directeur Relations avec les Collectivités Locales d’ Orange France.
Une modernisation des multiplexeurs sans concertation – Malgré cette couverture théoriquement complète, de nombreux élus locaux de communes rurales ou péri-urbaines ne manquent pourtant pas de relayer la demande de leurs habitants auprès des directions régionales du groupe Orange. Durant ces dix années, ces élus et les parlementaires ont actionné de nombreux leviers à leur disposition pour faire avancer ce déploiement.
Par exemple, la loi Pintat relative à la fracture numérique, votée en décembre 2009 apportait, elle aussi sa pierre à l’édifice. Son article 32, notamment, soulignait la nécessité de moderniser les gros multiplexeurs dans les communes rurales.
Installés dans les années 70/80 pour apporter le téléphone dans les bourgs isolés, ces multiplexeurs, les « GMUX », empêchaient l’arrivée de l’internet.
« Nous nous sommes engagés à dépenser 60 millions d’euros pour moderniser les multiplexeurs (les GMUX), nous tiendrons nos engagements, mais cela sera plus étalé dans le temps. Le programme sera achevé d’ici fin 2014 », reconnait Bruno Janet. Après un arrêt d’un an malgré une promesse initiale d’achèvement fin 2013, 61000 lignes sur les 88 000 lignes identifiées auront été rendues éligibles, soit 70% et 400 sites concernés. Les 30% restant, les plus petits, restent à réaliser en 2014, soit 380 sites.
« Il reste encore 6 GMUX à neutraliser dans l’Eure, j’appelle régulièrement la directrice régional d’Orange pour suivre l’avancement », explique le sénateur Hervé Maurey.
« Il n’y a aucune une volonté d’aménagement du territoire dans cette modernisation, regrette Michel Lebon, consultant du cabinet éponyme, spécialiste des réseaux numériques, en mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage au conseil général du Lot ». Et de citer l’exemple de Thegra, village pilote de l’opération Connect’ écoles lancée par le Groupe Orange avec l’Association des maires ruraux de France choisi pour raccorder l’école à un service internet par satellite.
«Pousser une école à se connecter par défaut à l’internet par satellite alors que la fibre optique passe sur son territoire pour relier les centraux modernisés des deux communes voisines, cela marque une véritable incohérence des actions. Le raccordement des écoles à la fibre optique est pourtant prioritaire dans le plan France Très Haut Débit », ajoute-t-il.
Le Lot est un territoire en rattrapage qui se situe parmi les 9 départements les moins bien lotis. Il faisait partie des signataires de la charte des départements innovants, opération lancée en 2004 par France Télécom pour contrer les projets de réseaux d’initiative publique (RIP) des collectivités.
La concurrence avec les RIP – Le calendrier de déploiement de cette modernisation a d’abord concerné les RIP engagés sur des services wimax ou, comme dans l’Ain, sur des réseaux FTTH.
« Cette concurrence à un impact dans l’économie déjà fragile des RIP, mais c’est d’une logique implacable, puisque nous avons mis en place ces services pour éradiquer les zones blanches, reconnait Yan Pamboutzouglou, directeur de Dorsal, le syndicat mixte numérique des départements du Limousin. Cependant, nous souhaiterions être informés en amont, afin de pouvoir louer la fibre tirée pour raccorder ces centraux car maintenant, la priorité est de déployer le FTTH ».
Les territoires les plus concernés par ces zones blanches ou grises du haut débit, sont aussi celles qui devront investir des fonds publics pour construire les futurs réseaux FTTH à des échéances plus ou moins lointaines selon les départements, ceci en finançant paradoxalement en parallèle la montée en débit du réseau cuivre pour satisfaire les besoins plus immédiats des quatre prochaines années.
« Dans le cadre du plan France Très Haut Débit, nous équipons en fibre optique jusqu’à l’abonné 57% des foyers français, les autre 43% auront un mix de solutions. Dans ce contexte, la modernisation des GMUX est un sujet marginal. C’est un programme différent de celui que nous menons avec les collectivités au travers des opérations de montée en débit de l’ADSL avec l’offre NRA-MED qui a succédé à NRA-ZO», précise Bruno Janet. Voir hors texte (sur les NRA)
Racheter le réseau cuivre plutôt que l’éteindre – « D’un côté les RIP doivent bâtir un modèle économique sur des réseaux FTTH coûteux et longs à déployer dans un contexte général de réduction des dépenses, de l’autre, ils doivent financer une montée en débit du réseau cuivre sans retour sur investissement. L’enjeu n’est pas technologique mais économique. Plutôt que de chercher à éteindre le réseau cuivre dans ces territoires pour favoriser un réseau en fibre optique, pourquoi ne pas réunir les deux modèles ?, suggère Stéphane Lelux. Pour y parvenir, il faudrait permettre aux réseaux d’initiative publique de racheter les réseaux cuivre de leurs territoires ».
Une suggestion qu’il compte présenter à la « La mission Cuivre vers fibre optique » dite « mission Champsaur », qui rendra ses travaux sur la transition du cuivre vers les réseaux fibre optique fin 2014.
Références
Le « L1425-1 » bientôt dix ans
L’autorisation d’intervention des collectivités dans l’établissement de réseaux de communication électronique a été obtenue après une véritable guerre de tranchée.
Elle fêtera donc fort à propos en août 2014 son dixième anniversaire.
L'article L1425-1 du CGCT a joué un rôle d’accélérateur du déploiement par les réseaux d’initiative publique, régulièrement salués par l’Arcep.
Cet article fait partie du Dossier
Le très haut-débit prend son temps pour arriver
Sommaire du dossier
- France stratégie confirme le succès du plan France très haut débit
- Menaces sur l’économie des réseaux d’initiative publique
- Aménagement numérique : les chantiers qui coincent
- Fibre optique : après le temps des déploiements, la vie des réseaux
- Fibre : « Ce n’est pas acceptable d’avoir de tels défauts de qualité et de pratiques des opérateurs »
- Fibre optique : contre l’anarchie des raccordements, enfin des solutions ?
- [Data] Un déploiement de la fibre à petits pas
- En cartes et en graphiques : comment avance la couverture mobile en 4G en France ? (1/2)
- En cartes et en graphiques : comment avance la couverture mobile en 4G en France ? (2/2)
- Soigner la supervision et la maintenance de son réseau fibre, la clé d’une longue vie
- Télécoms : quel avenir pour les réseaux de première génération ?
- Communications électroniques : le cadre juridique du déploiement des réseaux à très haut débit
- Tadurézo, Tu captes, kiCapte… Les collectivités locales développent leurs applis pour tester les réseaux mobiles
- Les ratés de la sous-traitance pour le raccordement de la fibre
- « Le gouvernement a une vision financière et non politique du THD »
- La Vendée mise sur le THD radio
- Numérique : le new deal proposé par l’Etat aux collectivités et aux opérateurs
- Quel modèle économique pour le méga-contrat de Mégalis pour fibrer la Bretagne
- En attendant la fibre, le très haut-débit radio s’invite dans 30 000 foyers
- Avec Datamobile, les pylônes poussent en zone rurale et la 4 G devient une réalité
- Dans le Gers, le pari gagné d’un bon débit partout et pour tous
- Très haut-débit : les bons comptes du réseau d’initiative publique du Grand-Est
- Le wifi public séduit les territoires ruraux
- Le très haut-débit radio à la rescousse des habitations et entreprises isolées
- Internet par les réseaux radio en attendant la fibre optique ?
- Très haut-débit : le RIP alsacien est financé à 64% par le privé
- Zones blanches : ces territoires encore éloignés du « vrai » haut débit fixe
- En Eure-et-Loir, le Lab28 veut optimiser l’utilisation de la fibre optique
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Avertissement, les régions, départements et communes des territoires ultra-marins français n'ont pas pu être analysés car les données fournies par les opérateurs n'étaient pas assez fiables et homogènes pour permettre une comparaison rigoureuse. Retour au texte
Note 02 Plutôt que zones blanches, le Groupe Orange emploie le terme zones d’ombre Retour au texte