Le contentieux des plans locaux d’urbanisme (PLU), devenu aujourd’hui une véritable pratique nationale, à même de refroidir tout élu local, connaît actuellement un regain non négligeable. Cela ne manquera pas de ravir les requérants potentiels, à l’affût de toute opportunité pour dénoncer, qui le « mauvais classement » de leurs parcelles, ou qui les agissements prétendument odieux de l’équipe municipale en place, et dont la censure serait à même de ternir à tout jamais le mandat.
Qu’on se le dise, la chasse aux PLU est rouverte, de par l’évocation d’un nouveau moyen apparemment « imparable », éclipsant les vieux classiques qu’étaient traditionnellement l’insuffisance de motivation des conclusions du commissaire enquêteur, les modifications apportées au projet après enquête publique, la présence de conseillers fonciers intéressés ou l’incomplétude de la note de synthèse.
Place désormais au caractère trop général des objectifs de révision des documents d’urbanisme, nouvelle arme à la disposition de qui veut faire tomber un PLU, et ce en ne recourant qu’à la seule et simple délibération amont, qui lance la procédure d’élaboration du plan, et en évitant de la sorte toute analyse fastidieuse de l’ensemble des pièces de ce dernier.
Lorsque l’on voit avec quel zèle les juridictions administratives dans leur majorité, et au mépris de l’intérêt urbanistique local, voire de la plus simple logique, se sont transformées en véritables « gardiennes du temple », faisant preuve de la plus rigoureuse orthodoxie, on peut redouter que cette véritable « lame de fond » ne contraigne les élus locaux à l’immobilisme total.
Pragmatisme du Conseil d’Etat
Le conseil municipal délibère sur les objectifs poursuivis et sur les modalités d’une concertation associant, pendant toute la durée de l’élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées dont les représentants de la profession agricole, avant « […] toute élaboration ou révision […] du plan local d’urbanisme […] » (C. urb. art. L.300-2). Là est le principal objet de la délibération amont, lançant la procédure d’élaboration du document local d’urbanisme. Elle constitue le premier stade d’un véritable marathon procédural qui peut durer plusieurs années, au cours duquel le projet de PLU se construira progressivement, jusqu’à être affiné après enquête publique, le cas échéant, préalablement à son approbation. C’est dire à quelle étape se rapporte la définition des objectifs poursuivis, et ce, alors que les élus ne peuvent avoir raisonnablement en tête un projet d’ores et déjà ficelé, sauf à méconnaître le principe d’une concertation préalable tout au long de l’élaboration de ce dernier, sans parler même de la discussion sur le projet d’aménagement et de développement durable (PADD).
Il ne peut donc s’agir en l’espèce que d’objectifs généraux, qui tiendront bien souvent dans la nécessité de s’inscrire urbanistiquement dans la mouvance de textes législatifs nouveaux, et d’ampleur, comme l’entrée en vigueur de la loi SRU instaurant les PLU, et du « Grenelle 2 »…
Cette approche pragmatique a été celle du Conseil d’Etat qui, dans son arrêt de principe « commune de Saint-Lunaire » (1), a précisé « que la délibération du conseil municipal doit porter, d’une part, et au moins dans leurs grandes lignes, sur les objectifs poursuivis par la commune en projetant d’élaborer ou de réviser un document d’urbanisme […] ».
Ce volet de la délibération amont, tout comme celui relatif à la détermination des modalités de la concertation, constituent « une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d’illégalité le document d’urbanisme approuvé… ».
Sur ce fondement, la Haute juridiction administrative a, en toute logique, annulé le PLU de la commune de Saint-Lunaire, au motif que les objectifs contenus dans la délibération amont, à savoir la « caducité » du POS par rapport aux exigences actuelles de l’aménagement, la nécessité d’une réorientation de l’urbanisme de la collectivité en passant par la forme du PLU, ne répondaient pas à cette exigence.
Ainsi étaient censurés des objectifs « bateaux », sans réelle consistance et de l’ordre de la pure banalité. Mais cette nouvelle brèche ouverte dans l’examen de la légalité des PLU, facilitée par l’application rétroactive de cette jurisprudence aux plans alors en cours d’adoption, va provoquer une fragilisation juridique généralisée de ces derniers, grâce, il faut bien le dire, à une approche extrêmement rigoriste, pratiquée par la grande majorité des juridictions administratives.
Une dérive jurisprudentielle
La jurisprudence de la cour administrative d’appel de Lyon est particulièrement symptomatique de ce véritable dévoiement, en rajoutant au principe posé par le Conseil d’Etat la censure de « mentions excessivement générales et dépourvues de réelle consistance », dont l’appréciation sévère est sujette à caution. L’analyse de ses décisions ne laisse pas le moindre doute quant à cette dérive manifeste.
[…] La délibération du 26 janvier 2004 prescrivant la révision du plan d’occupation des sols de la commune de Biviers se borne à indiquer que cette révision du document d’urbanisme, approuvé le 15 mars 1994, permettra de lancer une réflexion sur l’organisation de la commune et les équipements publics, d’adapter les règlements en fonction des nouvelles législations autorisant un fonctionnement optimal des procédures d’autorisation du droit des sols ; que ni cette mention, ni les attestations produites de cinq conseillers municipaux indiquant que des objectifs plus précis auraient été évoqués en séance, ne permettent d’établir que le conseil municipal aurait délibéré, au moins dans leurs grandes lignes, sur les objectifs poursuivis par la révision de ce document d’urbanisme » […] (2).
Cette approche rigoriste n’est pas l’apanage du seul juge d’entre Rhône et Saône, le juge administratif d’appel de Versailles s’inscrivant pleinement dans une telle mouvance (3).
Dès lors, si la prise en compte du schéma directeur local, celle du programme local de l’habitat (PLH) ou du plan de déplacements urbains (PDU), si le lancement d’une réflexion sur l’organisation de la commune et les équipements publics, si la cohérence des activités d’aménagement et la mise en valeur de principes fondamentaux, tel que la mixité sociale et urbaine, si la mise en œuvre d’une politique du logement et la valorisation du patrimoine bâti, végétal, paysager ou écologique ne suffisent pas à trouver grâce aux yeux du juge, que peut bien revêtir la notion initiale d’« objectifs », de surcroît « dans leurs grandes lignes » ?
Faut-il, pour satisfaire à l’avenir l’examen de la juridiction administrative saisie sur ce point, prendre la procédure d’élaboration du PLU à l’envers, au prix d’une irrégularité manifeste, en disposant, dès le stade de la procédure amont, d’un projet clé en mains, que l’on n’aurait plus qu’à retranscrire de manière synthétique ?
Disparités juridictionnelles
Le salut viendra-t-il de l’Ouest ? La résistance, à tout le moins pragmatique et salutaire, et soucieuse des deniers publics, dont fait preuve le juge administratif d’appel de Nantes suffira-t-elle à influer sur le cours des choses ? C’est ce qu’il faut souhaiter en tout cas, à l’aune de certaines de ces décisions, et notamment celle de la cour administrative d’appel de Nantes dans un arrêt du 14 octobre 2011 (4) ou encore du 23 mars 2012 « syndicat des propriétaires de Keremma ».
« […] La délibération du même jour prescrivant la révision du plan local d’urbanisme de la commune indique, qu’après avoir entendu l’exposé de l’adjoint chargé de l’urbanisme et en avoir délibéré, le conseil municipal a décidé de prescrire la révision du plan local d’urbanisme sur l’ensemble du territoire communal d’une part, afin de le mettre en conformité avec la loi « solidarité et renouvellement urbain » et la loi littoral et d’autre part, en raison du manque de terrains constructibles, notamment autour du bourg ; que le conseil municipal a ainsi délibéré sur les grandes lignes des objectifs poursuivis par la révision du plan local d’urbanisme conformément aux dispositions de l’article L.300-2 […] » (5).
Il conviendrait, dès lors, que le Conseil d’Etat, mais aussi les pouvoirs publics, s’emparent de cette problématique devenue récurrente et, en ces temps de « Grenellisation » des documents d’urbanisme, définissent les objectifs d’une telle démarche dans le cadre des révisions afférentes… Or, à suivre le courant jurisprudentiel « intégriste », ni la mise en compatibilité avec le schéma de cohérence territoriale (Scot), ni la lutte contre l’étalement urbain, ni la recherche d’économies d’énergie ou de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, ni l’instauration de continuités écologiques et de trames vertes et bleues ne sauraient, à elles seules, suffire… Va-t-on, de surcroît, vider le volet urbanistique du « Grenelle 2 » de toute son ampleur et de sa portée ?
Références
Thèmes abordés
Notes
Note 01 CE 10 févr. 2010, Cne Saint-Lunaire, req. n° 327149. Retour au texte
Note 02 CAA Lyon 12 avr. 2011, Cne Biviers, req. n° 10LY02745 ; CAA Lyon 11 oct. 2011, SCI Saint-Jean, req. n° 10LY01605 ; CAA Lyon 29 nov. 2011, Cne Seyssuel, req. n° 10LY01907 ; CAA Lyon 7 févr. 2012, Crts F-B, req. n° 11LY00567. Retour au texte
Note 03 CAA Versailles 13 mars 2012, req. n° 11VE01840. Retour au texte
Note 04 CAA Nantes 14 oct. 2011, req. n° 10NT00085. Retour au texte
Note 05 CAA Nantes 23 mars 2012, Synd. propriétaires Keremma, n° 10NT01519. Retour au texte