Résistant, voire résilient ! Le statut général de la fonction publique (loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors, a plutôt bien résisté, malgré les attaques, comme le soulignaient les participants au colloque anniversaire organisé, le 11 juillet 2013, à l’occasion de ses trente ans, par la DGAFP à la Cité internationale universitaire, à Paris.
Sans doute parce que ce cadre juridique protecteur se réforme en permanence : 210 modifications législatives et 300 réglementaires ont été réalisées depuis trois décennies.
Modifié quatre fois en profondeur au cours de la dernière décennie, en 2007, 2009, 2010 et 2012, son toilettage n’est pas fini : le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires présenté le 17 juillet 2013 en conseil des ministres doit être complété à partir de fin octobre 2013 par les conclusions de la mission Pêcheur.
Aux origines, « être digne » d’être fonctionnaire – Dérogatoire au Code du travail, son histoire, indissociable de l’histoire politique, repose sur des antagonismes. Historien de l’administration, Marc-Olivier Baruch rappelle que sa première version a été promulguée sous Vichy en 1941, sans être appliquée. Ce premier statut distinguait fonctionnaires et employés de l’Etat. Le gouvernement en place considérait que tout le monde n’était pas « digne » d’être fonctionnaire.
Quelques années plus tôt, l’idée d’un statut interdisant le droit de grève et prévoyant des sanctions, porté à droite par André Tardieu, avait été contrebalancée par la revendication du socialiste Léon Blum d’un droit syndical proche du code du travail.
Séparation du grade et de l’emploi – Instaurant le paritarisme dans la fonction publique, le texte fondateur de 1946 reconnait le fonctionnaire comme un citoyen et non plus comme un sujet. Né de la réflexion du Comité d’études pour la France, il affirme la séparation du grade et de l’emploi, accordant ainsi aux fonctionnaires, selon l’expression de Marc-Olivier Baruch, une « liberté extraordinaire », notamment en termes d’avancement et de mobilité.
Le texte sera ensuite adapté à la Vè République par l’ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires.
De la place pour la négociation – Sa nouvelle mouture, en 1983, codifie des règles inscrites dans la jurisprudence : liberté d’opinion, droit de grève, capacité de négociation reconnue aux organisations syndicales, comme l’a expliqué Jacques Fournier, ancien secrétaire général adjoint à l’Elysée, conseiller d’Etat honoraire et auteur de « Itinéraire d’un fonctionnaire engagé » (1) et du blog action publique.
« Ce qui est novateur, c’est son champ : il s’applique non seulement à l’Etat, mais aussi aux fonctions publiques hospitalière et territoriale. En quatre grandes lois, est construit en France un édifice quasiment unique au monde où tous les agents publics sont soumis au statut verticalement, du haut en bas de la hiérarchie, et horizontalement, dans les trois versants de la fonction publique », souligne Jacques Fournier, rappelant que le dernier étage, le statut de la FPH, publié en 1986, a failli ne jamais voir le jour après le départ du gouvernement des ministres communistes, dont Anicet Le Pors, son principal artisan.
« On peut se demander si tout cela n’est pas trop rigide. Mais l’édifice a montré sa solidité », affirme l’ancien conseiller d’Etat.
Le statut, facteur de développement – Philippe Laurent, président du conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) saluait, lors du colloque du 11 juillet, cette construction originale comme un « facteur essentiel de développement de notre pays au cours des trente dernières années ».
Il a, selon lui, permis le développement d’équipes et d’équipements de service public de proximité. « C’était une gageure de concilier une logique unitaire, appliquée à tous les agents de toutes les collectivités et l’autonomie de gestion des exécutifs locaux », a souligné le président du CSFPT.
Sa réussite tient, selon lui, au pragmatisme et à l’adaptation permanente à l’évolution des besoins dont il a fait preuve pour accompagner la décentralisation en développant les compétences des collectivités. « Concilier l’emploi territorial et les principes de la fonction publique est une préoccupation permanente. Avec les textes, on parvient à régler ces contradictions », souligne encore celui qui est aussi maire (UDI) de la ville de Sceaux.
Equilibre subtil – « Le statut est un cadre juridique, c’est aussi un cadre politique. Il affirme avec force que l’on est dans une fonction publique de carrière. Ce cadre politique est fondamental. Il perdure car il est un équilibre subtil entre des droits et des devoirs », complète Jacky Richard, conseiller d’Etat et directeur général de l‘administration et de la fonction publique entre 2001 et 2005.
Souvent critiquée pour son caractère exorbitant, la garantie de la carrière pour le fonctionnaire est aussi une garantie pour tous les citoyens. « Ce dont on a besoin, c’est d’une fonction publique qui puisse assurer ses missions de façon neutre et impartiale », insiste le magistrat.
900 000 contractuels – Décriée, la loi Galland de 1987, a introduit, dans la fonction publique territoriale, le recrutement sur listes d’aptitude présentées par ordre alphabétique et non plus au mérite. Une disposition « profondément injuste et antidémocratique » selon l’ancien ministre Anicet Le Pors et principal artisan du statut de 1983. Nombre de reçus-collés ne sont jamais titularisés malgré la réussite à un concours.
C’est aussi ce texte de 1987 qui a assoupli le recrutement de contractuels sur postes permanents, notamment dans les petites collectivités. Vingt-cinq ans plus tard, les trois fonctions publiques emploient près de 900 000 contractuels hors statut, comme le rappelle Jean-Marc Canon, secrétaire général de l’union générale des fédérations de fonctionnaires CGT.
Préconisé par Marcel Pochard dans le rapport du Conseil d’Etat de 2003 sur les perspectives pour la fonction publique, puis par Jean-Ludovic Silicani en 2008 dans le Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique, ces positions sont depuis battues en brèche, notamment par la loi du 12 mars 2012 qui prévoit de nouveaux mécanismes d’accès à l’emploi titulaire.
Mais 17 vagues de titularisation se sont succédées depuis la Libération, sans venir à bout des emplois précaires dont la fonction publique « a besoin » pour assurer ses missions. Dérive pour les uns, souplesse pour les autres, le statut s’en accommode pour répondre aux nouveaux besoins qui se font jour en permanence.
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Le statut de la fonction publique, flexible malgré tout
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