« Un nouveau départ qui va affirmer la vitalité du statut et qui correspond aux exigences du service public qu’il faut adapter », a précisé Jean-François Verdier, directeur général de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), en ouverture du colloque organisé le 11 juillet à Paris, à l’occasion des trente ans du statut général de la fonction publique (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires).
En toile de fond de cette journée, souhaitée par le président de la République, où il a beaucoup été question des valeurs du service public, le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, présenté le 17 juillet en conseil des ministres et qui sera examiné par les députés à l’automne.
Offensive repoussée – Marylise Lebranchu avait annoncé en début d’année cette réécriture, qui vise à renforcer le statut et le service public, mais aussi à améliorer l’image des fonctionnaires auprès des citoyens et vis-à-vis d’eux-mêmes. « Le moment est venu d’interpeller l’ensemble des citoyens pour leur dire que le XXIe siècle est l’âge d’or du service public et pour voir comment assurer un service public de qualité », a déclaré la ministre de la Fonction publique, le 11 juillet.
Après des années de « fonctionnaire bashing », ce dénigrement systématique dont les agents font l’objet, notamment depuis le discours de Nicolas Sarkozy à Nantes le 19 septembre 2007, l’heure était, le 11 juillet dernier, à l’éloge du statut, de ses promoteurs et de ses acteurs.
Son unicité à « trois versants », originalité française qui respecte la diversité et la libre administration des collectivités, ainsi que la séparation du grade et de l’emploi, qui rend possible une fonction publique de carrière et non de métier, ont résisté aux évolutions et à la tentation du recours accru à la contractualisation, préconisé par Marcel Pochard en 2003 et Jean-Ludovic Silicani en 2008(1).
Entre-temps, la crise a révélé le rôle d’amortisseur social, en France, de la fonction publique. « Le précédent gouvernement a préféré faire marche arrière, considérant qu’il risquait de ne pas maîtriser le débat », a souligné le conseiller d’Etat honoraire Jacques Fournier(2). La menace sur le statut, relayée de 2002 à 2012 par le « new public management », serait écartée, au moins en apparence, des débats.
Fonctionnaire citoyen – Le projet de loi réaffirme le socle républicain de la fonction publique, qui remonte à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (égalité d’accès aux emplois et services publics). Le gouvernement a décidé d’aller plus loin en inscrivant, dans l’article 1, trois valeurs caractérisant l’exercice des fonctions : l’impartialité, la probité et la dignité. Ce dernier terme a fait débat au Conseil commun de la fonction publique, le 27 juin.
Les organisations syndicales s’interrogeaient sur son aspect moralisateur. L’éventuelle inscription dans la loi d’une obligation de réserve – qui ne figure dans aucun texte – a elle aussi été discutée. Finalement, « on laisse à la jurisprudence le soin de l’interpréter pour permettre à cette notion de bouger », a précisé Marylise Lebranchu.
« J’ai eu le souci de fonder le statut sur des principes, enracinés dans l’Histoire, d’égalité, d’indépendance, de laïcité et de responsabilité. Nous voulions que les fonctionnaires soient citoyens à part entière et responsables devant la nation », a indiqué Anicet le Pors, principal artisan du statut en tant que ministre de la Fonction publique en 1983. Et de rappeler que les règles hiérarchiques ainsi que les devoirs de réserve et d’obéissance, souvent invoqués pour limiter le droit d’expression des agents, n’y figurent pas, volontairement.
« C’est la responsabilité du fonctionnaire de les mettre en œuvre », a-t-il pointé, affirmant préférer la sobriété de quelques grands principes, synonymes de garanties pour les agents et les usagers, à la multiplication des valeurs du rapport « Silicani », qui en recense pas moins de vingt-cinq.
« Il ne suffit pas de définir des valeurs, encore faut-il s’engager à les appliquer », a fait remarquer à la table ronde portant sur ce thème Jean-Paul Devos, responsable syndical belge. Le président du comité de dialogue social sectoriel consulté par la Commission européenne pour les administrations centrales européennes a souligné qu’il s’agit de préoccupations partagées en Europe. La valeur d’exemplarité doit, selon lui, être commune aux employeurs et aux fonctionnaires, et s’exercer à tous les niveaux.
Pathologies du management – Invité lui aussi à cet anniversaire refondateur, Marc Olivier Baruch, qui enseigne l’histoire politique de l’administration à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, a regretté que la réflexion sur les valeurs n’occupe que deux heures dans le cursus de l’ENA.
« Le fonctionnaire doit se positionner par rapport au pouvoir politique et à l’argent. Il ne doit jamais accepter d’en être le serviteur », a-t-il déclaré, avant que le conseiller d’Etat et ancien DGAFP Jacky Richard ne martèle : « Le statut est un cadre juridique. C’est aussi un cadre politique. Il affirme avec force que l’on est dans une fonction publique de carrière. Ce cadre est fondamental. Le statut est un équilibre subtil entre droits et devoirs. Le projet de loi insiste là-dessus. »
Autre nouveauté introduite par le texte bientôt examiné : le chef de service est érigé en gardien des valeurs, chargé de les faire respecter et de prévenir les conflits d’intérêts. Une précision qui bousculera les partisans de formes de management « marquées par des pathologies, comme le management clientéliste, qui fait que la réalité n’a rien à voir avec ces valeurs », ou « le management arriviste, qui fait voler [celles-ci] en éclat », fort justement décrites par Vincent Potier.
Le directeur général du CNFPT a été l’artisan, en 2012, d’une déclaration commune du réseau des trente-neuf écoles de service public sur ses valeurs.
La prévention des conflits d’intérêts
Le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires renforce la place des valeurs de la fonction publique (devoir d’exercer ses fonctions avec impartialité, probité et dignité, obligation de neutralité, respect de la laïcité). Il précise les dispositifs applicables en matière de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts. Le chef de service veille au respect des valeurs fondamentales, l’agent en devient le premier gardien et prévient ou fait cesser les conflits d’intérêts dans lesquels il se trouve. Il est protégé s’il témoigne, de bonne foi, de ces faits. Une déclaration d’intérêts devra être faite à son initiative. Le texte interdit le cumul d’un emploi à temps complet avec la création ou la reprise d’entreprise, y compris en auto-entreprise, ainsi qu’avec un autre emploi permanent. Les activités accessoires et la production des œuvres de l’esprit restent possibles. Le rôle de la Commission de déontologie de la fonction publique est renforcé.
Références
Accord-cadre européen pour un service de qualité dans les administrations des gouvernements centraux
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Déontologie des fonctionnaires : droits et obligations
Sommaire du dossier
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- Conflits d’intérêts : Quels garde-fous pour les fonctionnaires ?
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- Interview d’Olivier Fouquet, président de la commission de déontologie
- La commission de déontologie des agents publics en 10 questions
- Des outils pour une Commission européenne exemplaire
- Documents et ressources
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Rapport sur les perspectives de la fonction publique (2003) et livre blanc sur l’avenir de la fonction publique (2008). Retour au texte
Note 02 Auteur du livre blanc sur le dialogue social dans la fonction publique (2002). Retour au texte