L’examen du projet de loi sur la modernisation de l’action publique prend selon vous, une mauvaise orientation…
La notion de chef de file, telle que prévue dans le projet de loi de modernisation de l’action publique, est quasiment vidée de toute substance, elle est en recul par rapport à 2003 ! Le chef de file se borne à organiser les modalités de l’action commune par une convention avec les autres collectivités. Préparer une convention fixant des modalités d’action futures, tout le monde le fait hors chef de filât ! Je n’y vois pas beaucoup d’intérêt.
Une proposition d’amendement (n° 160) prévoyait au moins que, dans ce cadre restreint, la convention proposée par la collectivité chef de file déterminerait les priorités et (…) organiserait l’action commune des collectivités. Elle a été rejetée en juillet en commission des lois de l’Assemblée nationale et c’est regrettable, car on aurait enfin donné du corps au chef de file. Une convention aurait ainsi fixé les grandes priorités de l’action commune, des objectifs. L’amendement a été rejeté pour inconstitutionnalité.
C’est, selon vous, une interprétation erronée de principe de non tutelle d’une collectivité sur l’autre ?
Oui, car le Conseil constitutionnel, en 2008, a précisé dans ses commentaires que si un transfert de compétence serait inconstitutionnel, le 5e alinéa de l’article 72 de la Constitution permet une délégation de compétence. S’agissant du chef de filât actuel, dans la mesure où les collectivités signeraient une convention, il y aurait bien délégation de compétence.
Le chef de filât est-il condamné à ne rester qu’une notion sans contenu ?
Une autre solution serait de retenir la notion de compatibilité. Ce serait un premier pas vers une coordination efficace. Le chef de file adopterait un schéma d’action commune, non contractuel, arrêtant les objectifs prioritaires et doté d’une opposabilité limitée : les autres collectivités devraient veiller à prendre des décisions compatibles avec ce schéma. Il ne s’agirait ni de tutelle, ni d’un rapport de conformité. La décision du Conseil constitutionnel du 7 décembre 2000 sur la loi SRU admet cette possibilité : les schémas de cohérence territoriale s’imposent bien aux plans locaux d’urbanisme dans un rapport de compatibilité sans porter atteinte au principe de libre administration des collectivités. Un tel schéma ne contraint pas une collectivité à prendre une décision déterminée, mais simplement à ce qu’elle soit compatible avec les objectifs visés.
Qu’est-ce qui explique cette indétermination à préciser la notion de chef de file ?
Il existe une peur permanente de la tutelle reposant sur une mauvaise connaissance juridique : tutelle et définitions d’orientations sont distinctes. On craint en outre la puissance du chef de file (souvent régional) qu’on oppose à l’intelligence territoriale. Mais un chef de file qui fixe un schéma d’objectifs après concertation avec les autres collectivités, c’est de l’intelligence territoriale !
Le pari de l’intelligence territoriale, qui caractérise le projet de loi, n’est donc pas gagné…
Il faudra bien le tenir, ce pari ! Rester sur le modèle de chef de filât actuel, qui ne repose que sur la contractualisation et sans détermination d’objectifs communs, est dangereux : en cas d’échec d’une meilleure coordination, après avoir fait appel sans succès à cette « intelligence territoriale », la dernière solution, à terme, sera de remettre en cause le principe d’interdiction de tutelle d’une collectivité » sur une autre. Puisque personne ne le souhaite, faisons en sorte que cela n’arrive pas et donnons du corps à la notion de chef de file !
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