Un engagement contraignant
Anne Hidalgo, candidate à la mairie de Paris pour les prochaines municipales de 2014 ne s’attendait pas à voir débarquer un nouvel opposant dans sa campagne. Et pas des moindres, puisqu’il s’agit de l’Unesco. Son sous-directeur général Francesco Bandarin s’est ainsi répandu dans la presse début octobre pour dire tout le mal qu’il pensait de la très décriée Tour Triangle, un projet architectural de 180 mètres de haut, héritage de l’ère Delanoë et porté par Anne Hidalgo en tant qu’adjointe à l’urbanisme.
« Paris ne sera pas une ville-musée » a sèchement prévenu Anne Hidalgo, qui ne veut pas se laisser dicter ni l’urbanisme, ni la stratégie économique de la capitale par l’Unesco.
Bras de fer à Bordeaux – Anne Hidalgo n’est pas la seule à devoir faire face aux prescriptions de l’organisation internationale. Le maire de Bordeaux, Alain Juppé, dont la ville est inscrite au patrimoine mondial depuis 2007, a lui aussi engagé deux bras de fer avec le comité local Unesco : le premier en 2008 à propos du pont Chaban-Delmas et le suivant ces derniers jours, à propos des anciens abattoirs municipaux, cédant finalement au comité quelques aménagements au projet initial.
Impacts socio-économiques importants – Même quand on est un poids lourd de la politique à la tête d’une grande ville, on ne peut plus ignorer les injonctions de l’Unesco. Rémy Prud’homme, professeur émérite à l’Université Paris XII soulignait dès 2008 que « l’inscription au patrimoine mondial a aussi des impacts potentiellement importants sur le développement socio-économique des zones où sont situés ces sites » qui interfèrent parfois avec les stratégies propres des collectivités. Paris et Bordeaux ont pu finalement résister aux pressions de l’Unesco. D’autres collectivités ont préféré jeter l’éponge.
Tourisme et patrimoine : une mono activité ?
« Je ferai tomber le panneau des Plus beaux villages de France à l’entrée de Saint-Lizier d’ici le 31 décembre prochain », a décidé Etienne Dedieu, maire de cette petite commune ariégeoise, membre depuis 1992 de l’association.
Il estime ne plus pouvoir répondre au cahier des charges de ce regroupement de 156 villages, sans menacer l’activité de la zone commerciale de son chef-lieu de canton, située à l’entrée de sa commune et « en rupture avec l’idée qu’on se fait d’un plus beau village de France », selon l’association. Tourisme ou zone d’activité, le maire a choisi.
(Sources : association des plus beaux villages de France)
Maurice Chabert, président des Plus beaux villages de France et maire de Gordes (Vaucluse) a lui aussi fait un choix. « A Gordes, nous n’avons pas voulu de zone industrielle, mais plutôt des hôtels 4 et 5 étoiles. En cas de faillite, il est plus facile de trouver un repreneur d’hôtel que d’usine », assume l’élu qui défend un modèle intégrant espace vivant et développement touristique.
Ce modèle, beaucoup d’autres veulent le suivre. A commencer par Pascal Terrasse, le député PS du sud-Ardèche et président du conseil général jusqu’en 2012, dont le département voit sa faible industrie se déliter inexorablement : « Le département a fait le choix du tourisme et des technologies de l’information. Ceux qui pensent qu’il y a d’autres alternatives au tourisme, je suis prêt à les écouter », déclarait-il à Rue 89 Lyon cet été.
Aujourd’hui, un millier de communes frappent à la porte des Plus beaux villages de France : « 5 sur six seront refusés, prévient son président car nous ne voulons pas dépasser 200 membres».
Toujours plus de demandes, toujours plus d’enjeux, bien que les critères de l’association n’aient pas évolué : la pression s’accroît de fait sur les membres. « 5 à 6 villages seront peut-être déclassé dans les 2 à 3 ans », reconnait Maurice Chabert.
Un levier économique incontestable
Si le secteur de la labellisation est si actif, c’est que les perspectives de développement semblent prometteuses. « Dans l’esprit des élus locaux qui portent généralement la demande d’inscription, être couché sur la liste est une promesse et un instrument de développement économique, c’est-à-dire d’activités et d’emplois » explique Rémy Prud’homme.
Les estimations des professionnels et élus semblent donner raison aux laudateurs du développement économique par le tourisme, où économie résidentielle comme l’appelle Magali Talandier, géographe et maître de conférence à l’université de Grenoble.
« La fréquentation touristique de Bordeaux a augmenté de 50 % depuis 2007 », constate ainsi Nicolas Martin, directeur de l’Office de Tourisme de Bordeaux. « La cathédrale d’Albi a eu 30 % de visiteurs en plus depuis son inscription à l’Unesco en 2010 », répond en écho la mairie de la préfecture du Tarn.
Le tourisme, gage de croissance et d’inégalités – Les travaux de Magali Talandier montrent que l’économie résidentielle est particulièrement stratégique dans les zones rurales où, déjà en 2006, 20 % des revenus globaux de ces territoires provenaient du tourisme : « Dans un contexte de crise, […] l’enjeu touristique pour le développement économique des espaces ruraux est considérable », admet la chercheuse.
« Les espaces ruraux les plus dynamiques [en terme] d’emploi, de croissance ou de revenus de la population sont les territoires résidentiels et touristiques, mais ils sont en train de devenir aussi fortement inégalitaires », prévient la scientifique. Avec la poussée immobilière, les jeunes sont peu à peu « évincés du marché de la primo-accession », cite-t-elle en exemple.
Même s’il est le plus résistant à l’heure actuelle, le « tout tourisme » n’est donc pas la martingale du développement économique local : « Il est essentiel de ne pas opposer économie productive (activités de fabrication et des services qui lui sont rattachés) et économie résidentielle », explique Magali Talandier.
Les territoires qui résistent plutôt le mieux pendant la crise sont les territoires urbains et les agglomérations avec des activités équilibrées [et dotées] de réelles stratégies de développement productivo-résidentiel comme Nantes, Rennes ou Bordeaux. »
Magali Talandier jeudi 17 juin from Auvergnelife on Vimeo.
« Le tourisme ne se développe pas à Bordeaux à cause de l’Unesco. C’est le projet urbain de Bordeaux qui a transformé la ville et en a fait une destination touristique couronnée par l’Unesco », illustre Stéphan Delaux, adjoint au maire chargé du Tourisme à Bordeaux.
Le label n’est pas un sésame
Un label n’est en effet pas en soi porteur de croissance. Le cirque de Gavarnie, classé au patrimoine mondial en 1997, en fait l’amère expérience.
Selon le Parc National des Pyrénées, le nombre de visiteurs-randonneurs à Gavarnie a chuté de 35 % entre 2004 et 2007 : « Cette érosion est due à un manque de vitalité de la commune pour renouveler son offre touristique », explique Francis Caussieu, maire de Gèdre, un village à l’entrée de la vallée de Gavarnie et qui vit aujourd’hui encore à 80 % de son tourisme. « Mais compte tenu de la crise [et de cette érosion], je ne suis pas certain que ce secteur nous sauvera », prévient le maire. Ni le logo de l’Unesco.
Le classement Unesco, une priorité nationale – Les risques de dérapages sont tels et les enjeux sont si importants que l’Etat et les collectivités locales ont initié une véritable politique d’accompagnement des projets de classement : « L’inscription est désormais beaucoup plus complexe qu’avant car elle ne concerne pas seulement un monument, mais tout un territoire ; c’est un aménagement global de développement socio-économique qui nécessite un plan de gestion, beaucoup d’investissement autour d’une dynamique et du temps », détaille Chloé Campo-de Montauzon, déléguée générale de l’association des bien français du patrimoine mondial (ABFPM).
(Sources : association des biens français du patrimoine mondial).
Dans ce contexte, les pouvoirs publics ne se satisfont plus du seul indicateur de la variation de fréquentation touristique pour justifier leur investissement. La mairie d’Albi, dont la cité épiscopale a été inscrite en 2010 au patrimoine mondial, veut ainsi mesurer tous les impacts, positifs et négatifs, du classement Unesco afin « de réajuster les objectifs de gestion et réorienter, le cas échéant, les politiques publiques » postule Marie-Eve-Cortes, chargée de mission Unesco à la ville d’Albi.
Etat de conservation des monuments, impacts économiques, sociaux et environnementaux du classement, tout est actuellement passé au crible pour parvenir dans les mois à venir à créer le premier observatoire dédié au patrimoine, au cadre de vie, à l’attractivité économique et touristique de la cité épiscopale et de sa zone tampon.
Une façon de savoir enfin si ces labels sont bénéfiques pour toutes les composantes du territoire concerné.
Cet article fait partie du Dossier
Classements et labels touristiques : comment ne pas les subir
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- Les classement Unesco et labels touristiques sont-ils des coups gagnants pour le développement économique ?
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