Martin Guespereau, directeur général de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée et Corse, relativise l’impact du prélèvement de 210 millions qu’effectuera l’Etat en 2014 sur la trésorerie des six agences de l’eau. Dans le même temps, le haut fonctionnaire souligne le « hiatus » entre des besoins de financement « colossaux » et des investissements « en berne ». La dépense dans l’eau et l’assainissement est pourtant « rentable pour l’environnement, l’activité économique et l’emploi », plaide le directeur de l’établissement public, qui couvre un quart de l’Hexagone. Les six agences ont initialement prévu 13,3 milliards d'euros d’interventions sur leurs Xème programmes (2013-2018), correspondant à 60 000 emplois directs permanents.
Ma Gazette
Sélectionnez vos thèmes et créez votre newsletter personnalisée
Dans quelle mesure la ponction de l’Etat sur la trésorerie des agences de l’eau va-t-elle affecter leur action ?
Les six agences de l’eau (1) ne vont pas modifier leurs projets mais rééchelonner leurs interventions sur la durée des Xèmes programmes (2013-18), afin de lisser l’impact de la loi de finances pour 2014 qui prévoit (art. 32) un prélèvement sur leur trésorerie pour alimenter le budget de l’Etat et concourir au redressement des comptes publics.
La ponction de 210 millions d’euros l’an prochain représentera 1,5 % des 13,3 milliards d’euros d’interventions projetés par les six agences pour six ans. Les programmes sont classiquement révisés à mi-parcours ; ce réexamen interviendra en 2015, année d’entrée en vigueur des six nouveaux Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage). Au départ, les 13,3 milliards arrêtés par les agences pour les Xèmes programmes correspondent à 60 000 emplois directs permanents – dont 14 000 pour Rhône-Méditerranée et Corse (RMC), qui a programmé 3,65 milliards d’interventions entre 2013 et 2018.
Ne craignez-vous pas que ce « hold-up », pour reprendre le terme de l’organisation professionnelle Canalisateurs de France, devienne un rituel annuel ?
Les professionnels de l’eau et les collectivités locales ont unanimement condamné cette ponction de l’Etat, qui obère la capacité des gestionnaires de services à faire face à leurs obligations réglementaires. Le principe reste celui d’un cas exceptionnel.
Si Canalisateurs de France monte au créneau, c’est parce que ses membres comptent sur le chantier du renouvellement des conduites. L’appui des agences est-il compromis du fait de moyens rognés ?
Non, c’est une priorité. Sur RMC, l’aide au renouvellement des réseaux est maintenue malgré le rabotage budgétaire. Nous serons clairement en capacité de répondre à la demande. Les réseaux d’eaux potable et usées fonctionnent correctement 60 ans ; or leur durée de renouvellement est de l’ordre de 150 ans et il n’est pas rare que le niveau de fuite atteigne 50 %. Les élus sont volontaires, ils ont amplement répondu à l’appel à projet sur les économies d’eau organisé en 2012 sur RMC. Au 1er janvier prochain, les redevances seront modulées (entre 1 et 2) sur notre bassin selon que le réseau est performant, en voie de le devenir ou non.
L’assainissement a déjà fait l’objet de dépenses massives. Est-il dès lors envisageable de redéployer l’effort financier sur la rénovation des réseaux ?
Les besoins en investissements sont colossaux et cette tendance s’accentue. Si les stations d’épuration (Step) de grande capacité (plus de 15 000 équivalents-habitant) sont aujourd’hui aux normes, celles de moyenne capacité (entre 2 000 et 10 000 Eq.-hab.) restent un domaine d’investissement très lourd pour les prochaines années.
Dans le monde rural en particulier, 90 % des stations de plus de quarante ans traitent les effluents de moins de 1 000 Eq-hab. Ce parc, conçu au cours des Trente Glorieuses par les services de l’Etat, est aujourd’hui hors d’âge et les élus ruraux font face à un mur de l’investissement.
Autre sujet devenu prioritaire : les débordements des stations par temps de pluie, à la suite des condamnations par la Cour de justice européenne, en octobre 2012, des villes de Londres et de Whitburn (nord de l’Angleterre) pour cause de fréquents débordements (plus de vingt fois par an) des réseaux et des usines d’épuration en cas de fortes pluies.
Un sujet auquel la France ne s’était pas sérieusement préparée. En 2013, l’agence RMC a lancé sa politique pluviale avec pour coup d’envoi le lancement, en avril, d’un appel à projets sur la réduction de la pollution pluviale, doté de 10 millions d’euros. Cinquante lauréats seront désignés en fin d’année. Nous nous sommes donné la capacité de financer les 200 Step les plus concernées d’ici 2018.
Les collectivités pourront-elles simultanément mener plusieurs chantiers ?
Elles sont soumises à un effet de ciseau, à ce hiatus entre des investissements en berne et des ambitions tirant toujours vers le haut. Leurs services sont confrontés à une baisse de ressources, du fait du recul des consommations qui réduit d’autant les recettes. En outre, les aides des départements et des régions diminuent et sont devenues, au plan national, inférieures aux soutiens des agences de l’eau en 2011, selon le ministère de l’Ecologie. Sur notre bassin, elles ont chuté d’un tiers en six ans.
Par ailleurs, les Xèmes programmes voient les agences effectuer un virage sur l’aile, avec un renforcement des soutiens à la qualité de la ressource, aux milieux aquatiques et à la biodiversité, au détriment de ceux alloués à l’eau potable et à l’assainissement.
La tendance est donc dépressionnaire du côté des moyens financiers classiques. Le besoin d’investissement sur les Step vieillissantes de Rhône-Méditerranée et Corse est estimé à 530 millions sur le Xème programme (2013-2018). Or, on estime qu’un tiers seulement de ce montant sera engagé sur cette période. C’est un rythme lent pour les milieux naturels et une perte d’opportunités pour l’économie locale.
Au plan national, l’investissement sur les réseaux d’eaux en fin de vie stagne à 3,9 milliards d’euros par an depuis 2005. Un effort supplémentaire de 1,5 milliard d’euros par an permettrait de rattraper le retard et créerait 15 000 emplois locaux permanents. Le sous-investissement est aujourd’hui synonyme d’une importante perte d’emplois.
Comment donner force à ce discours, à l’heure où prime l’austérité ?
Libérer la croissance n’est pas qu’une question d’argent mais aussi d’organisation. La Conférence environnementale a mis le doigt sur la pléthore de services publics locaux d’eau et d’assainissement : la France en compte quelque 35 000, un record en Europe qui est aussi un handicap.
En Grande-Bretagne, les services sont 100 fois plus importants que les nôtres (en nombre d’habitants desservis). L’abondance d’acteurs locaux est dommageable au montage des projets. Sur RMC, seul un service public local sur deux connaît ses pratiques de renouvellement des réseaux et un sur trois les planifie sur plusieurs années, selon une enquête menée par l’agence en 2011. Or, nous avons besoin de pouvoir traiter avec des structures dotées de solides compétences techniques, juridiques et financières.
Le rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable, qu’Anne-Marie Levraut a remis au gouvernement en septembre, propose que les préfets, forts de l’expérience des schémas de coopération intercommunale, pilotent les regroupements de services d’eau et d’assainissement. Une évolution qui devrait trouver place dans l’acte III de la décentralisation – plus précisément dans son troisième volet, que le Parlement doit examiner au printemps prochain. Simplifier la carte des services améliorera leur gestion.
Même rationalisés, les services resteront en quête de financements…
Début 2013, le président de la République a engagé la Caisse des dépôts et consignations à mobiliser une partie des montants placés sur les livrets A en faveur de la gestion de l’eau. En régime de croisière, ce sont 800 millions d’euros par an que la CDC prévoit de prêter par ce biais. Il y a intérêt à décomprimer l’investissement dans ce secteur, qui pesait 12,7 milliards pour l’assainissement et 12,9 pour l’eau potable en 2011 – ce qui montre son poids économique.
Rappelons aussi que le patrimoine lié à la gestion de l’eau est évalué à 85 milliards d’euros sur Rhône-Méditerranée et Corse (un quart du territoire métropolitain), ce qui est gigantesque.
Mais en période crise, l’environnement n’est-il pas classiquement relégué au second plan ?
Sauf que l’on n’est pas là dans le cas où l’environnement coûte ! Il y a, à l’inverse, un gisement d’activité lié à des investissements rentables, bénéfiques à la fois à l’environnement et à l’économie. C’est ainsi le cas de la protection des captages, dont on sait qu’elle allège sensiblement le coût de la production d’eau potable. Quelque 500 millions d’euros sont gaspillés chaque année dans le traitement des nitrates et des pesticides alors qu’on sait que préserver les captages des pollutions d’origine agricole coûte deux à trois fois moins cher que dépolluer l’eau brute.
Autre exemple d’investissement profitable : les économies d’eau, dans les réseaux publics comme dans l’activité agricole. En Languedoc-Roussillon, où des rivières sont à sec l’été, où la démographie explose et où l’impact du changement climatique sera particulièrement marqué, la disponibilité de l’eau sera un facteur limitant du développement économique. Investir dans la sobriété en eau y est hyper-rentable. Pourtant, on continue à puiser l’été dans le milieu naturel une eau qui se raréfie, au lieu de recycler les eaux traitées issues des Step, qui tournent à plein lors du pic touristique et pourraient au moins alimenter les golfs.
La période entourant le scrutin municipal de mars 2014 ne risque-t-elle pas de voir nombre de projets gelés ?
Nous savons que l’année à venir sera marquée par un certain immobilisme. Mais le monde de l’eau bouge. La réponse aux appels à projet est très vive. Que ce soit sur le traitement des eaux de pluie en 2013 ou sur les économies d’eau en 2012, les appels à projet de RMC sont systématiquement sur-souscrits. Par ailleurs, il y a un réel intérêt pour la forme juridique de la Société publique locale, dont s’emparent les collectivités, notamment quand elles créent des régies. Enfin, un « contrat de filière eau » a été engagé, mi-octobre, par les ministères de l’Ecologie et du Redressement productif. Celui-ci est axé sur l’innovation et sa diffusion, mais il conviendrait de ne pas négliger le rustique : il est impératif de renouveler les réseaux.
Actuellement l’approvisionnement en eau dans le monde entier est à 80% sous régie public. A l’opposé d’autres pays européens la quasi-totalité de la gestion du service d’eau est confiée au privé en France. Même aux USA seulement 20% de l’eau est géré par le privé alors que c’est un pays connu pour sa politique ultra-libérale ! Il faut aussi savoir que l’eau est le 3em secteur le plus corrompu après l’armement et le BTP … Alors que c’est une ressource vitale pour l’humanité. Que font nos gouvernants pour moraliser tout cela, où trempent-ils aussi dans cette corruption, ceci expliquerai cela ?
plus d’infos pour un retour en régie de l’eau sur http://www.activeau.fr/retour-regie-eau