Jeudi 17 octobre 2013, au lendemain des annonces gouvernementales sur un « pacte d’avenir pour la Bretagne », la crise de l’industrie agro-alimentaire a trouvé un écho, lors de l’ouverture des débats de la session d’automne du conseil régional de Bretagne.
Dans un communiqué, Pierrick Massiot (PS), président de l’assemblée, avait déjà fait savoir que « la région demande un moratoire (sur l’écotaxe, NDLR) et proposera des modifications prenant en compte les spécificités économiques de la Bretagne ». Si le successeur à ce poste de Jean-Yves Le Drian s’est dit rassuré « sur la volonté du gouvernement et sa prise de conscience de la réalité de la situation bretonne », il propose néanmoins la création d’un « groupe de travail politique, émanation de toutes les composantes du conseil régional de Bretagne en charge de l’observation de ce « Pacte » et qui sera force de propositions ». Il a aussi rappelé que, parmi les mesures de ce pacte, c’est bien la collectivité régionale qui apportera la moitié du financement pour l’achèvement de la RN164 en deux fois deux voies, soit un peu plus de 100 000 euros dans le cadre du contrat de plan Etat-région.
« La confusion règne » – En ce qui concerne l’application de l’écotaxe, Pierrick Massiot demande que l’Etat fasse les comptes : « Le produit national de l’écotaxe est estimé à environ 1 milliards d’euros sur lesquels, grâce aux exonérations et allègements conquis de haute lutte par les parlementaires bretons au printemps dernier, la Bretagne devrait apporter 40 à 50 millions euros, soit de l’ordre de 5 %, niveau habituel de la Bretagne dans le PIB national. » Mais alors que d’importantes entreprises agro-alimentaires « affirment qu’elles acquitteront à elles seules plus de 10 % du total estimé pour la Bretagne », que l’association Produit en Bretagne fait « sonner le tocsin » dans les entreprises, que la grande distribution proteste contre l’écotaxe en fermant ses magasins, une heure durant mercredi matin, « la confusion règne ». « En accord avec les ministres et le préfet de région, un observatoire de l’écotaxe en Bretagne va être mis en place immédiatement, annonce Pierrick Massiot. Il devra estimer le poids réel de cette taxation. (…) Le communiqué de Matignon sur l’écotaxe n’est pas assez précis. Il acte la nécessité d’une étude des impacts de cette écotaxe sur les entreprises de Bretagne. Nous considérons que cette clarification et les éventuelles modifications qui peuvent être nécessaires pour rendre cette écotaxe équitable doivent précéder sa mise en application. »
« Enième concertation sur l’écotaxe »
Au nom de l’opposition, Bernadette Malgorn a moqué la placidité de Pierrick Massiot. « L’extrême urgence de la situation exigeait de modifier l’ordre du jour de cette session d’automne pour concentrer notre travail sur l’avenir de l’économie bretonne, » a tonné l’ancienne préfète de région en réclamant une session extraordinaire à laquelle serait invité le Premier Ministre.
Au sujet du pacte gouvernemental, Bernadette Malgorn déclarait : « 15 millions d’euros sont prévus pour venir en aide aux entreprises agroalimentaires. 15 millions d’euros cela peut sembler important aux yeux des contribuables mais c’est à peu près le montant d’une seule année du modeste budget agricole de notre collectivité. Pour le reste, nous ne voyons que recyclage des fonds destinés aux investissements d’avenir. Certes, nous sommes rassurés sur la poursuite de la mise à deux fois deux voies de la RN 164. Mais pas un mot, dans le propos du Premier Ministre sur la LGV jusqu’à Brest et Quimper et on nous renvoie à une énième concertation sur l’écotaxe. » La nomination de Gilles Ricono « bras droit de notre ancien président » interpelle Mme Malgorn : « Monsieur Le Drian pourra-t-il ainsi mieux gérer la Région depuis Paris ? Obtiendrons-nous plus facilement du cabinet du Premier Ministre des infrastructures bretonnes que le cabinet des transports et de l’écologie n’avait pas accordées ? »
Finalement, tous les groupes politiques, élus écologistes inclus, ont réclamé un report de l’application de l’écotaxe en Bretagne. « Un moratoire ? Chiche, si est engagée la mutation de l’économie agricole bretonne, » a lancé Guy Hascoët (EELV).
« Une crise annoncée, aux causes connues »
Pour Pierrick Massiot, « la Bretagne agroalimentaire traverse une crise gravissime dont les causes sont multiples : contexte international, taux de change, concurrence déloyale, oui ! Mais aussi parfois gestion défaillante, anticipation absente, modernisation insuffisante… » Herri Gourmelen (UDB) ajoute qu’ « il s’agit d’une crise annoncée, aux causes connues, parfaitement analysées (…). Le document de présentation du débat Bretagne 2030 que nous avons voté en juin 2012 disait d’ailleurs : Le modèle de développement de la Bretagne, parvenu au bout d’un cycle, donne des signes d’essoufflement et doit être revisité. »
Le plus explicite à l’encontre de l’industrie agro-alimentaire fut sans doute Richard Ferrand (PS), dénonçant que Doux investisse « en pure perte » au Brésil des profits réalisés en Bretagne, Marine Harvest « ce groupe scandinave, qui promet à la bourse d’Oslo de gagner 500 millions d’euros » et « veut se débarrasser d’une usine pour fabriquer du saumon premier prix en Pologne avec des travailleurs premiers prix, c’est-à-dire exploités et mal payés », et les abattoirs qui « se fracassent par l’incurie de ses dirigeants et l’absence totale de solidarité des filières ».
« Echec de la pédagogie »
« Les grands groupements préfèrent se dire quasiment solidaires de ceux qu’ils licencient pour que ce soit l’État et l’argent public qui se substituent à leurs défaillances, poursuit Richard Ferrand, sous les encouragements. Pendant ce temps, ils embauchent à Josselin 160 travailleurs de l’Est avec l’aide d’un bureau allemand de recrutement. Et ils aiment la Bretagne ! C’est ajouter le déshonneur à l’incurie. » Il s’en prend encore à la grande distribution « aussi impudique que manipulatrice ». Et d’ajouter :« La crispation générale autour de ce sujet [l’écotaxe], démontre l’échec de la pédagogie, d’ailleurs insuffisamment faite, sur un dispositif qui visait à favoriser le transfert du transport de marchandises vers d’autres modes que la route, et qui visait précisément à financer des modes de transports différents. »
Eric Berroche, pour les élus communistes, a rappelé les propos de François Hollande, alors candidat à l’élection présidentiel : « Mon véritable adversaire n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti… et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance… qui, en vingt ans, a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies. »
Une crise multi-secteurs
Cette crise économique ne concerne pas seulement l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire. Elle touche dans la région rennaise, le secteur automobile et les industries des télécommunications (Alcatel, Carl Zeiss), elle touchera aussi les emplois de la Défense et aura des répercussions sur le trafic portuaire (exportation de produits avicoles à Brest, importation d’alimentation animale à Lorient).
Pendant la session, Alain Even, président conseil économique, social et environnemental régional de Bretagne a aussi présenté sa « contribution au débat actuel » dans un rapport sur « L’internationalisation du système productif alimentaire breton ».
Un vœu du conseil général du Finistère
En session jeudi, le conseil général du Finistère a voté à l’unanimité de ses membres un vœu dans lequel la collectivité demande « que dès à présent l’exonération de l’écotaxe soit actée en Bretagne, qu’à terme soit envisagée la suppression de l’écotaxe au vu des conclusions de l’observatoire régional. Il en va de l’avenir de milliers d’emplois, du maintien des entreprises sur le territoire et de l’attractivité du Finistère pour attirer de nouvelles activités. »
Références
- •Discours de politique générale de Pierrick Massi
- Vœu du conseil général du Finistère
- Gilles Ricono, un DGS atypique
Thèmes abordés
Régions